Le Maroc a l'avantage de bénéficier pleinement des retours d'expériences de nombreux pays et, surtout, d'éviter leurs erreurs.
Les développeurs en solaire et surtout en éolien attendent toujours le décret d'application de la loi.
Amine Bennouna, professeur à l’Université Cadi Ayyad, Marrakech, estime que plus on attend pour réglementer la moyenne et basse tension, plus on risque de voir fleurir des installations pirates.
Finances News Hebdo: Malgré la mise en place d’un cadre juridique et réglementaire qui donne accès à la très haute, à la haute et à la moyenne tension pour l’électricité produite à partir de sources renouvelables, seules les deux premières sont aujourd’hui opérationnelles. A votre avis, à quoi ce retard d’ouverture est-il dû ? Et quelles sont les conséquences qui en découlent ?
Amine Bennouna : Il faut savoir que le bénéfice net par KWH décroît quand on passe de la haute (ou très haute) tension vers la basse tension et que les clients MT et surtout BT contribuent substantiellement aux grands équilibres comptables et financiers de l'ONEE et des 12 autres distributeurs. En tant que Marocain, je ne voudrais pas que l'on porte atteinte aux grands équilibres de ces opérateurs, mais ceux-ci doivent aussi comprendre que, sans ressources conventionnelles, le Maroc doit exploiter les énergies renouvelables. Par ailleurs, il est vrai que la mise en œuvre de la connexion sur les réseaux MT et BT pose certes des problèmes techniques spécifiques. Pourtant, des solutions existent, tant pour les aspects financiers que techniques, mais, vu de l'extérieur, il semble que les opérateurs retardent quelque chose qui, de toute façon, est inéluctable. Pour ce qui est des conséquences, je vois d'abord que certains développeurs en solaire mais surtout en éolien, qui ont déjà un portefeuille clients potentiels raccordés à la moyenne tension, attendent encore et toujours un décret d'application. C'est autant de KWH qui basculeraient du conventionnel vers le renouvelable. Mais je vois aussi que les coûts de production du solaire photovoltaïque sont aujourd'hui en parité avec les prix pratiqués sur la basse tension et plus on attend pour réglementer, plus on risque de voir «fleurir» des installations pirates. Elles existent déjà et il ne faut pas attendre que les choses prennent des proportions telles qu'il sera difficile de sévir. Il faut savoir que le solaire photovoltaïque produit du courant continu (comme les batteries) et que l'injection d'électricité dans le réseau nécessite l'usage d'onduleurs. Lorsque ces onduleurs sont de mauvaise qualité, ils peuvent renvoyer des harmoniques indésirables qui feront, par exemple, ronfler les moteurs dans le voisinage ou mettre à mal certaines alimentations de nos appareils.
F.N.H.: Quels sont les dispositifs à mettre en place pour réussir cette transition ?
A. B.: Il serait trop long de faire la liste des différentes options techniques et financières qui existent. Ayant assisté aux 2 seules réunions (la dernière à fin 2013) de la Commission élargie de la mise en œuvre de l'injection d'électricité solaire dans le réseau basse tension, je peux vous affirmer que des solutions existent et que certaines solutions financières ne font appel à aucune subvention. Nous avons l'avantage de bénéficier pleinement des retours d'expériences de nombreux pays et, surtout, d'éviter leurs erreurs ou le fait de recourir à certaines solutions commercialement ou techniquement dépassées.
F.N.H.: Le Conseil de gouvernement a récemment adopté le projet de loi 57-09 portant création de la Moroccan Agency for Solar Energy «Masen». Dans quelle mesure ce changement va-t-il impacter le secteur énergétique marocain ?
A. B.: Etant moi-même dans le domaine de l'énergie solaire depuis plus de 30 ans maintenant, vous imaginez bien que je n'avais que les deux mains pour applaudir la création d'une telle Agence. Cette dernière est chargée de mettre en œuvre des directives royales visant à exploiter des ressources nationales dans les meilleures conditions et, disons-le, au moment opportun. J'ai particulièrement apprécié le fait que l'Agence a une vocation unique (2.000 MW en 2020), avec tout ce que cela suppose pour l'évaluation...
F.N.H.: Pensez-vous qu’au rythme de la mise en œuvre de la feuille de route du plan solaire marocain, l’objectif des 2.000 MW prévus à l’horizon 2020 sera atteint ?
A. B.: J'ai déjà abordé ce sujet avec d'autres médias et je ne demande qu'à être démenti. Si je suis autant convaincu que les 2.000 MW d'éolien seront installés en 2020, je suis persuadé que les 2.000 MW de solaire ne seront pas encore entièrement visibles. La nouvelle Masen aura la tâche encore plus ardue à achever ces 2.000 MW solaire puisqu'elle s'occupe dorénavant de toute l’énergie renouvelable du pays : éolienne, solaire et hydraulique, et la gestion de leur intermittence. Il est vrai que l'intégration des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) comme celle d'Afourer va permettre à l'agence de stocker l'énergie pour la restituer à des heures où le pays en a le plus besoin. Gageons que cette entité nouvellement créée accélérera le processus de réalisation des futures STEP, comme celles de Abdelmoumen (très en retard) et de Ifahsa, et qu'elle ouvrira ce même secteur aux investisseurs privés qui souhaitent se positionner sur des STEP de tailles plus petites.
Propos recueillis par L. Boumahrou