A partir du 15 octobre, le village Bab Ighli entrera dans la phase de finition intérieure.
L’entrée en vigueur de l’Accord de Paris avant la COP22 (ce qui est envisageable) serait un signal politique extrêmement fort.
Même si l’Accord venait à être appliqué avant l’échéance, l’engagement financier des 100 milliards de dollars ne sera débloqué qu’à partir de 2020.
Pour Abdeladim Lhafi, commissaire du comité de pilotage de la COP22, et Haut-commissaire aux Eaux et Forêts et à la Lutte contre la désertification, la réussite de la COP22 dépendra de 5 critères : le taux de participation, la qualité des participants, les signaux politiques ainsi que les outputs qui en découleront.
Finances News Hebdo: A Quelques semaines de la COP22, où en est le chantier du village Bab Ighli qui abritera cette messe universelle ?
Abdeladim Lhafi: Le chantier du village des négociations Bab Ighli suit son cours selon l’agenda fixé. Actuellement, la zone bleue qui va abriter les négociations, les pavillons des nations, les institutions internationales…, est pratiquement terminée à plus de 90%. Elle sera livrée à la fin de la première quinzaine d’octobre.
Le travail a également commencé au niveau de la zone verte dédiée à l’innovation, au secteur privé, à la société civile…
Normalement, à partir du 15 octobre, nous entrerons dans la phase de finition intérieure de l’ensemble de ce site pour une livraison à la fin de la 3ème semaine d’octobre.
Parallèlement au site, toutes les autres opérations sont lancées, notamment celles de délivrances des visas par une application informatique installée au niveau de la convention des Nations unies des changements climatiques, du protocole, de l’accueil, du transport, de l’hébergement…
Actuellement, nous sommes dans la phase de mise en cohérence pour que tout soit articulé de façon rationnelle et garantir ainsi les meilleures conditions de déroulement de cette conférence.
F.N.H.: En plus de l’organisation, le Maroc a un rôle à jouer dans le processus de ratification de l’Accord. Pensez-vous qu’à ce rythme (à ce jour, 62 pays l’ont ratifié, l’équivalent de 51,89% des émissions) l’Accord entrera en vigueur avant la COP22 ?
A. L.: Je pense que tous les indices montrent que nous avons de très grandes chances d’avoir la ratification, avec le double critère de 55 des pays membres et de 55% des émissions de GES, avant Marrakech.
Nous sommes sur la bonne voie. Les déclarations faites par les Etats lors de la dernière réunion qui s’est tenue à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies notamment par les plus gros pollueurs (Etats-Unis, Chine…), ont permis de remobiliser la collectivité internationale.
De même avec la ratification de l’Accord par l’Inde le 2 octobre et la décision de l’Union européenne pour une ratification de ses Etats membres, nous nous rapprochons de ces critères, ce qui serait un signal politique extrêmement fort. La ratification de l’Accord au cours de cette année est un évènement absolument exceptionnel pour un accord multilatéral.
F.N.H.: Qu’est-ce qui va changer en matière de négociations si l’Accord entrerait en vigueur avant la COP22 ?
A. L.: Cela va changer beaucoup de choses. Rappelons que l’échéance a été fixée à 2020, nous étions donc psychiquement dans la gestion du pré-2020. Aujourd’hui, si les objectifs fixés sont atteints, l’Accord entrera en application 30 jours après la satisfaction du double critère et le dépôt des instruments de ratification. Ce qui signifie que nous allons entrer dans une forme de gestion totalement différente sous le cycle du CMA* et non pas CMP* (nouvelle configuration). Cela implique de nouveaux défis en termes d’articulations. On dit de l’Accord de Paris que c’est un accord universel, équilibré et équitable. Puisque l’universalité consiste à n’exclure personne, il faut maintenir cette cohésion de la dimension internationale. Nous continuons dans cette vision universelle de l’Accord mais en fixant des délais, probablement 2018 comme date butoir. Cette année sera la clause du rendez-vous qui permettra d’évaluer les efforts de tous les pays en matière de contributions nationales (NDC) par rapport à l’objectif de 2°C maximum fixé par l’accord de Paris.
Il faudra que les Etats s’engagent pour s’impliquer eux-mêmes par un effort de ratification accéléré dans un délai raisonnable.
F.N.H.: L’entrée en vigueur de l’Accord avant échéance implique-t-elle le déblocage des 100 milliards de dollars par an avant 2020 ?
A. L.: L’engagement financier entre en vigueur à partir de 2020. La nouveauté est qu’il va falloir élaborer une feuille de route entre 2016 et 2020 pour s’assurer que les fonds seront réunis et pouvoir se situer à ce niveau minimum des 100 milliards de dollars.
En plus de la mobilisation de ces fonds, il va falloir simplifier les procédures d’accès, unifier celles des différents fonds et définir les critères d’éligibilité des projets. La manne de 100 milliards de dollars sera réunie à partir de 2020, mais pour pouvoir l’utiliser de façon rationnelle, il faut travailler sur 5 axes : transfert des technologies, formation des capacités, adaptation, innovation…
Je tiens à souligner que les 100 milliards de dollars sont des flux financiers qui seront attribués aux projets mûrs et éligibles.
F.N.H.: Vous avez parlé de feuille de route pour le financement du Fonds vert de l’adaptation. Lors de la COP22, va-t-on décider qui va financer ce fonds, quand et à hauteur de combien ?
A. L.: Il y a une commission représentée par l’Angleterre et l’Australie, qui travaille sur cette feuille de route pour qu’à Marrakech nous ayons une visibilité, la plus précise possible, sur quand arrivera cet argent. Cette visibilité montrera que les Etats développés se sont engagés effectivement pour mobiliser ces fonds nécessaires aux pays du sud qui font face aux conséquences du changement climatique.
F.N.H.: Le Maroc figure parmi les pays demandeurs de l’aide financière aussi bien pour la mise en place de ses programmes d’adaptation que pour honorer ses engagements de réduction des émissions. Le Royaume est-il en mesure aujourd’hui de mobiliser les 35 milliards de dollars dont il a besoin ?
A. L.: Chaque pays fait ses propositions de réduction de GES. Des pays comme le Maroc ont des taux d’émissions insignifiants. Donc, si l’on décide de réduire de 100% ses émissions, le signal politique est fort. Mais en réalité, en termes d’émissions, 100% d’un taux négligeable donnera une valeur négligeable. Par contre, ces fonds seront utilisés pour aller vers ce nouveau modèle de développement, notamment dans le secteur énergétique avec le développement des énergies propres. D’ailleurs, les estimations qui sont faites en termes d’adaptation se basent sur cet aspect. En d’autres termes, pour pouvoir réaliser notre programme, il faut absolument mobiliser cet argent.
A noter également que le Maroc se positionne par secteur (énergie, agriculture…). Chaque département a suggéré un certain nombre de propositions qui sont en phase d’être affinées.
Certes, la proposition marocaine a énormément évolué mais il va falloir la traduire en politiques nationales, domestiques, faisables et concrètes.
C’est un processus complexe pour qu’à Marrakech, nous arrivons avec un cap stratégique à l’horizon 2050, date à laquelle le monde s’est engagé à atteindre la neutralité carbone. Les projets arrivent donc au fur et à mesure et ceux qui tombent à maturité seront ceux les plus éligibles à ces financements.
Actuellement, nous essayons d’évaluer le montant dont nous aurons besoin pour concrétiser nos engagements.
F.N.H.: Concrètement, est-ce que le Maroc dispose désormais de projets matures éligibles aux financements internationaux ?
A. L.: Nous avons beaucoup de projets qui sont matures notamment dans certains secteurs comme celui de l’énergie. Cependant, d’autres secteurs nécessitent encore du travail, non pas par manque de ressources humaines ou institutionnelles, mais tout simplement parce que c’est plus complexe. La dernière réunion sur les métriques de l’adaptation était justement l’occasion d’échanger sur l’expertise internationale en matière de quantification des projets pour les rendre plus recevables et bancables.
F.N.H.: Est-ce que les métriques d’adaptation sont intégrées dans notre système bancaire comme c’est le cas au niveau international ?
A. L.: Il faut être réaliste quand on parle d’économie verte. Des secteurs vont attirer des fonds, notamment celui des énergies renouvelables qui donne aux investisseurs de la visibilité à moyen et long terme aussi bien sur le plan légal qu’en termes de rentabilité. Tandis que d’autres projets d’adaptation (exemple de la lutte contre les érosions) vont susciter moins d’intérêt pour les investisseurs. Il faudra alors trouver des combinaisons entre les fonds publics, le mécénat et les fonds privés dans un cadre innovant pour financer les projets non rentables. D’où l’importance du système innovant qui est en phase de se mettre en place, notamment celui de la Banque mondiale qui s’est engagée dans le cadre des accords de prêt à consacrer 40% des fonds pour les projets d’adaptation. Ces fonds peuvent jouer un rôle de levier pour l’investissement privé.
F.N.H.: Pour revenir à l’organisation de la COP22, outre la contribution de l’Etat (300 MDH) et du secteur privé marocain (200 MDH), où en êtes-vous par rapport à la contribution internationale ? A combien s'élève-t-elle ?
A. L.: La contribution suit son chemin. L’Union européenne a contribué et les autres aides bilatérales suivent aussi, notamment celles de l’Italie et du Canada. Les fonds vont arriver au fur et à mesure mais l’important c’est l’engagement ferme des Etats à verser ces fonds. En termes de contribution internationale, nous attendons 300 MDH.
F.N.H.: Qu’en est-il des partenariats avec le secteur privé marocain ?
A. L.: Nous allons finaliser cette semaine tous les partenariats avec les entreprises privées. Nous devons mettre en ordre un certain nombre de critères pour mieux canaliser la contribution du secteur privé dans le financement de l’organisation de la COP22.
F.N.H.: Qu’attendez-vous concrètement de cette COP, dite de l’Action ?
A. L.: Je crois que la première question qui nous vient à l’esprit en parlant de la COP22 est la suivante : sera-t-elle une COP réussie ? Et quelles sont les critères de réussite ?
En fait, il y a quelques critères pour mesurer le taux de réussite. D’abord, il y a le degré de participation, non pas par rapport au nombre mais pour savoir si l’engouement créé à la COP21 va se poursuivre et si les Etats et les parties sont toujours concernés par cette urgence d’agir. Deuxièmement, la qualité des participants qui montre s’il y a un engagement au plus haut niveau des Etats. Troisièmement, les signaux politiques à donner, notamment celui éventuellement de la ratification de l’Accord, l’amendement du protocole de Montréal, l’engagement de l’aviation civile pour un cap 2020-2030… La concrétisation de ces actions peut donner encore de la dimension à cette COP.
Quatrième critère, ce sont les outputs concrets qui doivent être perçus par tout le monde, à savoir la formation des capacités, l’adaptation, le financement, les initiatives portées par le Maroc notamment l’initiative pour l’Adaptation de l’agriculture africaine aux changements climatique (triple A), celle des oasis et probablement les SSS (Sustainable Services at Scale).
En résumé, des actions arriveront à maturité lors de la COP22, d’autres seront à parfaire afin de les faire aboutir avant 2018.
Propos recueillis par L. Boumahrou