L’Union européenne cherche à imposer des règles strictes aux géants du numérique, mais les récentes annonces de sanctions «modérées» à l’encontre de Meta et Apple suscitent des interrogations. L’UE infléchit-elle sa position sous la pression politique exercée par l’administration Trump ? Et quelles pourraient être les répercussions de cette évolution sur les marchés émergents comme le Maroc ? Décryptage.
Par K. A.
Le Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur en mars 2024, vise à limiter les pratiques anticoncurrentielles des «contrôleurs d’accès» du numérique. Selon les données de la Commission européenne, ce texte pourrait affecter des entreprises pesant plus de 300 milliards d’euros en capitalisation boursière.
Plusieurs géants technologiques, dont Apple et Meta, ont déjà été pointés du doigt pour non-respect de ces nouvelles règles. Apple est notamment visé pour ses nouvelles conditions sur l’App Store, jugées défavorables aux développeurs. Selon un rapport de Reuters, 73% des développeurs interrogés en Europe jugent ces règles inéquitables. De son côté, Meta est critiqué pour son modèle «Pay or consent», qui oblige les utilisateurs à choisir entre le paiement d’un abonnement ou l’acceptation du suivi publicitaire. Malgré la gravité des infractions présumées, les amendes annoncées devraient rester «modestes» par rapport aux sanctions initialement prévues, qui pouvaient atteindre jusqu’à 10% du chiffre d’affaires global des entreprises concernées.
D’après une source anonyme au sein de la Commission européenne citée par Politico, ces amendes devraient osciller entre 500 millions et 1 milliard d’euros pour Meta et Apple, bien en deçà des montants théoriques maximaux. Cette approche relativement clémente a été critiquée par certains acteurs du marché. «En allégeant les sanctions, Bruxelles envoie un signal négatif aux entreprises européennes qui se battent pour exister face aux géants du numérique», estime un consultant en régulation numérique basé à Paris.
Quand Washington dicte sa loi au numérique européen
L’atténuation des sanctions pourrait s’expliquer par des considérations géopolitiques. Depuis son retour à la présidence, Donald Trump s’oppose fermement aux régulations européennes visant les entreprises technologiques américaines.
En janvier 2025, il dénonçait ces règles comme étant une «ingérence abusive» dans l’économie numérique des États-Unis. «Nous ne laisserons pas l’Europe imposer des barrières à nos entreprises sous prétexte de régulation. C’est une attaque contre l’innovation américaine», a déclaré J.D. Vance, vice-président des États-Unis, lors d’un sommet à Washington en février. Face aux menaces de représailles commerciales, l’UE semble chercher un équilibre entre l’application de ses principes et le maintien de relations diplomatiques stables avec Washington.
Un analyste de la firme Forrester, interrogé par Bloomberg, estime que «Bruxelles tente d’éviter une escalade, car une guerre économique avec Washington sur le numérique pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes pour l’économie européenne». En parallèle, les lobbyistes des Big Tech accentuent leur influence. Selon des chiffres de l’ONG Corporate Europe Observatory, les grandes entreprises technologiques ont dépensé plus de 120 millions d’euros en lobbying auprès des institutions européennes en 2024, un record.
Quel impact pour le Maroc et les pays émergents ?
Si l’UE, qui constitue un modèle en matière de réglementation numérique, montre des signes d’assouplissement, cela pourrait influencer d’autres marchés, y compris ceux des pays émergents comme le Maroc.
Ce dernier étant fortement dépendant des services de Meta et Apple, notamment pour la publicité en ligne et l’e-commerce, une régulation plus stricte en Europe pourrait indirectement favoriser un meilleur encadrement au niveau national. Selon une étude de DataReportal, 88% des entreprises marocaines utilisant la publicité en ligne passent par les services de Meta. Toutefois, si l’UE recule sous la pression américaine, cela pourrait freiner toute velléité de régulation sur d’autres continents. Les acteurs du numérique, notamment les startups et PME, s’inquiètent également de l’influence de ces géants du numérique.
«Nous avons du mal à rivaliser avec la visibilité et la puissance de ces plateformes, et sans règles claires, la concurrence devient presque impossible», explique le fondateur d’une agence de marketing digital basée à Casablanca. L’évolution de cette situation posera une question centrale : l’Union européenne continuera-t-elle à tenir tête aux Big Tech malgré les pressions politiques, ou va-t-elle progressivement assouplir sa posture ? Les mois à venir seront décisifs pour évaluer l’impact de cette affaire sur l’avenir des régulations technologiques à l’échelle mondiale.