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Pays émergents : «Le principal défi est d’accroître la sophistication de l’économie marocaine»

Pays émergents : «Le principal défi est d’accroître la sophistication de l’économie marocaine»

Le Maroc est classé en tête des pays émergents d’Afrique, selon l’Indice synthétique d’émergence économique (ISEME) présenté dans le rapport réalisé en 2022 par l’Institut de l’Emergence. Invité d’honneur aux MEDays, Moubarack Lô, président de l’Institut Émergence, Senior Fellow à l’OCP Policy Center du Maroc, auteur de la méthodologie basée sur l’ISEME, revient sur les performances et les défis économiques du Maroc.

 

Propos recueillis par Désy M.

Finances News Hebdo : Vous êtes actuellement au Maroc, un pays que vous placez en tête du classement des pays africains émergents, selon l’ISEME. Quels sont, selon vous, les facteurs clés qui expliquent cette avancée significative ?

Moubarak Lô : Le Maroc se positionne effectivement comme le premier pays émergent en Afrique, devant des nations comme l’Afrique du Sud, l’Égypte ou même l’île Maurice. Cette réussite repose sur quatre dimensions essentielles. Premièrement, la richesse inclusive. Le Maroc a su maintenir une croissance économique régulière, même si elle n’est pas très élevée. Cette croissance est restée positive malgré les défis, permettant une augmentation progressive du produit national. Cette richesse est également reflétée dans l’amélioration de l’espérance de vie, un indicateur que nous utilisons pour évaluer le degré d’égalité dans une société. Deuxièmement, un cadre macroéconomique sain. Le pays a su maîtriser son inflation et maintenir des finances publiques relativement soutenables, ce qui n’est pas donné à tous les pays émergents. Troisièmement, la transformation structurelle. Le Maroc a engagé des efforts notables dans l’industrialisation, bien que son économie soit encore largement dominée par les services. Cependant, il y a encore du travail à faire pour renforcer ce tissu industriel, en particulier en dehors des zones économiques spéciales. Enfin, l’insertion dans l’économie mondiale. Le Maroc a attiré d’importants investissements directs étrangers (IDE) et s’est imposé dans les exportations manufacturières grâce à des secteurs comme l’automobile et l’aéronautique. Cependant, il est crucial d’intégrer davantage de technologie dans les produits exportés pour augmenter leur valeur ajoutée.

 

F.N.H. : Vous insistez sur l’industrialisation comme levier clé pour le Maroc. Quels axes spécifiques le pays devrait-il prioriser pour avancer ?

M. L. : L’industrialisation est cruciale, mais elle ne peut se limiter aux grandes zones économiques comme Tanger, Kénitra ou Casablanca. Ce qui manque, c’est un tissu dense de PME capables de soutenir ces grandes industries par la sous-traitance spécialisée. Les PME pourraient se spécialiser dans des niches précises, comme fournir des pièces pour l’automobile ou l’aéronautique. Par exemple, une PME pourrait se concentrer uniquement sur une pièce précise, de la conception à la fabrication, et devenir un acteur clé dans la chaîne de valeur. Pour cela, il est indispensable d’accompagner ces entreprises sur plusieurs fronts : faciliter leur accès au financement, car l’investissement industriel est risqué; renforcer leurs capacités techniques à travers des formations et des appuis pour monter des dossiers bancables; encourager une meilleure coordination entre les grandes entreprises et les PME locales pour développer une véritable symbiose industrielle. Ces PME ont le potentiel de devenir, demain, des champions nationaux capables de conquérir d’autres marchés en Afrique et au-delà.

 

F.N.H. : L’économie marocaine repose encore fortement sur les investissements publics. Le secteur privé semble moins dynamique. Comment expliquer ce déséquilibre et quelles solutions proposez-vous ?

M. L. : C'est une réalité que l’on observe non seulement au Maroc, mais dans plusieurs pays en développement. L’économie marocaine est structurée en trois niveaux : Les grandes entreprises, souvent publiques ou semi-publiques, qui fonctionnent généralement bien. Le secteur informel, paradoxalement très actif mais peu productif. Les PME, qui devraient être la colonne vertébrale de l’économie, mais restent sousdéveloppées. Ce déséquilibre s’explique par plusieurs facteurs, notamment une préférence marquée des investisseurs locaux pour des secteurs comme l’immobilier, jugés moins risqués. Pour inverser la tendance, il faut encourager les entrepreneurs à prendre des risques dans l’industrie. Cela nécessite également un accompagnement accru du secteur financier. Les banques doivent revoir leurs approches pour soutenir davantage les PME industrielles. L’État, de son côté, joue déjà un rôle important en offrant des garanties ou en subventionnant les taux d’intérêt. Mais il faut aller plus loin en renforçant les capacités techniques des entrepreneurs et en appuyant la structuration de leurs projets.

 

F.N.H. : Vous avez évoqué l’initiative Atlantique, qui rassemble plusieurs pays. Quels sont les impacts économiques attendus d’une telle coopération ?

M. L. : Le potentiel de cette initiative est immense. Imaginez un réseau qui unirait des économies comme celles du Maroc, de l’Afrique du Sud ou du Nigeria, avec leurs capacités respectives en agriculture, hydrocarbures et mines. Si ces pays s’allient pour développer leurs capacités de transformation, cela pourrait révolutionner l’économie africaine. Prenons l’exemple du cacao. La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial, mais l’essentiel du cacao est exporté brut. Le chocolat, lui, est fabriqué ailleurs et génère une énorme valeur ajoutée. Si l’Afrique atlantique investissait dans des usines de transformation locales, elle capterait cette valeur ajoutée et renforcerait sa compétitivité. En plus de l’industrie, cette initiative devrait également booster le commerce en développant des infrastructures. Imaginez un corridor ferroviaire reliant Tanger au Cap de Bonne-Espérance ! C’est possible, mais cela nécessite une harmonisation des politiques, notamment sur les standards ferroviaires et des investissements massifs dans les infrastructures.

 

F.N.H. : Pour conclure, quels sont, selon vous, les défis majeurs à surmonter pour que le Maroc passe de pays émergent à pays émergé ?

M. L. : Le principal défi est d’accroître la sophistication de l’économie marocaine. Cela signifie intégrer davantage de technologie et d’innovation dans la production et les exportations. Il faudra également diversifier les secteurs productifs et réduire la dépendance aux services. Ensuite, le pays doit continuer à investir dans son capital humain. Les ingénieurs, la recherche et l’innovation joueront un rôle clé pour faire du Maroc un véritable leader régional et mondial. Avec un travail continu et des efforts concertés, je suis convaincu que le Maroc peut franchir ce cap et devenir un modèle pour d’autres pays émergents.

 

 

 

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