Le projet de la régionalisation avancée continue de rencontrer des obstacles d’ordre juridique, organisationnel, politique, humain... Pour rattraper le retard qu’accuse ce chantier, le gouvernement s’est penché sur l’achèvement de l’arsenal juridique ainsi que sur l’élaboration d’une nouvelle vision de l'administration décentralisée. Le lancement effectif des AREP n’est pas pour sitôt.
Depuis son lancement en 2015, le projet de la régionalisation avancée n’a toujours pas atteint sa vitesse de croisière. Ce chantier stratégique accuse un retard dont les conséquences sur le développement économique du pays ne sont pas négligeables. «Le processus d’implémentation de la régionalisation est en cours, avec un certain retard de mise en œuvre de certains mécanismes, ou parfois une application de certaines règles ou procédures sans réalisation de l’harmonisation et la coordination multi-échelle et multi-acteur nécessaires», précise Abderrahim Ksiri, président de la Commission de la régionalisation avancée et du développement rural et territorial du CESE. Si ce dernier demeure optimiste, d’autres observateurs en revanche le sont beaucoup moins. Youssef Douhou, auteur du livre «Le processus de la régionalisation avancée au Maroc : stratégies- enjeux-perspectives», déplore l’absence d’un plan clair de déploiement. «Outre le découpage territorial, le projet est toujours à l’état embryonnaire. Aussi, le projet de la régionalisation avancée n’est-il pas mis en œuvre tel qu’il a été conçu», a-t-il précisé. Même son de cloche chez le président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Ilyas El Omari, qui estime que les régions sont encore une feuille blanche. «Elles ne peuvent toujours pas exercer le rôle et la mission qui leur sont assignés, comme énoncé par la loi de la régionalisation avancée et ce pour plusieurs raisons», confirme-t-il.
Le gouvernement sort de son mutisme
Conscient de la nécessité d’accélérer la cadence, le Chef du gouvernement, Saâd Eddine El Otmani, a annoncé récemment, lors de la séance mensuelle des questions orales, que le gouvernement se penche actuellement sur l’achèvement du processus de la régionalisation. Il a par ailleurs présenté les mesures mises en place pour donner un coup de pouce au projet. Sur le plan juridique, Saâd Eddine El Otmani a souligné que son département est sur le pied de guerre pour achever l’arsenal juridique. Il s’agit des décrets d’application prévus par la loi 111-14 relative à l’organisation de la région, textes juridiques et réglementaires nécessaires à la mise en pratique des lois réglementaires sur les collectivités territoriales. A ce jour, 62 décrets d'application de lois réglementaires relatives aux collectivités territoriales ont été publiés, outre la ratification dernièrement de 4 autres décrets. Toutefois, le volet juridique ne constitue que l’une des causes de ce retard. En effet, outre la promulgation des lois et des décrets d’application, d’autres facteurs interviennent dans le rythme d’avance- ment. Il s’agit en premier lieu du facteur humain. «Les différents acteurs aux niveaux territorial et national n’arrivent toujours pas à s’approprier ce processus surtout en ce qui concerne la planification articulée, complémentaire et intégrée entre les plans d’action communaux (PAC) et les plans de développement régionaux (PDR)», explique le membre du bureau du CESE. En second lieu, figure le retard de mise en place des mécanismes de la démocratie participative censée compléter la démocratie représentative. «Nous avons remarqué sa faiblesse lors de la constitution des conseils consultatifs et l’élaboration des PDR par des bureaux d’études. Parfois, nous avons constaté l’absence de véritables suivis encore moins de débats à l’échelle régionale, d’où la faible appropriation de la population des projets des PDR dès leur élaboration», souligne Abderrahim Ksiri. Pis encore, 3 ans après le lancement dudit projet, certaines régions n’ont toujours pas élaboré leur PDR.
Le troisième facteur, et pas des moindres, concerne le retard accusé par l’un des piliers fondamentaux de cette régionalisation, à savoir la déconcentration de l’administration. Il semble que l’administration centrale n’est toujours pas prête à céder les pouvoirs aux administrations régionales. Preuve en est, l'élaboration de la Charte de déconcentration administrative tarde à voir le jour. A ce propos, El Otmani a souligné que le gouvernement est en phase d’élaborer une nouvelle vision de l'administration décentralisée.
Il faut dire que l’urgence est de mise, étant donné que cette étape est décisive puisqu’elle permet un meilleur déploie- ment des politiques publiques de l’Etat ainsi qu’une meilleure qualité des prestations de service public sur le territoire.
Le capital humain fait défaut
Outre le transfert des pouvoirs, l’insuffisance d’un réel transfert de compétences et d’accompagnement fort constitue également un défi majeur à relever. Encore faut-il avoir les compétences nécessaires pour mener un tel chantier. Les chiffres du dernier rapport sur la décentralisation, récemment publiés par le ministère de l’Intérieur, donnent froid dans le dos. Il révèle que 4.746 élus sont analphabètes, environ 9.000 ont un niveau primaire et 9.890 un niveau secondaire. Seuls 27,4% des élus, soit 8.968 sur 32.704, ont un niveau d’études supérieur. Un constat alarmant qui requiert une mise à niveau urgente de notre sphère politique. Et pour cause, cela se répercute sur le fonctionnement de toutes les structures de la région, y compris les Agences régionales d'exécution des projets (AREP). Des agences dont l’opérationnalisation effective risque de traîner plus longtemps (voir encadré). Résultat, des projets régionaux d’investissement sont confiés à des institutions qui n’ont ni les capacités humaines ni financières et encore moins techniques pour les exécuter. C’est le cas de l’Agence pour la promotion et le développement du Nord qui s’est vu confier la réalisation d’un nombre important de projets du programme de développement de la province d’Al Hoceima Manarat Al Moutawassit. Une décision qui comporte, selon le rapport de la Cour des comptes y affèrent des risques en matière de suivi, de coûts et de délais d’exécution.
L.Boumahrou