Abdeladim Lhafi, commissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la désertification et commissaire du Comité de pilotage de la COP22, revient sur les conclusions de la COP22, mais aussi sur les défis qui restent à relever pour la mise en application de l’Accord de Paris.
Le montant des investissements mobilisables est important, mais tout aussi importants sont les critères d’éligibilité et la simplification de la procédure pour mobilier ces fonds. La reconfiguration du Comité de pilotage se fera probablement au courant de ce mois.
Finances News Hebdo : Deux mois après l’organisation de la COP22, quelles conclusions peut-on tirer de cette COP dite de l’action ?
Abdeladim Lhafi : L’évaluation de la réussite de cette grande rencontre climatique doit se faire sur plusieurs axes. D’abord sur le plan organisationnel. Le Maroc a été à la hauteur des attentes en relevant les défis liés au respect de l’agenda des side-events, au contenu scientifique des événements, au nombre des participants (dépassant même les prévisions), à la sécurité, à la logistique, aux infrastructures, aux équipements…
Les avis sont pratiquement unanimes sur la réussite de la COP22 que beaucoup ont qualifié de meilleure COP organisée. Deuxième élément d’évaluation, c’est cette forme d’intégration de cette conférence dans la ville. L’évènement s’est déroulé dans une harmonie globale sans barrières entre l’évènement et le reste du tissu urbain. Troisième élément d’évaluation, ce sont les rencontres des négociations, c’est-à-dire sur le modèle standard des COP.
L’Accord de Paris n’était pas soumis à renégociation mais il était question de négocier les modalités d’application pour lui donner un contenu concret et le décliner sur le plan opérationnel.
Le financement, l’adaptation, le transfert de technologies, l’évaluation des risques, le renforcement des capacités…, tels sont les sujets au cœur des négociations. Sur le plan des négociations, il y a eu des avancées importantes. Certaines thématiques sont tombées à maturité et d’autres devront être muries d’ici 2018 qui sera une année charnière. Et pour cause, 2018 sera une année d’évaluation qui nous permettra de donner plus de visibilité quant aux efforts consentis et leur comparaison aux objectifs fixés par l’Accord de Paris en termes de réduction des températures dans les limites convenues.
Il faut relever aussi que la COP de Marrakech, avait une originalité, en ce sens qu’elle n’était pas un simple débat entre négociateurs sur des aspects strictement techniques sur la science climatique, mais plutôt un débat global qui nous place résolument dans la configuration de changement de modèle de développement. Et c’est probablement là que se situe le défi majeur,celui de la reconversion en réussissant la transition.
F.N.H. : Contrairement à ce qui était prévu, la question du financement n’a pas été tranchée lors de la COP. Pis encore, le défi d’équilibrer l’équation adaptation/atténuation n’a pas été relevé. Quelle lecture faites-vous de cet échec ?
A. L. : La question du financement, pour importante qu’elle soit, doit être appréhendée sous la bonne approche et ne doit pas être réduite à une conditionnalité comptable linéaire. Les 100 milliards de dollars, constituant les flux financiers minimums à mobiliser à partir de 2020, sont des montants accessibles pour peu que nos actions en faveur du climat s’intègrent dans une vision globale de reconversion des models de développement. Et pour cela, les signaux que donneront les pouvoirs publics sont essentiels, pour une visibilité au long cours, sécurisant les investissements autour de politiques claires et s’appuyant sur des leviers lisibles en termes de fiscalité et de cadrage légal et réglementaire. Sous cet angle, la mobilisation des fonds pourrait être facilitée et dépasserait le niveau minimum escompté .Dans ce contexte, l’attractivité pour les investissements privés sera le moteur de transfert des fonds vers les nouveaux modèles de développement. Les montants d’investissements mobilisables sont importants, mais tout aussi importants sont les critères d’éligibilité, et la simplification de la procédure pour mobilier ces fonds.
F.N.H. : Qu’en est-il de l’adaptation, parent pauvre du financement climatique ?
A. L. : Le débat adaptation/atténuation est un peu frelaté à mon avis. Et pour cause, il est extrêmement difficile de tracer une frontière entre les projets d’adaptation et ceux d’atténuation. Je pense que les deux aspects sont deux faces d’une même médaille. Il est clair que certains projets n’ont pas une rentabilité financière élevée et par conséquent n’attirent pas les investissements privés en prédilection.
C’est pourquoi parmi les solutions qui ont émané à Marrakech, il y a les financements innovants, c’est-à-dire un couplage entre les investissements publics, privés, le mécénat et la philanthropie.
Cette combinaison permet de donner des modèles qui assurent le traitement des autres aspects du changement climatique, pour ne pas le réduire à une simple opération de rentabilité financière à court terme. Les aspects adaptation et le rapport adaptation/atténuation sont des données essentielles de cette équation du défi climatique, essentielle parce que nécessaire, et incontournable pour la stabilité sanatoriale, la sécurité, la pérennité et l’équité sociale.
L’un des enseignements majeurs au niveau de Marrakech c’est effectivement cette approche globale. Nous sommes dans une configuration de gestion de la globalité. Et c’est ce qui explique le lien direct entre les changements climatiques qui peuvent être perçus comme un problème scientifique, technique ou de négociation, et les problèmes de développement, principalement les objectifs de développement durable des Nations Unis (ODD) 2030.
Ceci dit, l’avancée se fera progressivement à condition de pouvoir faire la formation des capacités humaines et institutionnelles et d’intégrer la vision de l’atténuation et de l’adaptation dans le contexte global du développement.
Les approches globale et territoriale sont les entrées fondamentales pour traiter les questions du climat et du développement durable si l’on veut agir dans l’objectif d’un équilibre global et durable.
F.N.H. : L’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis ne risque-t-elle pas de faire renaitre le climatoscepticisme ?
A. L. : Le train de la lutte contre le changement climatique et du développement durable est parti le jour de la signature de l’Accord de Paris et sa ratification à Marrakech. La preuve, le nombre de pays ayant ratifié l’Accord de Paris permettant ainsi d’arriver à Marrakech avec un taux qui dépasse largement les critères minimum de mise en application de la convention. Le rythme de ratification continue et l’objectif est de garder le caractère universel, de l’accord de Paris en ne laissant personne à l’extérieur. Les Etats-Unis pour le moment sont dans l’Accord et il est souhaitable qu’ils le restent.
Par ailleurs, je dois dire que l’ère du climatoscepticisme est révolue, en ce sens qu’en 2008 ou 2009, ce courant négationniste s’appuyait sur les interstices de divergence dans quelques rapports scientifiques. Aujourd’hui, aucun scientifique crédible ne peut aller à l’encontre de l’état de fait actuel sur le changement climatique et ses liens avec les activités humaines.
Alors, nous sommes passés du climatoscepticisme de 2008 au climatopopulisme.
C’est le cas de ceux qui cherchent à véhiculer, entre autres, l’idée de l’opposition de la lutte contre le chômage, qui touche durement les économies mondiales, à la lutte contre les changements climatiques. Ce qui n’est en fait rien d’autre que de jouer sur les peurs et les mauvais arguments. L’objectif derrière la démarche de lutte contre les changements climatiques est de changer de modèle de développement pour aller vers des modèles qui permettent de créer de la croissance tout en respectant les équilibres écologiques.
En d’autres termes, nous ne sommes plus dans l’attitude de l’écologie punitive mais plutôt de créer de la richesse autrement.
F.N.H. : Trump pourrait également relancer la production du charbon aux Etats-Unis. Quels risques aura-telle sur les émissions de GES et par conséquent sur l’augmentation de la température ?
A. L. : L’histoire récente nous enseigne qu’il y a une différence entre le président candidat et le président élu. Entre le discours électoral et celui de la gestion de la chose publique il y a un espace important où la gestion des affaires publiques permet de ramener les gestionnaires à la réalité du terrain et à la complexité des défis. Nous sommes actuellement dans une configuration qui permet justement de ne pas compromettre la pérennité de la planète. Il n’y a d’autre choix que celui d’agir collectivement pour la communauté internationale. Il est certain que dans ce mouvement de reconversion de nos modèles de développement, naît un conflit d’intérêt où chacun essaie d’avoir le maximum d’avantages. Il appartient à la négociation de dégager les meilleures combinaisons possibles.
Par ce genre d’exercice, le syndrome du «passager clandestin» ou «free rider» complique la tâche en ce sens que certains, sans récuser l’objectif et l’impératif d’y arriver, celui de lutter contre le changement climatique, essaient de monter dans le wagon sans s’acquitter du prix.
F.N.H. : Contrairement aux attentes, l’on constate qu’il y a un relâchement de la mobilisation de la communauté internationale après la COP22. A quoi attribuez-vous cela ? A. L. : Les deux mois qui suivent une COP sont souvent des mois «décompression» après la succession des préparations. Pour le cas de la COP22, la reconfiguration des équipes par rapport à une feuille de route de mission de la présidence marocaine et actuellement en phase de préparation. Cette accalmie apparente précède un dynamisme qui va s’enclencher dès fin janvier, avec un ensemble de points de repères notamment la rencontre du mois de mai à Bonn (Allemagne).
F.N.H. : Et qu’en est-il du Maroc qui assure la présidence de la COP22 jusqu’à fin 2017 avant de passer le flambeau aux îles Fidji ? Y aura-t-il un changement au niveau du Comité de pilotage pour cette deuxième étape ?
A. L. : Il faut préciser que le Comité de pilotage a été constitué pour préparer la COP22. Cela dit, la présidence marocaine sera configurée différemment. La reconfiguration du Comité de pilotage se fera probablement au courant de ce mois pour essayer de positionner les trois éléments essentiels, à savoir la négociation, le volet scientifique ainsi que le suivi des différentes initiatives.
A noter que le sommet africain qui s’est tenu en marge de la COP22 est en soi une feuille de route qui comporte plusieurs initiatives, parmi lesquelles le triple S dont les termes de référence ont été mis en place le 9 janvier entre le HCEFLCD, le CNULCD et le Sénégal président du NEPAD.
Pour donner corps aux différentes initiatives lancées notamment le triple A, la muraille verte, le lac Tchad, le Fonds bleu, le bassin du Congo…, nous devons affiner nos démarches, sur un agenda opérationnel durant toute l’année 2017.
Propos recueillis par Lamiae Boumahrou