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Politique énergétique : Le Maroc a-t-il fait le bon choix ?

Politique énergétique : Le Maroc a-t-il fait le bon choix ?

 

Saad El Mernissi, associé en charge de la pratique Finance and Projects au sein du cabinet DLA Piper Casablanca, revient sur les enjeux majeurs que le Maroc devra relever dans les prochaines années dans le secteur énergétique pour atteindre ses ambitieux objectifs.

 

 

Finances News Hebdo : Voilà plusieurs années que vous accompagnez entités publiques, opérateurs privés, banques et institutions financières internationales dans la structuration des différents montages liés à la réalisation et au financement des projets énergétiques. Quelle est la particularité d'un montage lié aux projets renouvelables ?

 

 

Saad El Mernissi : La première caractéristique est celle relative à la dimension des projets. La vision énergétique du Maroc a été élaborée sur la base de très grands projets notamment pour les énergies renouvelables, ce qui n’est pas le cas en Europe où les projets énergétiques sont de taille plus modeste.

Par exemple pour l’éolien, le dernier projet en date lancé par l'ONEE et attribué au groupement Engie Nareva Siemens porte sur 850 MW sur cinq sites. Concernant le solaire, le projet de Ouarzazate sera à terme d'une capacité de 500 MW. Ce choix est lié aux objectifs très ambitieux du Maroc dans le domaine des énergies renouvelables.

Le premier est de porter la capacité de la production électrique d’origine renouvelable à 42% à l’horizon 2020. Pour donner un ordre de grandeur, les objectifs de l’Union européenne en 2020 sont de 20%, ce que certains pays ne vont pas pouvoir atteindre à l’instar du Royaume-Uni qui parviendra difficilement à 15%.

Si en 2020, le Maroc sera en mesure d'atteindre ce premier objectif, le défi à relever est celui du deuxième objectif, à savoir porter la capacité à 52% en 2030.

Cette capacité supplémentaire représente 10.000 MW uniquement en renouvelable, soit l’équivalent de 5 fois la centrale de Jorf Lasfar qui assure à ce jour près de 50% de l’électricité produite au Maroc.

L'effort portera principalement sur le développement du solaire et plus particulièrement du photovoltaïque qui est une technologie moins complexe que l'éolien avec des coûts d'équipement plus faible et une maintenance réduite.

Toutefois le recours à l'énergie éolienne et solaire présente un inconvénient majeur qui est la gestion de l’intermittence, c’est-à-dire le fait que les installations de sources renouvelables ne produisent pas de l'électricité de façon continue.

Ainsi, même si notre pays détient les records mondiaux notamment sur l'éolien, le facteur de charge, c’est-à-dire ce que l'installation produit réellement par rapport à sa capacité est de 40% pour les projets éoliens et tombe au mieux à 20% pour les projets photovoltaïques.

Pour ces derniers, il est donc nécessaire d'avoir recours au stockage de l'électricité par des batteries. A ce jour, le coût du stockage alourdit le coût de ce type de projet alors même que les coûts de production des panneaux photovoltaïques diminuent fortement.

Il est donc nécessaire, pour gérer l'intermittence, de coupler les projets en énergies renouvelables avec des installations thermiques suffisamment réactives pour pouvoir être actionnées notamment lorsque la demande augmente fortement.

Le gaz naturel paraît être l'énergie la plus adaptée principalement pour deux raisons : un prix relativement stable, compte tenu de ressources importantes, et du fait que le gaz naturel est l'énergie fossile la moins polluante.

C'est pourquoi, le Maroc va lancer cette année un énorme projet de Gaz naturel liquéfié (GNL) appelé Gas to Power qui représentera le plus grand investissement dans le secteur dans l'histoire du pays et pour un montant d'environ 4,6 milliards de dollars.

 

 

F.N.H. : La stratégie énergétique marocaine a suscité l’intérêt des acteurs financiers marocains ainsi qu’étrangers. Cet engouement est-il lié à la volonté d’accompagner le Maroc dans sa politique de développement durable ou est-ce plutôt parce que c’est un secteur juteux ?

 

S. E. M. : Au vu des montants mobilisés, cet engouement ne peut pas avoir seulement un intérêt environnemental. Il existe à vrai dire deux types de projets en matière d'énergie renouvelables. Soit les projets sont rentables pour les opérateurs et ceux si sont financés en grande parties par des banques commerciales marocaines ou étrangères comme les projets éoliens et les centrales à charbon.

Soit les projets ne sont pas rentables du fait de la technologie utilisée mais permettent de développer une filière et d'accompagner la recherche dans le secteur. Ces projets sont financés par des institutions financières internationales à l'instar des premiers projets Noor à Ouarzazate. Pour ces projets, Masen agit comme une caisse de compensation assurant le différentiel entre le prix d’achat à l’opérateur choisi et celui de revente à l’ONEE.

Pour tous ces projets, l'opérateur public achète l’intégralité de la production délivrée par l’opérateur privé ce qui permet à ce dernier de ne gérer que le risque opérationnel et pas le risque commercial. Ce montage est également rassurant pour les prêteurs qui financent parfois jusqu'à 80% du coût du projet.

Enfin, ces projets bénéficient en général de la garantie de l'Etat qui s'engage à se substituer à l'opérateur public si ce dernier est en défaut de ses obligations et notamment au titre des indemnités de résiliation dues à l'opérateur privé.

 

 

F.N.H. : L’objectif de la stratégie marocaine est de réduire la facture énergétique qui pèse sur sa balance commerciale. Toutefois, sa mise en place nécessite la mobilisation de milliards de DH qui n’est pas sans conséquence sur la dette intérieure et extérieure du pays. Ces paramètres permettront-ils de résoudre cette équation pour rendre ces investissements rentables ?

 

S. E. M. : Le choix du développement massif des énergies renouvelables entraîne inévitablement de lourds investissements. Les premiers portent sur l'extension et le renforcement du réseau électrique qui doit supporter l'arrivée des nouveaux projets.

Ensuite, pour les projets confiés aux opérateurs privés, ces derniers financent seuls le projet mais réintègrent tous les coûts du projet sur le prix de l'électricité vendue à l'ONEE, notamment la construction, l'achat des équipements, le financement, la maintenance et la marge de l'opérateur privé.

Toutefois, malgré les montants élevés des investissements, le prix de l'électricité issue des énergies renouvelables tend à baisser fortement. Ainsi, sur le dernier projet éolien de 850 MW qui sera réalisé par le consortium Nareva, Enel Green Power et Siemens Wind Power, le tarif de l'électricité vendue à l'ONEE est de 30 centimes de dirhams par kilowatt-heure, soit l'un des prix les plus bas au monde. Ainsi, le prix de l’électricité issu de l'éolien est moins cher que celui du charbon qui lui-même est l’énergie fossile la moins chère.

 

 

F.N.H. : Outre le projet du GNL, y a-t-il dans le pipe d’autres projets qui pourraient attirer de nouveaux opérateurs aussi bien étrangers que nationaux à investir dans le secteur énergétique marocain ?

 

S. E. M. : Il y a effectivement le projet Gas to Power, dont l’appel d’offres devrait être lancé au début de cette année, selon les dernières informations. Ensuite, dans le cadre du renouvelable, il y a un choix à faire pour la mise en œuvre des 10.000 MW supplémentaires.

Rappelons que si la première phase de la stratégie énergétique jusqu’à 2020 a été assurée en grande partie par les appels d’offres publics pour des projets lancés par l’ONEE, l’idée pour la deuxième phase est d'impliquer plus fortement le secteur privé et ce notamment dans le cadre de la loi 13-09 relative aux énergies renouvelables.

Il s’agit de la production d'électricité par des développeurs privés destinée à des clients publics ou privés. Aujourd’hui, les seuls projets qui voient le jour sont ceux destinés aux clients haute tension. Or ce secteur représente assez peu d'acteurs principalement les cimenteries, aciéries, mines, grands offices…

Pour le secteur de la moyenne tension qui intéresse davantage les investisseurs privés, puisqu'il concerne le secteur industriel, certains textes d'application sont toujours manquants ce qui freine le développement des projets. Quant à la basse tension, le principe est prévu mais aucun texte d'application n'a été publié. ■

 

 

Propos recueillis par Lamia Boumahrou

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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