Mario Draghi, ou «Super Mario» pour certains, a fini par jeter l’éponge. Le Premier ministre italien a présenté sa démission au Président Mattarella. Le gouvernement d’unité nationale rassemblé par Mario Draghi s’est effrité. Dans la foulée, le président a dissous le Parlement pour convoquer de nouvelles élections, pour septembre ou octobre au plus tard. Draghi restera naturellement en charge des affaires courantes, le temps qu’un nouveau Premier ministre soit désigné, et qu’un nouveau gouvernement entre en action.
Draghi était arrivé au pouvoir en pleine tempête du Covid-19, en février 2021. Son arrivée avait rassuré les investisseurs, les marchés financiers, et même redonné espoir aux Italiens. Un homme pragmatique, pas un politique, fort de son expérience de gouverneur de la Banque d’Italie et de la Banque centrale européenne. Il se devait de réformer un pays aux difficultés multiples et chroniques, en vue de l’orienter vers une trajectoire de reprise similaire à celle des autres pays européens.
Au menu, un programme pour doper la compétitivité du pays et réduire la bureaucratie, en vue d’encourager l’investissement et stimuler la croissance. Ces réformes font l’objet d’un accord avec la Commission européenne; en échange, l’Italie a accès au fonds provenant du fonds de reprise post-pandémie pour relancer son économie.
Ce fonds gère 750 milliards d’euros, dont 200 milliards sont alloués à l’Italie. D’ici la fin de l’année 2022, l’Italie doit accomplir 55 réformes économiques et administratives, en vue de débloquer la prochaine tranche de financement d’une valeur 19 milliards d’euros. Ces réformes, elles sont au cœur de la discorde qui a mis fin à la coalition. En effet, Mario Draghi a demandé cette semaine aux partis de la coalition de réaffirmer leur engagement pour les réformes, mais plusieurs partis n’ont pas répondu à cet appel. Ils refusent plusieurs mesures, parmi elles le paquet relatif à la promotion de la compétition (avec par exemple une réforme des agréments de taxis, une réforme des agréments d’occupation de plages par les restaurants…).
Au lieu de cela, ils ont boycotté le vote de confiance en son gouvernement. La coalition a volé en éclats. Le gouvernement de Mario Draghi aura duré un an et six mois; aujourd’hui, le bilan est mitigé. Pourquoi ? Principalement, parce que le temps pour réformer fut trop court, ce qui éclaire sur l’une des difficultés structurelles de l’Italie d’aujourd’hui : l’instabilité gouvernementale persistante. Depuis le début des années 80, la durée moyenne des gouvernements italiens est de 502 jours, moins d’un an et demi.
Les gouvernements majoritaires durent en moyenne 820 jours, à peine 2 ans et 3 mois. Depuis 1944, plus de 70 gouvernements se sont succédé, soit près d’un nouveau gouvernement par an. Cette instabilité vient du fait qu’au milieu des années 1940, les partis italiens qui vont construire la démocratie après 20 ans de fascisme, ne se faisaient pas confiance les uns les autres. Ils ont donc conçu un système qui ne permet pas à un parti de durer au pouvoir. Les garde-fous sont trop nombreux, au point de devenir contreproductifs et de provoquer de l’instabilité. Par exemple, le poids des deux chambres du Parlement (l’assemblée nationale et le sénat) est identique.
Chaque texte de loi doit être validé par les deux chambres. Si les deux chambres ont des majorités différentes, cela mène à des blocages. Dans les autres pays par exemple, l’assemblée nationale a généralement l’ascendant sur le sénat en cas de désaccord, pour ne pas provoquer de blocages. Peu importe l’indicateur économique que l’on considère, l’Italie est systématiquement moins performante que ses pairs européens.
La croissance réelle prévue pour 2022 est de +2,2% en Italie contre +2,8% au sein de la zone Euro; le taux de chômage atteint 9,3% en Italie contre 7,3% dans la zone Euro; le déficit budgétaire se fixe à -6% du PIB contre -4,3% pour l’Eurozone; et enfin, la dette publique culmine à 150% du PIB contre 95% pour l’Eurozone. Au niveau de l’inflation, l’Italie est en ligne avec les autres pays européens : elle a enregistré un pic à 8,5% au moins de juin 2022 contre 8,6% pour la zone Euro. Concernant l’Italie, il s’agit là du niveau d’inflation le plus élevé jamais enregistré depuis 1986. Et la situation ne va qu’empirer, et risque de présenter des difficultés à très court terme.
En effet, la BCE vient de remonter de 50 points de base son taux de refinancement principal et son taux de refinancement marginal; il s’agit là de la première hausse depuis onze ans. Son objectif : combattre l’inflation qui atteint des sommets jamais enregistrés dans l’Union. La BCE met également fin à 8 ans de taux négatif sur les dépôts, en ramenant le taux sur les dépôts à zéro.
Elle amorce donc un resserrement monétaire, quelques mois après que la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre ont démarré ce même chemin (de façon synchronisée). Elle annonce également que de futures hausses sont à prévoir, lors des prochains mois. Juste après l’annonce du départ de Draghi, le taux d’intérêt sur la dette italienne à 10 ans a augmenté de 22 points de base à 3,6%, et le différentiel de taux entre la dette publique allemande et italienne s’est creusé de 30 points de base pour atteindre 2,33%.
Le renchérissement du coût de la dette – dû aussi bien au départ de Draghi qu’à la fin du programme de rachat obligataire de la BCE et à la hausse de son taux directeur – alourdira le coût de la dette sur les prochaines émissions obligataires souveraines, et déséquilibrera davantage le budget. Cette hausse du coût de l’emprunt, conjuguée à une faible croissance, aura pour effet d’accroître le poids de la dette (qui est déjà très élevé à 150% du PIB), ce qui pèsera davantage sur l’économie italienne. Les marchés boursiers italiens se sont repliés de -5% après la démission de Draghi. Depuis le début de l’année, le marché italien est en recul de -23%, contre -17% pour la zone Euro.
Bien sûr, nous ne sommes pas à l’abri d’un accident, où les marchés refuseraient de reconduire une émission obligataire venant à terme, initiant ainsi un mouvement de panique. Le risque est élevé, car d’ici fin 2022, l’Italie doit refinancer plus de 200 milliards d’euros de dette. C’est ce que la BCE tente d’anticiper – aussi bien pour l’Italie que pour d’autres pays fragiles – avec un nouveau mécanisme dénommé TPI (Transmission Protection Instrument). De quoi s’agit-il ? D’un instrument de politique monétaire non conventionnelle, qui autorise la BCE à acheter la dette de tous les pays (publique et privée, et sans limite de volume) qu’elle estime pénalisée par une remontée trop abrupte des taux, pouvant mener à des risques de refinancement. C’est un joker que la BCE cache sous sa manche, pour réagir rapidement si cette situation se présentait en Italie ou ailleurs. Car, dans la foulée, la hausse des taux sur les emprunts italiens s’est accompagnée par une hausse sur la dette grecque, espagnole et portugaise. Plusieurs pays européens sont donc concernés.
Par Omar Fassal