Si des mécanismes financiers substantiels ont déjà permis de débloquer plus d'un milliard d'euros pour aligner les entreprises sur la voie de la décarbonation, des défis majeurs persistent. Notamment la réticence des grandes entreprises, l’adhésion des PME et l'absence d'une «taxonomie verte» claire.
Par Désy M.
Le Maroc s'est positionné comme un champion international des politiques climatiques, marqué par une forte volonté et une vision claire pour développer le pays sur une voie bas carbone et résiliente. Cet engagement se traduit par une Contribution déterminée au niveau national (CDN3.0) ambitieuse qui entend réduire de 53% les émissions de gaz à effet de serre du pays d’ici 2035. Et pour financer cette transition, une gamme d'instruments économiques a été déployée.
Toutefois, leur impact réel sur les grandes entreprises (GE) et les petites et moyennes entreprises (PME) révèle des dynamiques contrastées, des réticences notables et des défis d'inclusion majeurs. L'objectif principal des instruments et incitations économiques est de corriger les dysfonctionnements du marché et d'orienter la dynamique économique vers des pratiques plus vertes. En effet, le Maroc a mis en place des mécanismes de financement spécifiques pour soutenir l’investissement vert dans le secteur privé, souvent avec l'appui de partenaires nationaux et internationaux.
Le Green Economy Financing Facility (GEFF), qui succède à l'ancien programme Morsef, est l'un des outils phares. Ce mécanisme octroie des subventions aux entreprises pour l’acquisition d'équipements verts, notamment dans le domaine de l’efficacité énergétique. A ce jour, plus d'un milliard d'euros a déjà été distribué via cette ligne de financement. L'argument économique ultime pour l'adoption de ces pratiques est la rentabilité et la compétitivité.
Pour un industriel, réduire son empreinte carbone et sa consommation d'énergie ou d'intrants grâce à l'économie circulaire et solidaire, mène à une réduction du coût de production. Ceci confère une plus grande marge de manœuvre sur le prix de vente et augmente la compétitivité sur le marché donné. Ce principe de compétitivité a eu un impact spectaculaire dans le secteur agricole. Le passage au pompage solaire s'est généralisé non pas en raison d'une incitation directe majeure, mais parce que cette technologie est devenue plus compétitive et rentable que l'utilisation de pompes à gaz subventionnées. En effet, l'énergie représente environ 50% du coût de la production agricole, faisant de la réduction de cette charge une priorité vitale pour les agriculteurs.
Le climat, encore un luxe ?
Malgré l'existence d'incitations financières substantielles et la pression réglementaire internationale telle que le MACF de l’UE, l'adhésion des grandes entreprises marocaines aux pratiques de décarbonation demeure freinée par des considérations de coût et de priorité stratégique. Pourtant, la charte d'investissement, l’un des instruments clé élaboré par les autorités, prévoit l'octroi d'une subvention représentant 3% du Capex (dépenses d'investissement) pour les projets incluant des composantes liées à la transition, comme la gestion de l'eau, des déchets ou de l'économie circulaire, pouvant aller jusqu'à 30% du montant total de la subvention.
Cependant, son utilisation bute sur une réticence qui réside dans le fait que les GE, même lorsqu'elles demandent des aides à l'investissement, ne présentent pas nécessairement des projets intégrant cette composante de transition verte. Pour beaucoup d'industriels, l'investissement dans la décarbonation est perçu comme une charge supplémentaire. Contrairement à l'agriculture, le coût de l'énergie dans la production industrielle marocaine est souvent faible, se situant entre 2% et 10%. Par conséquent, l'efficacité énergétique n'est pas considérée comme une priorité d'investissement essentielle par rapport à d'autres besoins de l'entreprise.
De plus, un manque de clarification et de contextualisation sévit au sein du secteur. En effet, la confusion terminologique et le manque de clarté sur les concepts climatiques ralentissent l'adoption. Le ministère de l'Economie et des Finances travaille actuellement à l'élaboration d'une taxonomie verte appliquée au Maroc pour s'assurer que les professionnels et les institutions financières, notamment les banques, partagent la même définition des concepts et des équipements verts. Parallèlement, très défendue comme instrument de choix par les experts et récemment par le CESE, la taxe carbone nationale n'est pas priorisée à court terme au Maroc.
L'absence d'une tarification carbone nationale forte, à l'instar des marchés carbone matures dans l'UE, signifie que la pression financière pour décarboner reste plus externe plutôt qu'interne. Si les GE sont réticentes, du côté des PME, c’est presque l’exclusion. Ces dernières sont confrontées à des défis encore plus complexes pour bénéficier pleinement des incitations et instruments disponibles. Pourtant, l'enjeu est d'assurer une «transition juste» où «personne ne doit rester non embarqué».
Le principal défi pour les PME est qu’en l'absence de marges suffisantes, elles ne peuvent pas se permettre de sacrifier leur compétitivité pour adopter prématurément des technologies vertes. Pour ces entreprises qui, pour certaines, sont gérées par des coopératives regroupant, surtout en milieu rural, soit des populations vulnérables, des jeunes ou des femmes, les obstacles incluent le manque d’accès aux financements adaptés à leurs besoins spécifiques. In fine, le succès des instruments financiers dépend d'un écosystème développé. Cela comprend la disponibilité de matériel homologué, le contrôle de la qualité et des normes, et des fournisseurs fiables. Sans cet écosystème, les incitations financières risquent d'être inefficaces et toujours moins accessibles pour ceux qui en ont réellement besoin.