Textile turc : l’AMITH applaudit les restrictions

Textile turc : l’AMITH applaudit les restrictions

 

 

L’activation de l’article 17 de l’Accord de libre échange (ALE) Maroc-Turquie a semé la confusion dans l’opinion publique. Pourtant, cette mesure est qualifiée de courageuse et de signal fort envers les industriels du textile. Explications.

 

 

Depuis le 8 janvier, date à laquelle le ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique a émis un avis destiné aux importateurs au Maroc de produits de textiles et d’habillement originaires de Turquie, chacun y va de sa propre analyse, évoquant la défense commerciale, le protectionnisme, etc.

Pourtant, le communiqué est clair : le Maroc a pris la décision d’actionner les mesures d’ajustement transitoires visées à l’article 17 de l’Accord de libre-échange (ALE) signé avec la Turquie. Ce qui implique le rétablissement du droit d’importation à hauteur de 90% du taux fixé dans le cadre du droit commun, sur des produits précis.

D’ailleurs, la décision a été saluée par les industriels du textile du Maroc. Notons qu’il y a une réelle prise de conscience de l’enjeu d’user des moyens autorisés et réglementés par l’OMC pour protéger l’industrie locale, alors que le Maroc a été souvent le dindon de la farce.

 

Pas une mesure de défense commerciale

 

Contacté par nos soins, Mohamed Tazi, le Directeur général de l’Amith (Association marocaine des industries du textile et de l’habillement), a d’ailleurs tenu à préciser qu’il s’agit d’une mesure transitoire qui, contrairement à une idée largement diffusée, ne constitue pas une distorsion à l’Accord de libre-échange signé entre le Maroc et la Turquie.

Cette mesure ne concerne que certains produits, elle est circonscrite dans le temps et, surtout, elle ne relève pas de la défense commerciale, contrairement à ce qui a été relayé.

«C’est une mesure courageuse et inédite que nous saluons. Mais il ne faut pas faire l’amalgame : ce n’est pas une mesure d’antidumping ou de tout autre type de défense commerciale. En effet, chacune des deux parties signataires de l’ALE a le droit d’activer l’article 17 contenu dans l’ALE, lorsqu’un ensemble de conditions est réuni. C’est le cas du Maroc qui constate premièrement, une explosion des importations de produits de textile et d’habillement originaires de Turquie. Et ce n’est là qu’un euphémisme, puisque la part des produits originaires de Turquie est passée de 16% à 40%, entre 2013 et 2016 de l’ensemble des produits textiles importés par le Maroc. Leur part de marché a triplé et la tendance est plus agressive en 2017», explique le DG de l’Amith.

En effet, l’avis du ministère note une forte croissance des exportations turques vers le Maroc de produits finis de textile et habillement, enregistrant une progression de 175% entre 2013 et 2017.

 

20.000 emplois perdus annuellement

 

La deuxième condition évoquée par Mohamed Tazi est la menace que cette forte progression des importations constitue pour l’industrie du textile marocain. «D’ailleurs, il a été établi une relation de cause à effet directe avec les pertes d’emplois dans le secteur et les difficultés financières provoquées pour des industriels marocains de textile», poursuit-il.

On note effectivement que les importations mettent à mal l’industrie textile orientée vers le marché national, qui perd annuellement quelques 20.000 emplois, selon une étude de l’Amith.

«En tout état de cause, l’importation des produits à bas prix - que les prix soient le fait de dumping ou non - pose problème. Et, généralement, les importations massives pénalisent l’industrie locale», explique Mohamed M’hamdi, professeur de l’enseignement supérieur à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales à l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah-Fès. Et d’ajouter : «L’ouverture tous azimuts de l’économie marocaine, avec la signature de ces accords de libre-échange, n’a pas produit l’effet escompté et la multiplication d’accords de libre-échange a fragilisé l’économie marocaine et l’a rendue moins compétitive dans un contexte d’intégration à l’économie mondiale».

 

Un secteur en restructuration

 

«Le troisième élément est qu’en partenariat avec les pouvoirs publics, le secteur du textile est entré dans une phase de restructuration et cette mesure vient comme une signal fort envers les professionnels du secteur», explique Mohamed Tazi, qui note que le secteur se développe dans sa branche à l’international alors que le marché domestique constitue un véritable potentiel de développement pour l’industrie nationale avec tous les effets positifs sur la création d’emplois.

«Grâce au Plan d’accélération industrielle, le secteur du textile a pu mettre à exécution des dispositions de développement de l’export et autant dire que les résultats sont là ! Et avec cette mesure commence une deuxième phase, celle de la réappropriation du marché national», conclut Mohamed Tazi.

En tout cas, la mesure ne pouvant excéder une année, autant mettre le turbo par les industriels marocains. ■

 


La Turquie, championne des instruments de défense commerciale

Certaines voix se sont levées contre la décision du Maroc de suspendre, en vertu de l’article 17 de l’ALE avec la Turquie, l’accès préférentiel au marché marocain de certains produits de textile et habillement. Pour autant, la Turquie, elle, ne se serait pas gênée de faire de même si son industrie nationale était menacée.

Pis encore, l’ancien empire ottoman est devenu champion des mesures d’antidumping, puisqu’il a intégré l’utilisation de ces mesures dans sa législation en 1989 par la Loi de prévention de la concurrence déloyale en matière d’importation. Cette première loi a fait l’objet de plusieurs amendements pour s’aligner sur le Code antidumping du Round de Tokyo de l’OMC. Ces instruments de défense commerciale, la Turquie en use à volonté, à l’instar d’autres pays comme les Etats-Unis. D’ailleurs, ils sont un motif récurrent de tension avec son partenaire l’Union européenne. ■


 

Par Imane Bouhrara

 

 

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