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Entretien : «La COP de Marrakech sera aussi importante que celle de Paris»

Entretien : «La COP de Marrakech sera aussi importante que celle de Paris»

Hakima El Haite

La participation du Maroc à la COP21 a été intense. Plus de 30.000 personnes ont visité les pavillons du Maroc. L’accord de Paris est un texte multidisciplinaire qui touche non seulement au climat, mais également au développement humain, à la lutte contre la pauvreté, aux droits humains, aux femmes, à l’avenir de la biodiversité, aux équilibres des écosystèmes… Hakima El Haïté, ministre déléguée chargée de l’Environnement, revient sur la participation du Maroc à la COP21, aux enjeux de la réussite de la COP22 et aux défis environnementaux que le Maroc sera amené à relever dans les prochaines années.

Finances News Hebdo : Le Maroc a fait le choix de jouer un rôle important dans la lutte contre les changements climatiques mais aussi dans la réussite de cette COP21 qui a été couronnée de succés. Concrètement, quel a été le rôle que la délégation maro­caine a joué dans les négociations qui ont donné lieu à un accord universel sur le climat ?

Hakima El Haïté : La participation du Maroc à la COP21 a été intense. Une importante délégation de 760 délégués avec à sa tête SM le Roi, le Prince Moulay Rachid et les différents membres du gou­vernement, a mené une activité intense durant tout cet événement. Cette délégation a assisté et parti­cipé au programme de side event, les journées thé­matiques qui étaient organisées durant la COP21.

Les ministres marocains, les patrons d’entreprise ou encore les présidents d’institutions financières ont ainsi animé environ 25 débats sectoriels au sein du pavillon Maroc, l'un des plus fréquentés et visités lors de cette COP. Un pavillon réparti en 3 pavillons au niveau du village.

Le premier était celui des solutions hautement technologiques où nous avions présenté les plus grandes réalisations et chantiers environnementaux et de développement durable dans notre pays ainsi que les grandes politiques nationales d’adaptation aux changements climatiques (politique de l’eau, de l’agriculture, de l’énergie…). L’objectif de ce pavillon, visité par toutes les délégations étrangères (20.000 visiteurs), a été de promouvoir la destina­tion Maroc comme étant le hub des technologies mais aussi de situer le Royaume comme étant une plate-forme tournante vers l’Afrique.

Le deuxième pavillon était destiné à la délégation marocaine où nous tenions nos réunions et les rencontres B to B avec les négociateurs en chef des groupes de négociation. Au total, j’ai tenu, durant les 15 jours, 17 réunions par jour en moyenne pour discuter avec les négociateurs des termes de l’accord. Cela témoigne du leadership du Maroc dans ce domaine. Notre avis a donc été sollicité et partagé avec toutes les délégations et les visiteurs.

Certes, le Maroc n’est pas un pays pollueur mais il prône un nouveau modèle de développement à savoir un développement durable. Nous avons une vision qui réconforte d’une part, les pays industrialisés et développés étant donné que notre pays a réussi à s’adapter au climat en forgeant un nouveau modèle de développement. Et d’autre part, les pays en développement et vulnérables puisque le Royaume a pu, malgré ses faibles ressources, se développer en trouvant des solutions alternatives afin d’assurer sa croissance.

Toutefois, dire que le Maroc est un modèle ne signifie pas pour autant que tout est réalisé mais que le pays est en phase de forger son modèle de croissance. Grâce à ce modèle, notre avis a été important au niveau des négociations.

F.N.H. : Dans le cadre de cet Accord, le Maroc s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 13% à l'horizon 2030. Comment envisagez-vous honorer cet engagement ?

H. E. H. : Tous les secteurs sont déjà impliqués, étant donné que notre contribution est transver­sale. Cet engagement comporte deux parties. La première, qui est relative à la réduction de 13%, est la participation inconditionnelle du Maroc pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. En d’autres termes, les 13% représentent des actions de lutte contre les changements climatiques, qui sont déjà intégrées dans nos politiques publiques à l’horizon 2025. La seconde partie, qui est aussi transversale, est la diminution des émissions de 19%. Un engagement conditionné par des finan­cements internationaux et l'implication de tous les acteurs. Cet engagement permettra au Maroc de prôner un modèle de développement durable intégrant la composante climat. Pour atteindre cet objectif, il faudra apporter des changements au niveau des technologies (sobre en carbone) dans tous les secteurs (énergie, efficacité énergétique, déchets, agriculture, eau, construction, mobilité urbaine…).

Cette partie conditionnelle nécessite en effet de nouvelles technologies, le renforcement des capa­cités et des financements.

Nous devons développer des outils qui nous per­mettront de mesurer, vérifier les taux d’émis­sion…, et in fine faire un reporting.

Nous devons donc nous préparer à recevoir et uti­liser à bon escient cette aide financière, qui n’est pas fortuite mais conditionnée par des systèmes de mesure, de contrôle et de suivi.

F.N.H. : La participation de cette importante délégation, vous a-t-elle permis de faire la promotion de la COP22 qui se tiendra à Marrakech en novembre 2016 ?

H. E. H. : Évidemment. Nous avions érigé un 3ème pavillon, à la demande des Nations unies, spécia­lement dédié à la COP22 dans lequel nous avons donné plus de visibilité aux visiteurs et aux diffé­rentes délégations sur la destination Maroc, sur la ville ocre qui abritera cet événement et sur l'organi­sation de la COP22. Nous avons exposé les grands chantiers de la prochaine COP ainsi que les piliers sur lesquels elle va reposer. Je peux vous dire que nous avons déjà des réservations de stands.

F.N.H. : Maintenant que cet Accord tant attendu par la communauté internationale a été adopté, quels seront les défis à relever par la COP22 ?

H. E. H. : C’est clair que l’aboutissement de l’ac­cord est un exploit pour toute la communauté. Pour la simple raison que cet Accord est le premier texte international fait pour l’humanité. C’est un texte multidisciplinaire, qui touche non seulement au cli­mat mais également au développement humain, à la lutte contre la pauvreté, aux droits humains, aux femmes, à l’avenir de la biodiversité, aux équilibres des écosystèmes…

Ce texte va amener l'humanité à changer ses modes de comportement, de production, de consomma­tion, de circulation…, et donc à construire une nouvelle civilisation.

La tension était très vive parce que c’est un texte qui est extrêmement difficile à plusieurs niveaux avec des défis et des enjeux tellement différents d'un pays à l'autre. Le consensus a été difficile, mais nous l’avons réussi.

Cet accord est avant tout politique car il engage les chefs d’Etat, seuls aptes à pendre de tels engage­ments.

Maintenant au niveau de son application, c’est à Marrakech qu’il va falloir trouver un instrument pour chaque ligne de ce texte, purement technique, afin qu’il puisse devenir opérationnel. Une tâche des plus difficiles, vous en conviendrez. C'est pour cela que je pense que la tension sera encore plus vive à Marrakech. La connaissance technique et la pertinence du développement des outils seront une tâche lourde pour le Maroc d'où la nécessité de mobiliser tous les acteurs.

F.N.H. : Quelles retombées attendues de la COP22 sur notre pays ?

H. E. H. : Un rayonnement sans précédent et exceptionnel au niveau international. Le Maroc a été classé parmi les meilleurs pays au niveau mondial, que ça soit par rapport à sa contribution technique que sa vision globale.

Plus de 30.000 visiteurs seront attendus à la COP22, qui viendra finaliser le succès de Paris. Nous avons promu la pertinence et l’importance décisives de la COP22, lors de la COP21, par la sensibilisation de toutes les parties prenantes. La communauté internationale doit savoir que Paris n’est pas une fin, mais le début d’un long pro­cessus qui va débuter à Marrakech et où seront développés les outils qui vont traduire toutes les décisions politiques prises à Paris.

Mon objectif et celui de toute la délégation maro­caine lors de la COP21 se résumaient à faire comprendre à la communauté internationale que c’est au niveau de Marrakech que les solutions devront être dénouées. D’ailleurs, SM le Roi l’a bien souligné dans son discours précisant que c’est entre Paris et Marrakech que l’avenir de l’humanité va se décider. Je n’ai aucun doute que la COP de Marrakech sera aussi imposante que celle de Paris.

F.N.H. : Vous êtes à la tête du ministère depuis plus de 2 ans et demi. Quel bilan faites-vous de votre mandat ?

H. E. H. : Depuis que je suis à la tête de ce minis­tère, nous avons réalisé plus de projets qu’en 15 ans. Les réhabilitations, les décharges, les études détaillées qui sont finalisées et dont les travaux seront lancés incessamment, la refonte du labo­ratoire national, la création de la station des PCB, le lancement des filières de gestion des déchets, le renforcement du cadre réglementaire et juri­dique…, sont autant de projets qui ont vu le jour en un temps record.

C'est aussi la première fois que l'environnement permet de lever des fonds qui sont injectés dans l'environnement. Autre fait important, la création, et c’est une première dans les annales du ministère de l'Environnement, des directions régionales. Nous avons également créé la police de l'environnement, qui vérifie désormais la conformité de chaque projet par rapport aux exigences du cahier des charges, de l'étude d'impact environnemental.

Il faut relever que durant ces dernières années, une dynamique environnementale nouvelle a été créée dans notre pays, notamment au niveau juridique, suivi d'un travail d’accélération de mise en oeuvre des projets. J'aurais aimé avoir plus de moyens financiers et, surtout, plus de temps car je rêve de faire de la question environnementale une cause citoyenne nationale.

Le facteur limitant est le temps. Raison pour laquelle, je me suis focalisée sur des projets qui auront un impact optimal sur la population. Les plans d'action étaient concentrés dans les zones les plus vulnérables, qui souffraient de problèmes de contamination des nappes, de pollution, des déchets…

Désormais, une base solide est mise en place avec un programme d'urgence. Il va falloir mettre en oeuvre la Stratégie nationale de développe­ment durable au niveau de tous les départements ministériels. Et pour y parvenir, il faudra dans la prochaine configuration ministérielle, un super ministre et un super ministère pour faire en sorte que notre pays aille vraiment vers le développement durable.

Propos recueillis par Lamiae Boumahrou

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