Gouvernement Akhannouch: «Certaines réformes impliquent des choix politiques courageux»

Gouvernement Akhannouch: «Certaines réformes impliquent des choix politiques courageux»

Le Maroc est appelé à initier un certain nombre de réformes urgentes, mais aux relents impopulaires.

Les partis de l’opposition doivent à dépasser leurs clivages politiques pour coordonner leurs actions.

Entretien avec Mohamed Belmir, politologue et professeur universitaire.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo : Huit mois après sa nomination, le gouvernement Akhannouch fait l’objet d’une série de critiques, notamment pour ce qui est de l’homogénéité de sa coalition. Quelle en est votre lecture ?

Mohamed Belmir : Aucun gouvernement au monde ne peut échapper à la salve des critiques, non seulement de l’opposition, mais aussi des citoyens, des acteurs socioéconomiques du pays ou des médias. Il faut dire que ce cabinet a entamé son mandat dans une conjoncture très difficile marquée en particulier par les soubresauts liés à la crise sanitaire, engendrant une crise économique qui sévit encore. La situation s’est compliquée davantage avec la sécheresse sévère de cette saison et aussi la guerre en Ukraine qui a causé une forte flambée des prix. Net importateur de pétrole et de blé, le Maroc en paie lourdement les frais et continue d’en subir les conséquences, avec des effets collatéraux de grande ampleur. Il faut rappeler que dès sa nomination, ce gouvernement a adopté comme slogan : rapidité, efficacité et homogénéité. Il s’est engagé à relever les défis de la conjoncture, faire face aux exigences en matière de développement et à l’impératif d’accélérer la promulgation et l’implémentation du pacte national pour le développement. Mais entre les engagements et la réalité, il existe toujours un déphasage. Lors de leur réunion mensuelle, les trois leaders de la coalition montrent une image d’harmonie et de solidarité, même si dans les coulisses des échos font état de quelques divergences. Dans les meetings politiques, ces leaders adoptent un discours assez différent de celui en tant que ministres. Le plus souvent, ils imputent les difficultés que rencontre l’économie nationale à la mauvaise gestion de l’ancien gouvernement.

 

F.N.H. : Pensez-vous que face à cette conjoncture difficile et pour préserver la paix sociale, le gouvernement risque de ne pas lancer les réformes nécessaires ?

M. B. : Les partis formant la coalition gouvernementale ont recueilli une majorité confortable. Il est donc tout à fait logique que ce gouvernement puisse faire des choix politiques courageux. Certaines réformes stratégiques, comme celle de la compensation, ne doivent pas tarder. Tout temps perdu impliquera des effets indésirables de taille. Par exemple, si la décompensation pour les hydrocarbures n’avait pas été adoptée il y a quelques années, le budget public aurait été mis à rude épreuve et l’Etat marocain aurait été incapable d’honorer ses engagements. S’il devait le faire aujourd’hui, ça aurait été préjudiciable à d’autres secteurs. Il est temps d’entamer le processus de décompensation pour le sucre, la farine et le butane et d’octroyer des aides directes aux populations démunies. Certes, ce genre de décisions est très lourd de conséquences sur le plan politique, mais il faut les adopter et en assumer les responsabilités. Le PJD en est le parfait exemple. Il a fait des choix douloureux comme la réforme de la retraite et la compensation des hydrocarbures, ce qui l’a mené à perdre une bonne partie de son électorat, en chutant de la première à la huitième place sur l’échiquier politique. D’autre secteurs ont besoin de réformes et de plans de développement d’urgence. Je pense notamment à celui de l’eau, car le Maroc risque de subir une catastrophe dans les années à venir si aucun programme audacieux n’est lancé. Sans oublier la santé et l’enseignement.

 

F.N.H. : Avec des formations dispersées, minoritaires et diamétralement opposées sur le plan idéologique, l’opposition peutelle avoir un poids pour contrôler la majorité et être une force de propositions ?

M. B. : De par l’article 10 de la Constitution, l’opposition parlementaire dispose d’un statut lui conférant des droits à même de lui permettre de s’acquitter convenablement de ses missions afférentes au travail parlementaire et à la vie politique. Mais, comme vous l’avez souligné, il existe une multitude de partis dont le référentiel idéologique est parfois diamétralement opposé. On trouve de toutes les couleurs  : des partis conservateurs, des formations progressistes et d’autres libérales. Mais face à une situation difficile, les chefs de groupes parlementaires des partis de l’opposition ont rencontré, il y a quelques semaines, leurs chefs de partis. L’objectif était de coordonner leur action politique pour construire une opposition homogène face à la troïka gouvernementale. Certes, il existe des divergences frappantes entre certains leaders, à l’image de Abdelilah Benkirane et Driss Lachgar. Toutefois, l’objectif n’était pas de réconcilier les personnes, mais d’arrêter une position commune sur des sujets de grande importance afin d’atténuer l’hégémonie de la majorité. Quand on analyse de près le rythme de travail de l’opposition, je pense qu’il est assez satisfaisant. Cela est visible sur le nombre de questions orales et écrites posées, le travail en commission et les demandes d’enquête.

 

F.N.H. : Certains ministres occupent aussi la fonction de président de commune. Le sujet du cumul des mandats ne nécessite-t-il pas une remise en question ?

M. B. : Le cumul des mandats ne concerne pas uniquement les ministres, mais aussi les parlementaires et autres hauts commis de l’Etat. Ce phénomène existe dans plusieurs pays du monde, y compris dans les grandes démocraties. Certains pays imposent certaines restrictions dans ce domaine. Sur le plan juridique et institutionnel, au Maroc rien n’empêche ce cumul, alors qu’il est interdit d’être parlementaire et président d’une commune de plus de 300.000 habitants. Nabila Rmili, qui était à la fois ministre de la Santé et maire de Casablanca, a été contrainte, sous la pression des réseaux sociaux, de renoncer à sa première fonction pour se consacrer exclusivement à la gestion locale. C’est une décision qui a été fortement saluée par les citoyens. Un président de commune doit mener un travail de proximité et être proche des citoyens afin de suivre leurs problèmes au quotidien. Un ministre dispose d’un bureau à Rabat, ses activités protocolaires se font le plus souvent dans la même ville et il doit être présent chaque semaine au Parlement pour répondre aux questions écrites et orales et participer aux activités des commissions. De par sa fonction, il est appelé à entamer de nombreux déplacements à l’étranger. Donc, sur le plan pratique, il est difficile de mener à bien ces différentes missions et être efficace pour les deux mandats. Mais les ministres concernés délèguent leurs pouvoirs et supervisent à distance leur attribution au niveau de la commune. Pour réussir ce challenge, ils doivent disposer d’une équipe qualifiée qui jouit d’un capital confiance. Il doit être soutenu par une majorité forte. Et pour conforter son pouvoir et contrer les poches de résistance émanant des membres de son bureau ou du conseil communal, le président d’une commune est appelé à faire des compromis. 

 

 

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