Finances News Hebdo : Quel regard portez-vous sur la nécessité de la part des Etats de mettre en place des politiques convergentes en matière de lutte contre le terrorisme ?
Pascal Boniface : A l’évidence, la mise en place d’une politique convergente est nécessaire. Le terrorisme n’est pas une menace nationale. Il est un péril régional, voire mondial.
L’absence d’une politique concertée entre les pays concernés laisse l’occasion aux terroristes de passer à travers les mailles du filet de façon plus facile. La base de la coopération se situe à l’échelle mondiale et chaque Etat-nation doit jouer sa partition.
Les pays du Maghreb ont un rôle de soutien, de support et de surveillance de leurs frontières. Cela dit, la coopération n’est pas contraire à la souveraineté. Cette coopération qui suppose le partage d’informations, se fait entre Etats souverains.
F.N.H. : Que vous inspirent les enjeux stratégiques mondiaux pour ne citer que l’immigration illégale et la lutte contre le terrorisme ?
P. B. : Il faudrait être vigilant par rapport aux phénomènes évoqués. Même si des victoires récentes ont été enregistrées contre l’Etat islamique (EI) et que ce dernier a pratiquement perdu tout son territoire, la menace terroriste et sécuritaire subsiste encore.
L’attention doit être de mise au niveau des Etats, sans pour autant tomber dans une sorte de panique. En conséquence, la vigilance suppose certes l’attention mais les Etats et leurs citoyens ne doivent pas vivre dans un climat de peur ou changer leur mode de vie. De ce fait, les libertés publiques ne doivent pas être fortement restreintes. Il ne faut ni nier la menace terroriste ni la surestimer pour en faire l’Alpha et l’Oméga de la vie quotidienne.
F.N.H. : Comment jugez-vous la composition du G5 Sahel (Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Tchad, Mali) et la politique étrangère de la France dans cette partie du monde ?
P. B. : Je pense que l’intervention de la France au Mali a été une réussite. Celle-ci a permis d’éviter l’existence d’une sorte d’Afghanistan en Afrique. Si les jihadistes avaient pris Bamako, les faire sortir de la capitale malienne aurait été davantage difficile.
De plus, plusieurs milliers de Maliens et d’étrangers vivant à Bamako seraient pris en otage, ce qui serait une catastrophe.
En même-temps, les solutions sécuritaires doivent émaner des pays et des régions concernés, avec l’aide de la France et de la communauté internationale. Car, même si les forces françaises sont initialement bien accueillies, à terme, elles sont mal perçues.
F.N.H. : Comment jugez-vous la récente politique étrangère américaine au Proche-Orient ?
P. B. : La politique étrangère américaine est tout simplement catastrophique. Il n’y a pas d’autres termes.
Toutefois, une logique sous-tend cette politique, car ce que fait le président Trump est loin d’être erratique. Celui-ci accentue les crises internationales afin de masquer les problèmes inhérents à la politique intérieure menée, tout en servant quelque part l’industrie de son pays.
L’accentuation de la crise avec la Corée du Nord a pour conséquence l’augmentation du volume de commandes d’armes du Japon et de la Corée du Sud.
Lorsque Trump dresse l’Arabie Saoudite contre l’Iran, les commandes d’armes de la région du Moyen-Orient progressent. Cette situation est profitable à l’industrie américaine de l’armement.
L’autre crainte est qu’alors que le Président américain veut se rapprocher de la Russie et qu’il s’en éloigne, le risque est que l’on assiste à la livraison d’armes en Ukraine. Ce qui est de nature à aggraver les tensions entre la Russie et l’Ukraine.
La récente reconnaissance de Jérusalem comme la capitale d'Israël de la part de Trump est un geste de politique intérieure afin de séduire une partie de son électorat sans pour autant se préoccuper des conséquences internationales extrêmement négatives.
Tout le monde sait que cette question de Jérusalem est une mèche à combustion lente. Le risque est que les contrecoups atteignent d’abord les régimes arabes modérés. Ces derniers veulent le dialogue et ils peuvent être mis en cause. La reconnaissance de Jérusalem est une prime donnée à tous les radicaux et à ceux qui prônent la haine entre l’Occident et le monde musulman.
Le conflit du Proche-Orient perdure depuis longtemps, mais Jérusalem ne concerne pas uniquement Israël et la Palestine. Cette ville est un lieu saint pour l’ensemble des musulmans (pays arabes et asiatiques, Turquie, Iran, etc.) et des chrétiens.
En définitive, la décision américaine prise pour des considérations de politique intérieure aura de lourdes conséquences stratégiques à l’échelle mondiale.
Comment interpréter la montée des mouvements sécessionnistes dans le monde ?
P.B : Aujourd’hui, l’on assiste à plus de guerres de sécession que de guerres de conquête. Il y a vingt ans au sujet du conflit yougoslave, j’avais développé le terme de prolifération étatique, une augmentation anarchique du nombre d’Etats. Si la Yougoslavie s’est effondrée, c’est parce qu’en partie la Slovénie, entité riche a voulu faire sécession.
De nos jours, à l’échelle mondiale, l’on constate que les régions les plus riches expriment le dessein de se séparer des entités moins nanties. Les exemples sont nombreux, le Kurdistan irakien, la Catalogne (Espagne), la communauté flamande (Belgique), etc. A mon sens, il faut se réhabituer à vivre ensemble. Il existe près de 100.000 peuples à l’échelle mondiale et chacun ne peut pas avoir un Etat. ■
Propos recueillis par M. Diao