Le scrutin qui vient de s’achever est riche en enseignements pour qui s’intéresse à la pratique politique au Maroc.
Cinq leçons majeures peuvent être tirées de ces élections, qui convergent toutes vers une leçon principale : la manière de faire de la politique dans notre pays est en train de changer profondément. Le flou idéologique et l’absence de vision et de projet clairs, qui caractérisaient jusque-là une grande partie du champ partisan marocain, sont désormais très largement sanctionnés par le vote des citoyens plus matures politiquement que l’on ne pense. Preuve en est la claque retentissante reçue par les partis dits traditionnels qui dominaient l’action partisane sous l’ère Hassan II, et qui sont en total décalage avec les aspirations de leurs compatriotes, notamment parmi les jeunes. Si le PJD et le PAM sont aujourd’hui les partis les plus audibles, ce n’est pas un hasard : ce sont là deux partis bien organisés, avec une ligne idéologique claire, un discours bien travaillé et formaté, une communication soignée, une discipline de fer des militants et, surtout, des leaders qui savent mobiliser les troupes. Que les autres partis en prennent de la graine, parce que la bipolarisation du paysage politique marocain qui s’est dessinée à l’issue du scrutin n’est pas forcément une bonne chose pour le débat politique.
1 Les abstentionnistes, premier parti du Maroc
Il s’agit malheureusement d’une constante, élection après élection : les abstentionnistes ont encore été les plus nombreux. Plus de la moitié des électeurs inscrits n'est pas allée voter vendredi dernier. Seuls 6,7 millions d’électeurs sur les 15 millions d’inscrits se sont rendus aux urnes. Si l’on comptabilise les non-inscrits, le nombre de nos compatriotes qui ont boudé les élections est encore plus important.
Le taux de participation officiel est de 43%. C’est un peu moins bien qu’en 2011, dans un contexte particulier (45,5%). Ce n’est certes pas brillant, mais ce n’est pas catastrophique non plus. D’ailleurs, certains s’en accommodent. C’est le cas du CNDH (Conseil national des droits de l’Homme) qui, dans son rapport post-élections, souligne que «le taux de participation enregistré pour le scrutin reste dans la moyenne des pays comparables connaissant une transition démocratique et où le vote est libre».
Toujours est-il que pour cette échéance, on aurait pu s’attendre à mieux. Surtout au vu de l’importance de cette élection et des immenses enjeux pour une jeune démocratie comme la nôtre. La déception est donc de mise, que ce soit chez les observateurs ou chez les responsables politiques.
A qui incombe la faute ? Au citoyen peu civique qui se désintéresse de la politique ? Ou aux partis politiques dont le discours dépassé et les pratiques éculées, loin des réalités quotidiennes, ont fini par détourner le citoyen de la chose politique ? On penche bien entendu pour la deuxième explication. La perte de crédibilité de la parole politique, l’offre politique pléthorique et peu cohérente, sont indéniablement les facteurs à l’origine du désamour de la majorité de nos concitoyens pour l’action partisane, et qui fait qu’aujourd’hui, le parti abstentionniste demeure, et de loin, le premier parti du Maroc
2 Le PJD sort renforcer
C’était l’une des grandes inconnues de ce scrutin : le PJD allait-il progresser ou régresser en termes de sièges obtenus. Force est de constater que la lampe a fait le plein de voix, décrochant non seulement la première place avec 125 députés (ce qui était prévisible), mais surtout augmentant son nombre d’élus par rapport à 2011, de 18 sièges précisément.
Une prouesse non négligeable, surtout après 5 ans d’usure du pouvoir, un bilan gouvernemental guère brillant et une série de décisions impopulaires comme la réforme des retraites, le sauvetage de l’ONEE, ou encore l’arrêt des subventions de certains produits. En réalité, le triomphe du PJD est avant tout celui d’un homme, Abdelilah Benkirane en l’occurrence, qui a littéralement incarné le parti durant cette campagne, porté la «lampe» sur ses épaules de meeting en meeting, éclipsant les autres ténors de sa formation au rang de simples faire-valoir. En imposant, y compris à ses adversaires, ses propres thèmes de campagne, comme le «Tahakoum», dans le débat politique, il a mené la danse et fait preuve d’un sens politique aigu. Nommé par le Roi Mohammed VI ce lundi 10 octobre Chef du gouvernement, il devra en user dans les prochaines semaines pour négocier à moindre frais la constitution d’une majorité gouvernementale gouvernable. Aujourd’hui, le PJD, fort de sa base solide d’électeurs mobilisés, de sa discipline, de ses militants présents sur le terrain, et pas seulement avant les élections, s’impose donc comme le premier parti du Maroc. Depuis le gouvernement de l’alternance de 1998, c’est le premier parti qui a réussi à être reconduit à la tête du gouvernement après une première législature.
3 Le PAM s’impose comme une force politique majeure
La victoire du PJD ne doit pas occulter l’avènement du PAM comme force politique majeure du pays. Le parti espérait sans doute mieux, au vu des déclarations de ses dirigeants pendant la campagne électorale qui ne cachaient pas leur souhait d’arriver en tête. Finalement, le parti du tracteur se classe deuxième en réussissant une progression fulgurante en nombre de sièges au Parlement : le nombre d’élus du PAM passe ainsi de 47 en 2011 à 102 en 2016. Arithmétiquement, le parti dirigé par Ilyas El Omari passe de la quatrième force au Parlement en 2011 à la deuxième. Surtout, il a considérablement réduit l’écart avec le PJD en termes de poids politique.
Comme l’a souligné Khalid Adnoune, porte-parole du PAM, «les résultats des élections législatives de vendredi confirment la puissance du parti du tracteur et sa forte présence sur la scène politique nationale et apportent la preuve du soutien et de l’adhésion des Marocains au projet sociétal promu par le PAM». Un projet, faut-il le rappeler, qui se veut moderniste, en opposition au projet plus conservateur du PJD.
La troisième leçon à tirer de ce scrutin est qu’en quelques années seulement d’existence, le PAM a donc définitivement assis sa légitimité politique et partisane. Une légitimité qui tire désormais directement sa force des urnes. De ce point de vue-là, Ilyas El Omari aura réussi son pari, et l’avenir du parti s’annonce plus que prometteur pour les prochaines échéances électorales.
4 La bipolarisation du champ partisan
C’est la conséquence directe des leçons 2 et 3 : le champ partisan marocain s’articule à présent autour de deux grands pôles que sont le PJD et le PAM. Longtemps contestée et jugée artificielle, la bipolarisation du paysage politique marocain est désormais une réalité. Du moins une réalité arithmétique. Les deux partis ont ainsi récolté à eux deux 229 députés, soit bien plus que la moitié des sièges de la Chambre des représentants (57% exactement). La balkanisation et l’éclatement des suffrages entre la pléthore de partis (plus de 30) qui a longtemps caractérisé les élections au Maroc se sont très fortement atténuées: seuls 11 partis sur les 32 en lice ont obtenu des voix lors de ces élections. Même l’abaissement du seuil électoral de 6% à 3%, de nature à favoriser les petits partis, n’a pas produit d’éparpillement des voix.
Par ailleurs, les déclarations des responsables du PAM et du PJD, excluant catégoriquement toute alliance entre les deux partis pour former un gouvernement, accentuent davantage cette bipolarisation. Est-ce une bonne chose pour autant ? Un certain pluralisme politique n’est-il pas souhaitable et un signe de bonne santé pour une démocratie ? Ou est-ce que cette bipolarisation donne plus de clarté à l’offre politique ? L’avenir nous le dira.
5 Les partis traditionnels en perte de vitesse
La bipolarisation du champ politique ne laisse désormais que peu d’espace pour les autres partis, notamment ceux dits traditionnels, à l’image des partis de la Koutla (USFP, PI, PPS), ou les partis dits de l’administration, sous l’ère Hassan II (RNI, UC, etc). A la lecture des résultats du scrutin, ces partis, qui ont pendant longtemps occupé les premiers rôles dans l’espace politique, sont incontestablement les perdants de ces élections.
Toutes ces formations politiques ont reculé en termes de sièges par rapport à 2011. Pour certains, l’hémorragie des électeurs est très marquée. C’est le cas par exemple de l’USFP, parti historique s’il en est, qui se contente de 20 députés après en avoir obtenu 39 en 2011. Pour le parti de Driss Lachgar, la dégringolade est douloureuse. La rose déjà mal en point est proche de la fanaison.
L’Istiqlal, l’autre ténor de l’ancienne Koutla, perd 14 sièges. Deuxième force de l’hémicycle en 2011 avec 60 élus, il doit se satisfaire de 46 en 2016.
Même les alliés du PJD n’ont pas su tirer leur épingle du jeu. C’est le cas du PPS dont le soutien tous azimuts au PJD n’a pas été payant. Le parti de Nabil Benabdallah ne remporte ainsi que 12 sièges, soit 6 de moins qu’en 2011.
Et que dire aussi du RNI, qui n’a pas profité de son action dans des ministères clés comme ceux de l’Industrie ou des Finances. Le parti de la Colombe se contente ainsi de 37 sièges contre 52 en 2011. Un résultat bien décevant qui a amené Salaheddine Mezouar à présenter sa démission de la présidence du parti. Démission qui a été refusée par le bureau politique. Le parti, qui s’interroge sur l’opportunité ou non de rejoindre l’opposition ou la future coalition gouvernementale, n’est pas à l’abri de dissensions internes suite à son score décevant.
Quant au Mouvement populaire, présent dans le champ partisan depuis plusieurs décennies, il n’échappe pas lui aussi à la tendance baissière qui frappe les partis historiques : le nombre de sièges passe de 32 à 27. Ces formations politiques doivent d’urgence revoir leur stratégie et leur discours, et proposer une offre crédible et cohérente, sous peine de mourir à petit feu.
Dossier réalisé par Amine Elkadiri
Des élections «irréprochables»
C’est l’une des principales bonnes nouvelles de ce scrutin : Le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) juge crédible et transparent le scrutin du 7 octobre dans son rapport préliminaire relatif à l’observation des élections législatives 2016.
L’institution présidée par Driss El Yazami relève dans les conclusions dudit rapport que «sur le plan de la gestion, l’opération électorale a été irréprochable. L’administration électorale, en réussissant l’organisation logistique du vote, a contribué à garantir la crédibilité et la transparence du scrutin». C’est le signe de l’avènement d’une certaine maturité politique au Maroc, dont il faut se réjouir.
Par ailleurs, selon la même source, l’absence de contestation majeure de la part des acteurs politiques, combinée aux premières conclusions des différentes observations électorales neutres, nationales et internationales, confirme le caractère libre et intègre du scrutin. D’ailleurs, la presse internationale s’est très largement fait l’écho du bon déroulement du scrutin.
L’exploitation des données systématisée de l’observation menée par le CNDH lui permettra d’affiner l’analyse dans la perspective du rapport final qui comprendra des recommandations. Le CNDH suivra également le processus contentieux pour d’éventuels litiges électoraux devant la justice constitutionnelle.