- La phase de relance post-Covid-119 doit absolument permettre au Maroc de promouvoir l’investissement national et étranger et de se repositionner dans les chaînes de valeur mondiales.
- La modernisation du système judiciaire avec la dématérialisation des tribunaux, l’adoption de la Charte de simplification des services publics et l’amendement du texte relatif aux entreprises en difficulté, sont autant de chantiers urgents qu’il faudrait faire aboutir parmi tant d’autres.
- Les risques de défaillance d'entreprises massives au cours des prochains mois annoncés peuvent être minimisés en identifiant les entreprises qui n’étaient pas fragiles avant la crise pour les accompagner de manière renforcée.
- Entretien avec Karim Tazi, président de la Commission environnement des affaires de la CGEM.
Propos recueillis par Momar Diao
Finances News Hebdo : Les élections législatives interviendront dans quelques mois. Quel regard portez-vous sur les principales actions du gouvernement portant sur l'amélioration de l'acte d'entreprendre au Maroc ?
Karim Tazi : Il faut reconnaître que notre pays a réalisé d’importantes avancées et réformes sur le plan légal, en témoignent les réalisations en termes de classement Doing Business. Malgré l'avènement de la pandémie, l’action gouvernementale pour l’amélioration du climat des affaires s’est poursuivie. Je peux même dire qu’elle s’est renforcée, notamment au sein du CVE, du CNEA et de la plateforme CGEM-Gouvernement qui constituent de véritables outils de concertation public-privé, ou encore dans le cadre de la stratégie industrielle 2021-2025 du ministère de l’Industrie qui a abouti à la mise en place d’une banque de projets industriels.
Personnellement, j’estime que comme toute crise, celle que nous vivons actuellement présente de véritables opportunités que nous devons saisir au plus vite.
La phase de relance post-Covid-19 doit absolument nous permettre de promouvoir l’investissement national et étranger et de repositionner notre pays dans les chaînes de valeur mondiales.
Pour cela, il faudra impérativement mettre en place des actions concrètes et audacieuses et j’espère que les politiques seront à la hauteur de ces défis.
En ce sens, parmi les chantiers urgents qu’il faut faire aboutir, je citerai la modernisation du système judiciaire avec la dématérialisation des tribunaux, l’adoption de la Charte de simplification des services publics, l’amendement du texte relatif aux entreprises en difficulté ou encore la révision du Projet de loi relatif à l’arbitrage et à la médiation conventionnelle qui, dans sa mouture actuelle, ne permet pas de positionner le Maroc parmi les grands pays d’arbitrage.
Tous ces défis d’ordre légal et réglementaire doivent évidemment être accompagnés d’une structuration des dispositifs d’appui à l’entreprise relatifs notamment au financement, aux garanties, à la mise à niveau et aux subventions.
Par ailleurs, une étude stratégique, à laquelle la CGEM a participé, est menée par le CNEA pour prioriser les réformes de l'environnement des affaires.
Elle tient compte non seulement du classement Doing business, mais également des spécificités marocaines.
F.N.H : La CGEM s'est érigée en une véritable force de propositions pour la mise en place du Plan de relance anti-Covid-19. Êtes-vous satisfait des mécanismes mis en place pour accélérer la relance économique ?
K.T : En effet, la CGEM a présenté au sein du CVE un plan de relance cohérent et intégré, conçu sur la base des remontées des Fédérations sectorielles et des CGEM Régions. Plusieurs mesures proposées par notre Confédération ont été prises en considération, que ce soit dans le cadre du CVE, de la Loi de Finances rectificative, ou de celle de 2021, et nous en sommes satisfaits.
Toutefois, afin d’assurer une relance effective, saine et durable, plusieurs chantiers doivent être adressés en urgence, à savoir : améliorer l’accès aux coûts des facteurs de production de l’entreprise, notamment l’énergie, le foncier et la formation, opérer un choc de simplification des procédures administratives, favoriser la reconversion pour une meilleure employabilité, promouvoir le «Made in Morocco» et enfin, agir sur l’informel.
F.N.H : Les entités spécialisées (Coface, Inforisk) ne cessent d'alerter sur les risques de défaillance d'entreprises massives au cours des prochains mois. Quel est votre avis sur le sujet ? Et selon vous, comment prévenir l'hécatombe annoncée ?
K.T : À la CGEM, notre principale préoccupation est la sauvegarde du tissu économique de notre pays et la préservation des emplois.
Afin de jouer pleinement notre rôle de force de proposition, il est très important pour nous d’assurer un suivi permanent de la performance des entreprises et des secteurs à l’épreuve du Covid-19.
Effectivement, nous apprenons que le nombre de défaillances des entreprises en 2020 a baissé, ce qui peut être expliqué par la fermeture des tribunaux pendant le confinement, mais aussi le maintien sous perfusion grâce aux produits Damane Oxygène et Relance des entreprises structurellement fragiles.
Cependant, nous devons rester optimistes car nous pouvons prévenir cette hécatombe, -comme vous le dites-, en identifiant les entreprises qui n’étaient pas fragiles avant la crise pour les accompagner de manière renforcée. Car, au final, nous devons sauver celles qui peuvent être sauvées. Notre perception est qu’il faut rester mobilisés et qu’il faut cibler nos priorités.
Nous avons d’ailleurs, dès le début de cette année, réajusté les priorités issues de notre programme et nous plaidons pour une action holistique, car la relance doit intégrer plusieurs chantiers et requiert des actions à fort impact avec une exécution plus rapide.
F.N.H : La CGEM est favorable au report du SMIG. Qu'est-ce qui motive cette proposition sachant que la demande intérieure, fragilisée par la crise et qui constitue l'une des principales forces motrices de la croissance économique au Maroc, a besoin d'être boostée par une politique active des revenus ?
K.T : Là encore, je dirais que notre priorité est la préservation de l’emploi.
D’autant plus que le secteur privé a appliqué la première augmentation du SMIG de 5% à partir du 1er Juillet 2019, selon les dispositions de l’accord social signé le 25 avril 2019. Cet accord prévoyait en effet une 2ème hausse du SMIG de 5% à partir du 1er Juillet 2019.
Malheureusement, l’économie marocaine a été frappée de plein fouet par la crise de la Covid-19 et un nombre important d’entreprises ont dû baisser considérablement leur activité —ou même l’arrêter— par manque de commandes ou sur décision administrative.
Dans de telles situations, il est tout à fait normal que les priorités changent et il est tout à fait logique que les entreprises priorisent des solutions de survie afin de maintenir les emplois et d’éviter les scénarios de séparation et de déperdition des compétences.
D’autant plus que l’augmentation du SMIG dans cette conjoncture rend l’informel plus attractif.
C’est dans ce sens que la CGEM a saisi le chef de gouvernement, que ce soit dans sa lettre ou lors des réunions de dialogue social ayant eu lieu en juin et juillet 2020.
Notre message était clair et la doléance de report de la hausse du SMIG des secteurs fortement impactés était légitime : «priorisons le maintien des emplois et opérons la hausse du SMIG après la crise».
Rappelons que le secteur privé a honoré, dans les délais, l’ensemble de ses engagements prévus dans l’accord social du 15 avril 2019 et attend toujours que l’Etat honore ses engagements, notamment en ce qui concerne l’amendement du code du travail et la programmation du projet de loi organique qui réglemente le droit de grève au sein du Parlement.
Les politiques actives de revenus ne peuvent pas trouver d’existence en situation de crise économique au moment où l’entreprise n’a plus assez de revenus, et ne peuvent se limiter à une augmentation de 5% du SMIG si on veut vraiment booster l’économie marocaine.
F.N.H : Aujourd'hui, peut-on dire que la préférence nationale défendue par la CGEM est une réalité et non un slogan dans le domaine de la commande publique au Maroc ?
K.T : La préférence nationale est l’un des principaux leviers de relance de notre économie.
Malheureusement, cette mesure indispensable pour développer une offre Maroc compétitive n’est pas encore actée de manière effective.
Sa mise en œuvre requiert un soubassement réglementaire et juridique que les textes en vigueur existants ne prévoient pas, à savoir le décret n°2-12-349 relatif aux marchés publics qui n’exige l’application de préférence nationale que pour les collectivités territoriales et les Administrations de l’État, alors que la majeure partie de la commande publique émane des entreprises et établissements publics (EEP).
À ce titre, la CGEM a recommandé d’exiger les règles de l’article 155 à l’ensemble des donneurs d’ordres publics tels que les EEP ou d’actualiser les règlements de passation des marchés de ces EEP en généralisant l’application de la préférence nationale à tout type de marchés, que ce soit en matière de fournitures, de travaux et de services.
F.N.H : Enfin, selon vous, quels sont les écueils à éviter pour permettre au Fonds Mohammed VI pour l'investissement d'atteindre les objectifs escomptés en matière de soutien aux entreprises ?
K.T : Le Fonds Mohammed VI, tel qu’il a été énoncé par Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, devrait constituer un vrai levier d’investissement.
Notre tissu économique doit être reboosté, donc quoi de mieux que l’investissement.
Dans la mise en œuvre de ce chantier d’envergure, la CGEM appelle à plus de concertation, puisque qu’il s’agit d’un fonds dédié au financement des grands projets d'investissement dans le cadre de partenariats publics-privés, mais aussi parce qu'il cible les entreprises privées, notamment les TPME.
Il est tout aussi important, de notre point de vue, de mettre en place une procédure d'accès allégée et non contraignante (tickets d’entrée, modalités d’accès, critères d’éligibilité…) pour les entreprises soumissionnaires afin de permettre à une large catégorie d’entreprises de bénéficier de ce fonds en un temps rapide, comme nous suggérons de développer des partenariats avec des fonds d'investissement privés mondiaux.