Le secteur s’est engagé à réhabiliter toutes les carrières ainsi que la faune et la flore des sites exploités.
Il faut développer une industrie de valorisation des déchets qui permettra au secteur de devenir un bon élève. Une économie circulaire est en train d’émerger dans le secteur. Pour David Tolédano, président de la Fédération marocaine des matériaux de construction (FMC), le Maroc peut parfaitement concilier émergence industrielle et protection de l’environnement.
Finances News Hebdo : Quelle est votre position par rapport aux engagements pris par notre pays de lutter contre le changement climatique ?
David Tolédano : D’abord, le Maroc n’est pas un grand pollueur comme vous le savez. Malgré cela, notre pays a choisi de prendre des mesures et de se positionner en tant que leader. SM le Roi a eu une position extraordinaire en voulant défendre non seulement les intérêts du Royaume, mais également ceux de l’Afrique en revenant sur les nuisances qui affectent le continent le moins polluant de la planète. C’est pour cela que l’on a demandé que la plus grande partie des financements climatiques soit consacrée aux pays les plus touchés.
Maintenant, en ce qui concerne les industriels des matériaux de construction, nous sommes, au niveau mondial, les plus gros consommateurs d’énergie (+35%), les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (25%) ainsi que des déchets. Conscients de cette réalité, les industriels marocains ont consenti des efforts importants pour changer la donne et pour se mettre à niveau. Je prends le cas des cimentiers, leur cahier des charges précise la réhabilitation des carrières à la fin d’utilisation. Une mesure généralisée pour toutes les exploitations des carrières, notamment de sable, de marbre, de gravettes, d’argile, de plâtre, de gypse... Nous nous sommes engagés à réhabiliter ces carrières ainsi que la faune et la flore des sites exploités. Pas seulement au Maroc mais au niveau mondial. Etant aussi de gros consommateurs d’énergie, les plus grandes industries du secteur de matériaux de construction ont été des précurseurs de la production et l’utilisation des énergies alternatives. C'est le cas de Lafarge, qui a été la première entreprise à mettre en place une unité de production d’énergie éolienne. En plus, les cimentiers, comme d’autres industries, vont utiliser tous les déchets peuvant être brulés.
A ce propos, nous voulons nous lancer dans une industrie de valorisation des déchets, ce qui nous permettra de devenir de bons élèves et des dépollueurs afin de restituer à la terre ce que nous prenons.
F.N.H. : Alors que l’industrie marocaine n’a toujours pas pris son envol, le gouvernement s’est engagé au niveau international à réduire ses GES. Cela ne risque-t-il pas d’entraver l’objectif que le pays s’est fixé, à savoir devenir une puissance industrielle émergente à l’horizon 2020 ?
D. T. : Il n’y a pas antinomie entre devenir une puissance industrielle et réduire ses émissions de GES. Prenons l’exemple de l’Allemagne, l’un des pays industriels le plus puissant du monde qui, en termes d’émissions, a fait un effort considérable, alliant ainsi émergence industrielle et respect de l’environnement. Au Maroc, nos industries sont jeunes et n’utilisent pas de charbon.
Aussi, avec la cherté des énergies fossiles, nous essayons d’avoir une rentabilisation de l’énergie en utilisant du propane et en évitant le fuel lourd n°2. Nous agissons également sur le rendement en réduisant nos déchets. Un effort énorme est fait dans ce sens pour recycler et minimiser les pertes. C’est une économie circulaire qui émerge, induisant que les déchets de l’un seront utile à l’autre.
Cela dit, il y a beaucoup d’opportunités à saisir dans l’économie verte, notamment dans la gestion des déchets. A ce propos, nous demandons au gouvernement de prendre des mesures et de clarifier sa position pour que les présidents de communes sachent ce qu’il faut faire afin de relever le défi de 0 décharge.
F.N.H. : Certes, les grands industriels marocains ont pris conscience de la nécessité d’intégrer le volet environnemental dans leur politique de développement. Mais qu’en est-il des PME et TPME ?
D. T. : Ce qu’il faut savoir, c’est que entreprendre cette démarche environnementale ne coûte pas plus cher. Bien au contraire, elle permet aux artisans, aux PME et PMI de rationaliser la consommation de la matière première, de moins gaspiller et, par conséquent, de réduire leurs déchets. Cela ne nécessite pas des investissements, mais plutôt la mise en place de bonnes pratiques, changer les façons de faire et mieux maitriser le processus de fabrication.
F.N.H. : Pour revenir à la COP22, les pays riches n’ont pas tenu leurs engagements, à savoir dévoiler la feuille de route financière et équilibrer les financements entre l’adaptation et l’atténuation. En tant qu’industriel, quelle lecture faites-vous de cet état de fait ?
D. T. : Ce qui est sûr, c’est que les pays riches vont payer le prix de cette dégradation d’une façon ou d’une autre. Aujourd’hui, le maître-mot c’est l’adaptation à la nouvelle donne, notamment dans le secteur industriel à travers la réduction de la consommation d’énergie, la diminution des émissions ainsi que des déchets…
Lorsque ces pays commenceront vraiment à ressentir les effets du changement climatique, ils regretteront à ce moment d’avoir attendu si longtemps pour débloquer les fonds qui permettront de commencer réellement le processus de lutte contre ce fléau.
Ce qui est irréversible aujourd’hui, c’est qu’il y a une conscience écologique qui se développe et qui va être un puissant mobile pour obliger les gens à restituer à la terre une partie de ce qu’ils prélèvent. Et c’est à ce moment-là que nous gagnerons le combat.
Propos recueillis par L. Boumahrou