La loi marocaine sur l’eau n’intègre pas la préservation des écosystèmes d'eau douce, et par conséquent, les écosys-tèmes aquatiques. Seules deux institutions pionnières s’intéressent à cette approche.
Dans l’objectif de rationaliser ses res-sources en eau, le Maroc a adopté la loi sur l’eau visant à mettre en place une politique natio-nale de l’eau basée sur une vision prospective qui, d’une part, tient compte de l’évo-lution des ressources et, d’autre part, des besoins nationaux. Toutefois, cette loi n’intègre pas la préservation des écosystèmes d'eau douce, pourtant indispensables à l’équilibre environnemental. Il devient alors impératif de prendre les mesures néces-saires pour la sauvegarde et la préservation des écosys-tèmes aquatiques. L’enjeu est de taille dès lors qu’un écosystème en bonne santé comble les besoins des populations et améliore la qualité de vie des commu-nautés locales. Outre l’absence de cette dimension dans le cadre réglementaire, la diversité des intervenants dans la gouvernance de l'eau consti-tue également un facteur aggravant de la situation. En effet, la multitude des inter-venants diminue, voire dilue la responsabilité écologique, notamment à cause de l’in-terconnexion des attributions des différentes institutions et parties prenantes. Par ailleurs, les moyens financiers et humains des agences de bassins hydrau-liques chargées de la gestion de la ressource en eau sont en deçà des objectifs de la loi 10-95 qui, elle-même, rencontre des difficultés à être appliquée, selon le rap-port de la Cour des comptes consacré à l’eau en 2011. Il devient alors important de : renforcer les capacités des acteurs-clés de la gestion des eaux au Maroc; réa-liser une étude technique de faisabilité pour évaluer le niveau de données et d’in-formations; sélectionner la méthode de calcul du débit réservé parmi les centaines de méthodes existantes; adapter cette méthode au contexte local et la tester au niveau d’un site pilote; élaborer un guide de mise en place et d’application du débit écologique pour les cours d’eau du Maroc. La compréhension du fonc-tionnement des cours d’eau est indispensable pour le maintien et la protection des fonctions et services éco-logiques dont dépend l’être humain. Aujourd’hui, seules deux institutions pionnières, à savoir le Fonds mon-dial pour la nature WWF et l’Agence du bassin de Sebou, s’intéressent à cette approche depuis 2013, et ce dans le cadre d’un pro-gramme dédié au dit bassin. Toutefois, cette approche ne doit pas se limiter à ces deux institutions, mais prendre une envergure nationale.
L'oeil de l'expert
Une nouvelle approche en discussion
La gestion de l'eau et la conservation des éco-systèmes et des eaux douces au Maroc est un défi majeur des prochaines décennies. Les sources de pression anthropogéniques telles que l’intensification de l'utilisation des terres, la surexploitation des eaux souterraines et l’augmentation perpétuelle de la demande en eau en raison de la croissance démographique et économique, sont des facteurs qui accentuent la vulnérabilité des écosystèmes d'eau douce et des personnes qui en dépendent. En outre, les effets relatifs aux changements climatiques réduiraient davantage les apports naturels en eau. Il est indispensable, plus que jamais, de préserver pour mieux gérer nos ressources en eau. La plupart des rivières du Maroc ont connu de lourds aménagements lors des dernières décennies, avec des conséquences désastreuses pour les écosystèmes aquatiques. Une attention particulière de l’Etat est aujourd’hui consacrée à la mobilisation des ressources en eau dans la perspective d’accompagner le développement du pays. Cette mobilisation permet, jusqu’à présent, la sécurité en eau potable et en eau pour l’irrigation de millions d’hectares, mais elle modifie incontesta-blement, et de façon parfois irréversible, les conditions naturelles des écosystèmes naturels, en général, et des rivières en par-ticulier. Elle peut ainsi conduire à l’extermi-nation de certains services écosystémiques importants qui sont fournis par ces écosys-tèmes, tels que la production d’eau potable, (pour l’agriculture ou autre), la production de poissons, la récréation et la recharge des nappes d’eaux souterraines, le tourisme…. Aussi, la Stratégie nationale de l'eau recom-mandet-elle la poursuite de la mobilisation des ressources par la construction de 60 grands barrages et 1.000 petits barrages, ce qui ne pourrait qu’accentuer les problèmes si des actions accompagnatrices ne sont pas envisagées. Depuis quelques années, une approche plus intégrée de la gestion des ressources en eau et des milieux aquatiques a été adoptée dans de nombreux pays du monde, et ce confor-mément à un certain nombre de conventions internationales qui encouragent et suscitent la prise en considération des besoins des composantes de l’environnement, au même titre que les autres usages. Dans le cadre de la Stratégie nationale de l’eau, le Maroc a le devoir, aujourd’hui, d’atténuer certaines altérations hydrologiques nuisibles au milieu naturel, à travers, entre autres, la mise à niveau de la législation environnementale, notamment la loi 10-95, et à son amé-lioration ou à la réforme de l’arsenal juridique national, et son adaptation à l’évolution du secteur au niveau mondial. Un exemple à traiter dans ce contexte est celui de l’intégration du débit écologique comme composante de gestion intégrée des ressources en eau au Maroc dans la révision de la loi sur l’eau, en cours depuis plus d’une année. Le débit écologique représente le flux requis pour atteindre les objectifs du bon état éco-logique pour les eaux de surface. Il est également appelé débit réservé. Ce débit décrit le pourcentage de débit d’eau par rapport au débit total moyen que les propriétaires ou ges-tionnaires d’un ouvrage hydraulique (barrage ou ouvrages d’abstraction d’eau …) doivent destiner aux écosystèmes et à leur fonctionnement naturel en aval des infrastructures. Le débit écologique est différent du débit sanitaire qui consiste à lâcher l’eau pour pallier à des problèmes sanitaires ou pour diluer les pollutions. Jusqu’à aujourd’hui, la notion du débit écologique a été complètement absente de la législation marocaine, et si cette dernière fait référence à la demande en eau des systèmes aquatiques terrestres, sa satisfaction n'est malheureusement pas prise en considération. La loi 10-95 sur l’eau met l'accent sur la préservation de la qualité et de la quantité des ressources en eau dans la perspective de satisfaire les besoins humains (en eau potable) et économiques. La protection des écosystèmes reste cependant marginale. L’adoption d’une telle approche ne pourrait être bénéfique et réalisable au Maroc que si les différents acteurs-clés de gestion des ressources en eaux se l'approprient et en particulier, les agences de bassin, le ministère chargé de l’Eau ainsi que les gestionnaires. En dehors de l’aspect réglementaire, l’aspect technique devrait être révisé avant d’être appliqué au contexte marocain.
Bio express
Docteur en chimie de l’environnement en 2004 de l’Université Mohammed V de Rabat, Meryem El Madani, est expert senior-consul-tante auprès du WWF pour le programme eaux douces du Maroc, depuis 2007. Nommée par la fondation suisse Mava par-tenaire de l’année 2011 dans toute la région d’action de la Fondation, elle est également membre de l’association marocaine de l’éco-tourisme et de la protection de la nature et de l’Association des amis du Parc national d’Ifrane.