Délais de paiement : pourquoi nous sommes loin du compte [Entretien]

Délais de paiement : pourquoi nous sommes loin du compte [Entretien]

Ruben Nizard, économiste Afrique au sein de Coface 


 

Malgré l’amélioration du classement du Maroc dans le climat des affaires et les bonnes intentions des pouvoirs publics, les délais de paiement demeurent encore trop longs.

La loi sur les délais de paiement peine à être mise en vigueur.

Eclairage de Ruben Nizard, économiste Afrique au sein de Coface.

 

Propos recueillis par Badr Chaou

 

Finances News Hebdo : Un commentaire sur les chiffres présentés par Coface dans sa dernière enquête sur les délais de paiements au Maroc ?

Ruben Nizard : Le constat que nous dressons à partir de notre enquête sur le comportement des entreprises au Maroc, c’est que le délai de paiement reste très long. Nous parlons d’un délai actuel constaté moyen d’à peu près 186 jours entre la date d’émission de la facture, et le jour du paiement effectif.

Autrement dit, ces 186 jours correspondent à 93 jours de délai contractuel et 92 jours environ de retard de paiement en moyenne. Donc un constat qui est relativement alarmant sur cette problématique des délais de paiement, qui met sous tension les entreprises marocaines, mais également, dans une autre mesure, les entreprises qui exportent au Maroc.

 

F.N.H. : L’Etat marocain semble vouloir donner l’exemple en mettant en place certaines mesures en vue de raccourcir les délais de paiements. Confirmez-vous cela ? 

R. N. : Effectivement, il y a un certain nombre d’initiatives qui a été mis en place par l’Etat pour tenter de clarifier l’environnement légal, et de s’attaquer à cette problématique majeure qui touche, d’ailleurs, l’Etat lui-même. Ce dernier et également les entreprises publiques ont longtemps eu des délais de paiement rallongés et ont accusé des retards de paiement forts conséquents.

Nous soulignons par ailleurs dans l’étude qu’un certain effort semble avoir été fait, puisque d’après les derniers chiffres qui ont été communiqués, les délais de paiement de la fonction publique ont été réduits.

 

F.N.H. : Cette approche donne-t-elle de bons résultats ?

R. N. : Ces mesures ont permis aux fournisseurs de l’Etat de bénéficier plus rapidement de liquidités et de trésorerie. Cela peut créer un cercle bénéfique au-delà de l’effet de signal qui est bon. Il y a effectivement un espoir que les raccourcissements des délais de paiement qui étaient mis en avant par la Direction des études et de la prévision financière (DEPF) il y a quelques mois se traduisent au fur et à mesure par une répercussion sur le secteur privé. Cependant, le fruit de cette approche ne se fera pas sentir dans l’immédiat.

 

F.N.H. : Ce sont les grandes entreprises qui accusent un long délai de paiement ?

R. N. : Effectivement, il y a une légère majorité des grandes entreprises qui indiquent avoir remarqué une dégradation de leur délai de paiement. Mais ce qu’on retient avant tout dans notre étude, c’est que près de 40% de ces entreprises affichent une amélioration. C’est globalement l’un des aspects positifs de l’étude, car quelle que soit la taille de l’entreprise, nous constatons qu’elle apporte aujourd’hui une amélioration au niveau des délais de paiement. C’est un signal positif, et c’est sur cela que nous préférons insister plutôt que sur les légères différences qui existent entre les petites et grandes entreprises.

 

F.N.H. : Pensez-vous qu’un mécanisme de sanction améliorerait la situation ?

R. N. : Pour l’instant c’est difficile de dire qu’un mécanisme de sanction viendrait résoudre le problème des délais de paiement. Ce que nous savons, c’est que très peu d’entreprises ont recours aux pénalités de retard, et 80% n’en appliquent pas en cas de retard de paiement.

Le nouveau cadre légal qui est désormais en vigueur depuis premier janvier 2017, prend en compte une indemnité de retard qui doit s’établir à peu près à 7% du montant total, plus un taux de référence qui serait a priori le taux directeur de Bank Al-Maghrib.

Globalement, ce qui est observé c’est que les entreprises n’appliquent pas de pénalités en cas de retard et qu’au contraire, la priorité des entreprises est d’être payées dans des délais plus courts. La perception de la majorité des entreprises c’est qu’en appliquant des pénalités en cas de retard, le processus de paiement ou de remboursement sera encore plus retardé. Ce n’est donc pas la méthode appréciée le plus par les entreprises, car in fine, elle n’améliore en aucun cas les délais de paiement. D’autres mesures sont prises généralement par les entreprises quand elles ont ce souci de retard de paiement, car en effet d’après nos chiffres, 30% d’entre elles arrêtent les livraisons au profit des clients défaillants, ce qui peut être considéré d’ailleurs comme une forme de sanction. Ce qui ressort le plus souvent de cette problématique, c’est une certaine forme d’impuissance des entreprises à se faire payer, et les mesures entreprises jusqu’ici demeurent inefficaces pour venir à bout de cette problématique. Au fil des années, cette situation met sous pression les trésoreries de l’entreprise, chose qui n’embellit guère le climat des affaires.

 

F.N.H. : Peut-on s’inspirer d’autres mesures prises par d’autres pays ?

R. N. : Le Maroc est engagé pour améliorer son environnement des affaires. Il est félicité pour l’avancement dans le classement «Doing business». Or, ce que l’on constate c’est qu’une partie de la problématique des délais de paiement  est encore liée à un environnement des affaires, qui est défaillant en la matière.

Il faut donc que le Maroc commence à s’inspirer bien sûr des meilleures pratiques à l’international. C’est dans ce cadre qu’a été mise en place la plateforme du ministère des Finances pour permettre aux fournisseurs de faire leurs réclamations pour qu’ils soient mis en avant, que soit déclarés leurs retards de paiement et qu’il y ait possibilité d’agir là-dessus.

 

F.N.H. : Où en sont les réformes sur les délais de paiement ?

R. N. : Il y a une dynamique de réforme qui peine à donner ses fruits puisque nous constatons toujours que des délais de paiement sont inquiétants. On ne peut que déplorer que les lois qui ont été passées dans ce sens, notamment les 32.10 et 49.15, ne soient pas effectives, car les décrets d’application n’ont pas vu le jour, et ne permettent  donc pas de régler la question des délais de paiements.

 

F.N.H. : L’observatoire des délais de paiement au Maroc n’a-t-il pas un rôle particulier à jouer pour améliorer la situation ?

R. N. : Pour améliorer l’environnement des affaires, il faut essayer d’avoir un meilleur suivi des délais de paiement. D’ailleurs, si Coface publie aujourd’hui un rapport sur ce sujet, c’est qu’il y a un déficit d’informations en ce sens au Maroc. L’idée est de faire un état des lieux de la situation pour ensuite mieux agir à travers les bons leviers et mécanismes pour appréhender efficacement la problématique des délais de paiement.

En France, il existe un observatoire des délais de paiement, qui publie chaque année l’état des lieux et l’évolution de ces derniers, en vue de valoriser les données et avoir un rapport complet de la situation. D’autres centres d’intelligences économiques font également ce travail, cela permet d’avoir un comparatif, chose qui est très valorisante en termes de données.

En ce qui nous concerne, nous avons décidé de publier notre étude surtout pour les entreprises qui souhaitent exporter vers le Maroc, et qui ne connaissent pas la situation du terrain. Il y a un vrai besoin d’information, et j’imagine que cet observatoire vise à développer ce volet. ◆

 

 

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