Si quelqu’un avait dit à Emmanuel Macron qu’il allait débuter la seconde année de son second mandat avec une crise froide avec les pays du Maghreb, il aurait affiché une certaine incrédulité, mettant ce scénario sur le compte des fantaisistes ou des pessimistes forcenés. Et pourtant, c’est le cas aujourd’hui. Le dialogue politique à haut niveau avec le Maroc est en panne, à tel point que les deux pays sont incapables de programmer la moindre visite d’Etat de leurs leaders respectifs.
La défiance et la méfiance avec l’Algérie ont atteint aussi un tel niveau que la très attendue visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune a été renvoyée aux calendes grecques, mettant à nu une relation abrasive entre Français et Algériens. Ironie de l’histoire de cet imbroglio français au Maghreb : c’est pour ne pas perdre Alger que Paris a entamé cette séquence hivernale dans sa relation avec Rabat.
Le Maroc ayant demandé une clarification de la position française sur le Sahara, demande ignorée par Macron avec le prétexte non assumé de ne pas hérisser le régime algérien pour lequel le dossier du Sahara continue d’être un chiffon rouge. Avec le temps et les accumulations des crises, des frictions et des malentendus avec ces deux capitales du Maghreb, Emmanuel Macron a besoin d’une vraie remise en question de ses choix stratégiques. Il sait mieux qui quiconque que si la mésentente est amenée à durer, elle aurait fatalement des répercussions économiques sur /et la présence française au Maroc et ses ambitions économiques et mémorielles en Algérie. Les milieux économiques français ont à plusieurs reprises montré leur allergie à cette tension politique.
De nombreuses alertes ont été formulées, soit par le biais des visiteurs du soir du palais de l’Elysée, soit publiquement par voie de presse. Avec cette interrogation sous forme de nouvelle obsession : la France peut-elle se permettre le luxe de se fâcher si longtemps avec cette région sans courir le risque de perdre pied au profit d’une agressive concurrence internationale ? Cette préoccupation aura été sans aucun doute au centre des enjeux de la visite que devait effectuer au Maroc à la fin de ce mois le chef du patronat français, Geoffroy Roux de Bézieux. Mais cette visite, sous le poids de ces mésententes, a été reportée à des jours meilleurs.
Cette préoccupation a été aussi présente lors de la visite du patron des Républicains Éric Ciotti début mai à Rabat; un parti de la droite républicaine traditionnellement proche des milieux d’affaires, autant de signaux d’alerte susceptibles d’attirer l’attention du pouvoir politique de ne pas laisser la crise s’installer dans la durée. Il est clair aujourd’hui que s’il n’y avait pas cette guerre entre la Russie et l’Ukraine qui joue le paravent sur ce qui se passe à la marge, cette tension franco-maghrébine aurait gagné en visibilité et aurait imposé à Emmanuel Macron l’urgence d’agir pour apporter les indispensables remèdes. Encore faut-il pour la diplomatie française avouer officiellement l’existence de cette crise avec le Maghreb et la nécessité de trancher ces enjeux … Aussi bien le palais de l’Élysée que le quai d’Orsay ont cette tendance à minimiser la gravité de cette crise, en ignorer volontairement les impacts.
Pour Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, comme pour Emmanuel Macron, les divergences entre Paris et les capitales du Maghreb ne semblent pas avoir atteint des niveaux d’alerte qui exigent une profonde remise en cause des choix français au Maghreb. Le scénario le plus pessimiste sur les enjeux de cette crise est que face à ce qui apparaît comme d’indépassables blocages, Emmanuel Macron, qui n’a pas d’ambitions de se projeter vers un troisième mandat, puisse se contenter de gérer le temps sans provoquer d’accélérations notables.
Les plus optimistes n’excluent pas une entreprise d’Emmanuel Macron qui réussira à appliquer son adage «en même temps» sur la diplomatie avec le Maghreb. Se réconcilier avec le Maroc en satisfaisant ses demandes et normaliser ses relations avec l’Algérie en la persuadant que le rappel avec Rabat ne signifie pas forcément le divorce avec Alger. Ce n’est qu’à ce prix qu’Emmanuel Macron pourra sortir la diplomatie français de cette impasse des trois palais (Elysée, Al Mouradia et Palais royal) dans laquelle ses grandes hésitations l’avaient enfermé, au risque de provoquer, sinon une rupture du moins un éloignement politique et économique de la France avec cette région du Maghreb.
Par Mustapha. Tossa journaliste et politologue