Les industriels se posent la question de savoir si l’objectif de devenir une puissance industrielle émergente ne risque pas d’être compromis par les engagements que le Maroc a pris en matière de réduction des émissions de GES.
L’objectif de réduire de 32% les émissions du Maroc constitue un frein supplémentaire si les financements nécessaires ne sont pas débloqués.
Si les négociations climatiques ont échoué durant plus de 20 ans, c’est à cause des pays industrialisés qui, pour défendre leurs intérêts, ont longtemps fait la sourde d’oreille et rejeté leurs responsabilités dans le réchauffement climatique. Des pays qui durant des siècles ont imposé au monde un modèle économique capitaliste, source de cette crise climatique avant d’admettre qu’il fallait agir.
En effet, face à l’urgence de la situation, les puissances mondiales en ont finalement pris conscience et se sont inscrites dans le processus de lutte contre le changement climatique en adoptant le 12 décembre 2015 à Paris le premier accord sur le climat. Un engagement non sans impact, notamment sur l’un des moteurs clés de croissance de ces pays, à savoir le secteur industriel.
Mais dans l’Accord de Paris, ce ne sont pas seulement les pays riches qui se sont engagés à atténuer l’impact de ce fléau du XXIème siècle, mais également les pays du Sud, malgré leur très faible contribution. Le Maroc fait partie de ces pays qui ont voulu donner l’exemple en s’engageant à réduire leurs émissions de GES.
Une prise de position qui suscite plusieurs interrogations notamment : peut-on combiner émergence industrielle et réduction de GES ? Cet engagement ne risque-t-il pas de freiner le décollage de notre industrie ?
Des questions légitimes vu que notre pays, qui aspire à devenir une puissance industrielle, a fait le choix de devenir acteur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Rappelons que pour entrer dans le cercle fermé des pays industrialisés, le Royaume s’est fixé comme objectif de devenir une puissance industrielle émergente à l’horizon 2020 en portant la part de l'industrie de 14% à 23% du PIB national. Une montée en puissance du secteur qui permettra au pays de consolider son modèle économique, aujourd’hui vulnérable à cause de sa dépendance au secteur agricole. Augmenter la part de l’industrie dans le PIB est une nécessité non seulement pour compenser le repli de la valeur ajoutée agricole en période de sécheresse, mais également pour donner un nouvel élan à la croissance. Toutefois, parallèlement à cette ambition, le Maroc s’est engagé au niveau international à réduire de 32% (dont 19% conditionnés par un appui international) ses GES dans le cadre des NDCs. Et qui dit réduction des GES, dit mise à niveau environnementale du secteur à travers l’utilisation des énergies renouvelables, rationalisation de l’utilisation des ressources, respect et application des lois environnementales en vigueur…
Le Maroc ne s’est-il pas lié les mains en mettant les industriels face à un nouveau défi ? Selon Abdellatif Zaghnoun, Directeur général de la CDG, le modèle de la croissance verte et soutenable n’est pas contraire à la poursuite de l’industrialisation. Et d’ajouter que l’industrie elle-même peut et doit devenir verte.
Certes, l’économie verte offre aujourd’hui de belles opportunités, notamment dans le domaine des énergies renouvelables, la gestion des déchets… Toutefois, pour inciter le tissu économique marocain, constitué essentiellement de PME et de TPME (soit 97%), à prendre le chemin de l’économie durable et verte, il va falloir mobiliser des financements, surtout internationaux. Des fonds que les pays en voie de développement, à l’instar du Maroc, ne cessent de réclamer aux pays industrialisés qui, malheureusement, tardent à les débloquer, ce qui aura comme effet de retarder le processus de mise en œuvre de l’Accord de Paris.
Rappelons que lors de la COP22, les pays riches qui devaient présenter leur feuille de route financière, l’ont une fois de plus reportée à 2018. De quoi décourager les entreprises désireuses de s’inscrire dans ce processus. Ces dernières font face à plusieurs contraintes, pour ne citer que la crise persistante des principaux partenaires commerciaux (France, Espagne...), la concurrence des produits importés, la faible compétitivité des entreprises marocaines …
L. Boumahrou
Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine TPE-PME
Lors de la COP22, nous avons remarqué uniquement la présence des grandes entreprises. Les TPME, qui constituent 97% du tissu économique marocain, étaient aux abonnés absents. Pour cette catégorie d’entreprises, il faut sensibiliser les TPME partout au Maroc à travers un travail de terrain. Ce qui n’a pas été fait. Aussi, pour que ces entreprises s’inscrivent dans ce processus, il faut leur présenter des alternatives. Je prends le cas de l’interdiction des sacs en plastique, où le gouvernement n’a pas rien prévu. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas inviter les TPME à entreprendre ce chemin sans accompagnement, pour la simple raison qu’elles ne peuvent pas supporter le coût de la transition. La question aujourd’hui est de savoir si le Maroc veut impliquer tout le tissu économique dans ce processus ou bien va-t-il se contenter des grandes entreprises qui sont affiliées à la CGEM. Jusqu’à aujourd’hui, les TMPE ne sont impliquées ni par les pouvoirs publics ni par les ONG.
Je tiens à signaler que les chefs d’entreprises de certaines TPME sont conscients de cette problématique et sont même prêts à intégrer cette approche mais pas à leur détriment. Surtout dans un contexte de conjoncture morose.