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Electricité : TURD, une grande avancée dans l’ouverture de la moyenne tension aux renouvelables

Electricité : TURD, une grande avancée dans l’ouverture de la moyenne tension aux renouvelables

L’Agence nationale de régulation de l’électricité (ANRE) vient de publier le tarif d’utilisation du réseau de distribution (Turd), fixé à 5,92 centimes le kilowattheure, relatif à l’accès des énergies renouvelables en moyenne tension. Ce qui va donc permettre l’éclosion de plusieurs petits et moyens projets renouvelables. Entretien avec Dr Saïd Guemra, expert et consultant en énergie.

 

Propos recueillis par Désy. M.

Finances News Hebdo : L’ANRE vient de publier le tarif d’utilisation du réseau de distribution Turd en moyenne tension, pour l’injection des renouvelables. Que signifie ce tarif, sachant que l’ANRE avait déjà publié les tarifs relatifs à l’usage du réseau de transport  Turt, et le tarif service système  TSS  ? Et quelles conséquences sur le prix de revient du kWh renouvelable ?

Saïd Guemra : Je trouve que c’est une avancée majeure pour la promotion des renouvelables dans notre pays. La définition de ces tarifs, attendue depuis 2010, va donc offrir une meilleure visibilité aux auto producteurs, et divers investisseurs dans le domaine de la moyenne tension en direct, ou de la haute tension vers la moyenne tension, en faisant appel à l’article 26 de la loi 13/09. L’usage de ces réseaux pour les besoins de la production renouvelable par des privés impose un partage des coûts, que ce soit pour le transport en haute tension ou la distribution. Il impose également un partage des coûts de gestion du système, le tarif service système. Si l’on prend le cas actuel des projets relatifs à la loi 13/09, un développeur privé est en mesure d’alimenter en HT et THT en renouvelables plusieurs clients. C’est ainsi que par exemple, 90% de nos trains électriques roulent à l’électricité verte. Dans ce cas, l’ONCF s’acquitte du tarif d’utilisation du réseau de transport Turt  : 6,68 centimes de DH/kWh, et du tarif service système TSS  : 6,64 centimes de DH /kWh, soit un total de 13,32 centimes de DH /kWh, en plus d’une rémunération des pertes plafonnée à 4,5%. Il existe quatre cas de figure pour la moyenne tension, la plus importante étant relative au cas d’un producteur raccordé en haute tension et un consommateur en moyenne tension. Dans ces conditions, trois coûts sont comptabilisés en plus des pertes : TURT, TURD, TSS, soit un total de 19,24 centimes de DH / kWh. L’ensemble de ces coûts sont révisables annuellement par l’ANRE.

Pour mieux clarifier cette notion, quand une industrie par exemple à Casablanca est alimentée par les renouvelables d’un développeur à Tanger, les électrons verts ne font pas le trajet Tanger- Casablanca, mais ils s’injectent réellement au point de consommation le plus proche, qui serait par exemple le port Tanger Med. Le client est alimenté par compensation au niveau du réseau, un peu comme les virements de la banque. Pour le prix de revient du kWh renouvelable, il est clair que ces coûts ont un impact sur le prix du kWh final, mais ce n’est qu’un impact qui rend les projets renouvelables non compétitifs par rapport au réseau. Avec la baisse des coûts des équipements et les facteurs de charge exceptionnels du Maroc en matière de production photovoltaïque, un coût du kWh en sortie du parc serait entre 25 et 30 ct/kWh, voire moins. En ajoutant les coûts d’accès au réseau, à 19,24 centimes au maximum, nous sommes dans les 50 centimes du kWh; une rémunération du développeur entre 10 et 15 centimes ramènerait le kWh rendu chez le client vers les 65 centimes, ce qui reste parfaitement abordable par rapport au coût moyen de vente de l’électricité fossile à 94 centimes /kWh. Dans un très grand nombre de cas en Europe, l’électricité renouvelable est bien plus coûteuse que l’électricité fossile. C’est la chance du Maroc : le coût prévisionnel de 60 à 65 centimes /kWh devrait être appelé à décroitre avec la baisse des coûts des équipements et l’exploitation des parcs solaires et éoliens avec un très bon facteur de charge.

 

F. N. H. : Quel est l’impact de cette décision sur la relance des renouvelables au Maroc, surtout pour les clients industriels en moyenne tension qui vont faire face, dans quelques mois, à la taxe carbone ? Cela résout-il le problème de l’accès de ces entreprises aux renouvelables ?

S. G. : Cette décision de l’ANRE ne peut pas passer inaperçue, dans la mesure où elle débloque une situation qui a duré plus de quinze ans. Pour notre transition énergétique, il y a un avant et un après la décision 02/2025 de l’ANRE. Dans ce cas, je voudrais discuter de trois situations :

• Le producteur est en haute tension et le consommateur en moyenne tension  (HT-MT). Cette situation a été permise par l’article 26 de la loi 13/09. C’est la plus importante des quatre cas des renouvelables en moyenne tension. Un grand développeur peut construire un parc renouvelable, injecter en haute tension avec des clients en moyenne tension. Sur le plan technique, rien ne change pour les industriels qui peuvent bénéficier d’un grand taux de décarbonation de leur électricité. Sauf erreur, ce cas est actuellement permis, et l’article 26 serait bien activé. Les puissances engagées par projet peuvent être très importantes, 200 MW et plus.

• Le producteur et le consommateur sont sur des sites différents, mais raccordés au réseau moyenne tension. Dans ces conditions, un très grand nombre de projets renouvelables à partir d’un seuil de 2 MW : cas d’un exploitant qui vend l’électricité aux clients industriels, en conformité avec la loi 40-19, avec possibilité de vente de 40% du productible au distributeur, ou en autoproduction, à partir de 5 MW. Dans ces conditions, nous pouvons affirmer que les deux types de projets ont la possibilité de voir le jour, sauf que l’arrêté des enveloppes 3851-21 pose un sérieux problème, et qui est relatif à la taille des enveloppes énergétiques en GWh/ an permises entre 2022 et 2031.

Par exemple, en 2025, la limite nationale totale des renouvelables à ne pas dépasser est de 1.086 GWh, soit 2,37% de la demande électrique prévisionnelle pour cette année. Et si l’enveloppe est saturée la première année par un projet, le second projet doit attendre des années, avec la faible montée de la valeur de l’enveloppe, pour pouvoir se réaliser, afin de placer un deuxième projet avec une puissance minimale de 5 MW, conformément à l’article 7 de la loi 82-21. On ne peut pas limiter l’injection en moyenne tension dans les 2,5% par an de la demande nationale, alors que nous aspirons à réaliser 52% de notre mix électrique en renouvelables en 2030. C’est très contradictoire, tout en sachant que la part estimée de l’industrie dans le mix électrique du Maroc est de l’ordre de 35%. Le taux des renouvelables à 52% doit s’appliquer partout, on ne peut en aucun cas limiter la décarbonation industrielle à 2,5% : c’est contre la logique de tout le système.

• D’autre part, les projets en moyenne tension sont aussi limités par la capacité d’accueil définie par l’ANRE au niveau du territoire national. Nous avons donc deux limitations  : si par exemple je suis autorisé à installer un projet renouvelable de 5 MW, je dois théoriquement produire dans les 7,5 GWh/ an; on ne peut pas me limiter par exemple à 4 GWh/an avec l’enveloppe dédiée. L’arrêté des enveloppes doit impérativement être abrogé, car le système peut fonctionner jusqu’à la limite de 1.086 GWh en 2025, ou 1.162 GWh en 2026. Ceci donne une progression de 76 GWh/an ou 43 MW/an (PV à FC : 20%) de projets nouveaux par an, quand nous voulons installer plus de 1.000 MW/an ! On voit bien les limites imposées par l’arrêté des enveloppes; les premiers venus seront les premiers servis. Mais après, la machine va se gripper si cet arrêté n’est pas abrogé.

 

F. N. H. : Vous avez proposé dans l’une de vos publications, la possibilité d’organiser les industriels en coopératives renouvelables, pour leurs propres besoins. Quelle serait, selon vous, les avantages offerts par cette organisation ?

S. G. : L’organisation des industriels en coopératives renouvelables n’est pas nouvelle. Elle se développe de plus en plus en Europe. L’Allemagne compte plus de 900 coopératives renouvelables, au Danemark plus de 80% des éoliennes appartiennent à des coopératives qui peuvent lever des fonds nationaux et internationaux, avoir accès à des financements participatifs…, et réaliser un formidable développement local. C’est le meilleur mode d’organisation dans ce domaine. Le choix du modèle de la coopérative est motivé, entre autres, par la possibilité de dépasser la limite de 5 MW imposée par la loi 82-21 dans le cadre de l’autoproduction, tout en sachant que le besoin de la majorité écrasante des industriels est compris entre 0,5 et 2 MW. Rares sont les entreprises qui peuvent se permettre d’installer 5 MW ou 7,5 GWh de solaire, un investissement de 50 à 60 MDH. Dans ces conditions, seules quelques grandes entreprises très énergivores peuvent bénéficier des renouvelables à 5 MW et plus, si elles ne sont pas bloquées par les enveloppes.

En cohérence avec la consommation électrique de la majorité de nos industries, on peut par exemple imaginer un projet de 0,5 MW/entreprise au profit d’un regroupement en coopérative de 12 entreprises, soit 6 MW. Cette coopérative serait donc le client du distributeur afin de bénéficier des renouvelables, en conformité avec la loi 82-21. L’industriel est déchargé de la gestion des renouvelables, qui n’est pas son cœur de métier. C’est l’une des raisons qui ont permis la multiplication des renouvelables sous forme de coopératives. Si l’autoconsommation sur site (plaque sur les toits) est plus ou moins gérable par un industriel, des sites avec des puissances plus importantes demandent un savoir-faire qui n’est pas à la portée des industriels; une tâche qui doit être impérativement déléguée à un professionnel. Ce que je demande en plus des énergies renouvelables à la coopérative, c’est aussi de promouvoir les renouvelables au niveau de sa région. Pour les ménages par exemple, des programmes d’efficacité énergétique régionaux au profit des industries  : en clair, devenir des bras armés du ministère de la Transition énergétique en matière de développement durable et local sur les douze régions du Maroc.

Depuis 1989, année de démarrage du premier projet d’efficacité énergétique au Maroc avec la coopération américaine, on n’arrive toujours pas à promouvoir l’efficacité énergétique dans tout le pays et de manière probante. Nous ne sommes pas les seuls, plusieurs pays développés ont cette problématique. Un grand nombre de pays ont des bilans renouvelables très honorables, mais ils n’ont toujours pas de bilan efficacité énergétique, qui est pourtant un des piliers de la transition énergétique. Un pays comme l’Espagne vise une économie de 39,5% d’ici à 2030, mais pour l’instant, aucun bilan officiel relatif aux baisses de la facture énergétique n’existe. Au final, nous avons une révolution en matière de transition énergétique, et je pèse mes mots, permise par l’ANRE et le ministère de la Transition énergétique. Mais qui peut être bloqué par l’arrêté des enveloppes qui constitue un véritable obstacle à la bonne marche de notre transition énergétique. Il doit impérativement être abrogé, sinon quelques projets insignifiants par rapport à nos besoins peuvent être réalisés. Mais avec la saturation des enveloppes, on reviendra à la case de départ. 

 

 

 

 

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