Né en 1956, Amin Bennouna est Docteur en physique, qu’il enseigne depuis 1980.
Cofondateur d'une société d'énergie solaire et d'un Cabinet de conseil, il assiste la création d’entreprises innovantes, contribue à construire un scénario énergétique pour le Maroc en 2030, et est vice-président de l’Amisole. Collaborateur à des initiatives de recherche et d'éducation, il dépasse la centaine de publications. En 2009, il obtient un prix pour son «Outil de décision pour la conception d'un système solaire avec stratégie prédéfinie». En 2011, il publie la «Monographie de l'énergie au Maroc». Depuis 2014, il dirige le projet «Propre.ma» pour cartographier la productivité solaire photovoltaïque du Maroc.
Les dernières news du climat global
Pour juillet 2016, le service Copernicus sur le changement climatique, exploité par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (EPMMT), a confirmé une augmentation de 0,19°C de la température moyenne globale de l’air de surface, augmentation supérieure aux précédents records de 2009 et 2015 [1]. Chacun des 12 derniers mois a été le plus chaud jamais enregistré du fait du réchauffement climatique progressif alors que la variabilité du climat et l’activité humaine se combinent pour produire de nouveaux extrêmes [1]. Les conditions ont été exceptionnellement chaudes dans le Nord-ouest de la Russie où les températures ont conduit à une fonte du pergélisol (sous-sol gelé, «permafrost» en anglais). Ces conditions durant les mois de juin et juillet coïncident avec de nombreux feux de forêt identifiés en Sibérie [1].
C’est au lendemain d’informations climatiques aussi moroses que Marrakech abritera la 22ème Conférence des Parties (COP22) sur la lutte contre les changements climatiques. Mais à propos de Marrakech, comment évolue «son» climat ?
Comparaison du global avec le local
Comparée à ce qu’elle a été pendant la période 1951-1980, la température moyenne globale de la planète augmente de façon régulière. Durant les 35 dernières années (1980 à 2015), le comportement tendanciel moyen de la température de l’hémisphère Nord a augmenté d’environ 1,05°C, comme indiqué par la courbe en rouge (échelle de droite) de la Figure 1.
Dans le même temps, le comportement tendanciel moyen de la température de Marrakech a augmenté d’environ 1,60°C, comme indiqué par la courbe en bleu (échelle de gauche) de la Figure 1. Pour résumer, Marrakech s’est échauffée de 0,6° de plus que l’hémisphère Nord auquel elle appartient. Autour de la courbe de tendance moyenne, les fluctuations sont plus importantes pour une température locale (Marrakech, en bleu) que pour une température globale (Hémisphère Nord, en rouge). Mais au-delà de cela, il reste que la température moyenne de Marrakech s’est élevée nettement plus que la température moyenne globale hémisphérique.
Le réchauffement additionnel de Marrakech
Il est possible d’aborder préalablement les aspects collatéraux à cet «excédent de réchauffement climatique» local que connaît Marrakech. La Figure 2 montre l’évolution des moyennes annuelles des températures maximales (l’après-midi), minimales (à l’aube) et moyennes journalières.
Considérant une augmentation linéaire, les moyennes annuelles des températures :
- maximales (en rouge) ont subi une augmentation 2°C en 50 ans (0,04°C par an),
- minimales (en bleu) ont subi une augmentation de 0,75°C en 50 ans (0,015°C par an),
- moyennes (en noir) ont subi une augmentation de 1,5°C en 50 ans (0,03°C par an).
Pour parler un langage commun, cela signifie que la fraîcheur des matins de Marrakech se dégrade moins que la chaleur de ses après-midi. Le vent est faible à Marrakech et ce n’est pas une ville où l’on pourrait exploiter efficacement l’énergie éolienne. En plus, le vent permet de disperser les polluants à l’extérieur des concentrations urbaines. La Figure 3 montre l’évolution de la vitesse moyenne annuelle du vent à Marrakech. La vitesse du vent est un paramètre fortement fluctuant et il est finalement assez difficile sur un tel graphique de pouvoir affirmer une baisse de la vitesse de vent dans la ville. Toutefois, lorsque l’on évalue les vitesses moyennes du vent sur 20 ans pour un mois donné, on réalise : - que les vents sont minimums autour de 1,7 m/s en hiver (de fin octobre à fin janvier) et maximums autour de 2,7 m/s en été (de début mai à fin août), - que, pour être une ville faiblement ventée, la ville Rouge perd, entre 0,05 et 0,1 m/s selon les mois (entre 0,2 et 0,4 km/h) tous les 20 ans. Cela peut paraître faible, mais dans un contexte de densification urbaine, cela reste une perte appréciable pour une ville dont la moyenne annuelle de la vitesse du vent n’atteint pas 2,5 m/s (9 km/h). Pour parler un langage commun, cela signifie qu’il y a de moins en moins de vent pour faire «respirer la ville». C’est sans doute dû à la légère montée locale de la température qui créé une zone de surpression forçant les vents à «contourner» la ville.
La pluviométrie est faible à Marrakech et l’on en parle bien volontiers lorsqu’il s’agit d’approvisionnement en eau. On oublie souvent que la pluie permet aussi de nettoyer l’air des agglomérations urbaines par dissolution d’un grand nombre de polluants qui se trouvent dégagés dans les évacuations d’eaux pluviales. La Figure 4 montre l’évolution de la pluviométrie moyenne annuelle à Marrakech
Non seulement la pluviométrie de Marrakech est faible (225 mm, ou litres par m², en moyenne sur les 20 dernières années), mais baisse légèrement et sa fluctuation fait qu’elle peut atteindre le double de cette valeur (comme en 1982 et 2006) comme elle peut descendre en dessous de la moitié (comme en 1981 et 2001). Pour parler un langage commun, cela signifie qu’il y a aussi de moins en moins de pluie pour «laver l’air de la ville», et que cela devient critique les années de faible pluviométrie. Pour ce qui concerne les microparticules en suspension dans l’air (le «poison» des grandes agglomérations), à cause de la combinaison de la faiblesse du vent et de la pluviométrie, et malgré une moindre concentration d’infrastructures industrielles, Marrakech fait à peine mieux que Casablanca [4]. Avec 58 µg/m³ de particules fines MP10 et 24 µg/m³ pour les MP2,5 [5], la ville ocre dépasse déjà les valeurs recommandées par l'Organisation mondiale de la santé (respectivement inférieures à 20 et 10 µg/m³). Il est vrai que nombre de grandes métropoles font bien pire, mais pourquoi devrait-on regarder dans cette direction ? Marrakech a déjà la malchance d’avoir aussi ses propres sources de particules «naturelles» (de poussière du désert et de pollens) qui s’ajoutent à celles de la pollution anthropique.
Les raisons du réchauffement additionnel de Marrakech
A défaut d’un modèle quantitatif du pourquoi, voyons quelques causes, a priori essentielles, de ce réchauffement additionnel de Marrakech. Une part de réchauffement local peut venir s’ajouter au réchauffement global par : - la production d’électricité sur place : Marrakech ne comporte pas de centrale électrique, - l’urbanisation qui, en elle-même, augmente le rayonnement thermique absorbé par l’air, - la consommation de combustibles sur place : l’essentiel de ceux-ci est destinée aux transports. La Figure 5 montre l’évolution du parc roulant de véhicules dans la Région de MarrakechTensift-Al Haouz, hors cyclomoteurs sans permis [6].
Difficile d’imaginer qu’un doublement du parc automobile en 10 ans ne génère pas de réchauffement climatique local (en plus des particules). Les «patrons» successifs de la Communauté urbaine de Marrakech ont fait des efforts louables pour fluidifier le trafic et étendre les services des transports en commun mais ces derniers efforts ont dû être «socialement orientés» et ne sont pas encore de nature à dissuader les automobilistes à utiliser leurs voitures (ou, au moins, à les inciter à ne pas le faire).
Records météorologiques enregistrés à Marrakech
Il ne reste plus qu’à espérer que le réchauffement additionnel du climat de Marrakech «réchauffe favorablement» le Climat de la COP22 et oriente les Chefs d’Etat des pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre vers des engagements plus contraignants à réduire leurs émissions. L’heure tourne et les émissions de CO2 d’aujourd’hui vont continuer à influencer le climat de la Terre pendant 200 ans !