Un nouveau gouvernement vient d’être constitué, le quatrième en 2024, ce qui témoigne de l’instabilité politique du pays. Dans un contexte marqué par des tensions internes et une opposition parlementaire divisée, le Premier ministre hérite d’une mission délicate et complexe. Entretien avec Amar Dib, écrivain, sociologue, juge et médiateur international.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : La scène politique française traverse une période difficile. Quel regard portez-vous sur cette situation et comment analysez-vous la composition de ce quatrième gouvernement formé en 2024 ?
Me Amar Dib : Le spectacle donné par notre classe politique, depuis au moins quinze ans, est par moments assez affligeant et inquiétant, pour conduire les Français à s’interroger sérieusement sur le devenir de leur pays. La droite n’est plus la droite, elle suit haletante, et sans véritable conviction, les idées du Rassemblement National pour tenter de renaître. La gauche n’est plus la gauche, elle se cherche une nouvelle identité, un nouveau souffle, pour se relancer et revenir aux affaires, mais se montre incapable de mobiliser tellement elle a beaucoup déçu. Enfin, il reste les extrêmes, à gauche comme à droite, le RN et LFI notamment. Ces derniers essayent d’apparaître comme des alternatives crédibles et en mesure de sauver la République, ses valeurs et son identité, mais ne parviennent pas à constituer une majorité à l’Assemblée nationale leur permettant d’accéder au pouvoir. Viennent se greffer là-dessus les collusions en tout genre, les trahisons, les débauchages, les compromissions multiples où chacun privilégie sa carrière et sa réussite personnelle, en oubliant allègrement les véritables soucis des Français… La liste de ce gouvernement baroque, constitué de personnalités hétéroclites, disparates, me parait à l’image des débuts de monsieur Bayrou, très inquiétante. Le Premier ministre s’est dit «fier de sa nouvelle équipe», il n’y a vraiment pas de quoi ! Quand on recycle deux anciens Premiers ministres, dont un certain Manuel Valls, un homme assoiffé de reconnaissance, qui a tout trahi, on peut naturellement penser que ce gouvernement ne va faire que plonger davantage la France dans la division et le chaos…
F.N.H. : Emmanuel Macron a nommé le vendredi 13 décembre, François Bayrou Premier ministre. Comment interprétez-vous ce choix ? Pensez-vous que cette nomination a le potentiel d’apaiser les tensions politiques provoquées par la motion de censure ?
Me A. D. : D’abord, il faut savoir que sous les deux présidences de Emmanuel Macron, le nom de François Bayrou a systématiquement été évoqué quand il s’est agi de changer le Premier ministre de la France. Notamment parce que ce fut dès 2017, l’un des premiers responsables politiques à soutenir, avec son parti le Modem, le candidat Macron et à lui apporter un soutien total et les parrainages nécessaires. Il attendait son heure depuis longtemps, c’est aujourd’hui pour lui la consécration qu’il espérait. Les prochaines semaines, et les prochains mois, nous diront si François Bayrou est l’homme providentiel dont avait besoin la France… Quant à sa capacité à modérer les tensions actuelles, je doute qu’il y parvienne. Rien dans son long parcours ne permet de le croire, ou même de l’espérer.
F.N.H. : Dans l’immédiat, quels sont les principaux défis auxquels François Bayrou devra faire face ?
Me A. D. : Il va déjà devoir faire mieux que son prédécesseur, Michel Barnier, qui a dû démissionner face à une motion de censure présentée et portée par une majorité des parlementaires de l’Assemblée nationale opposée à sa politique. Pour éviter que ce scénario ne se reproduise, il faudra à François Bayrou gagner la confiance d’une partie importante des parlementaires, ou pour le moins, éviter, aussi longtemps que possible, la censure de sa future politique.
F.N.H. : Dans une Assemblée nationale sans majorité, quelles stratégies Bayrou pourrait-il adopter pour négocier l’adoption du Budget 2025 ? Quelles concessions ou alliances pourraient être nécessaires pour assurer la stabilité politique et économique ?
Me A. D. : Avec une Assemblée aussi divisée, et particulièrement mobilisée contre le Président de la République, le nouveau Premier ministre devra faire preuve d’habileté, d’un grand sens de l’écoute, et surtout reporter à plus tard les questions qui fâchent : la loi sur l’immigration portée par le ministre de l’Intérieur, l’abrogation de la loi sur les retraites, les financements liés au réchauffement climatique, etc. Pour le budget, il y a très peu de chance qu’il puisse disposer d’une majorité pour son adoption, mais il pourra toujours utiliser le 49-3 pour le faire adopter. Ce qui ne devrait pas conduire à une nouvelle motion censure, notamment du fait que François Bayrou a toujours entretenu de très bonnes relations avec l’extrême droite de Marine Le Pen, seule force susceptible de s’associer à LFI pour le faire tomber. Dans tous les cas, le nouveau Premier ministre connait parfaitement les limites de l’exercice, et sait également combien son maintien à la tête du prochain gouvernement restera étroitement lié à une activité limitée, sans éclat, ni réforme, mais essentiellement dédiée à la gestion financière et administrative du pays. En quelque sorte, le traitement des affaires courantes jusqu’aux prochaines échéances électorales.
F.N.H. : Cette nomination marque-t-elle un tournant dans la gouvernance d’Emmanuel Macron ? Pensezvous que le Premier ministre pourra asseoir une légitimité suffisante pour mener à bien les réformes prévues ?
Me A. D. : C’est difficile de dire que cette nomination représente un tournant politique, dans la mesure où François Bayrou a toujours soutenu Emmanuel Macron et qu’il a toujours adhéré à son programme. Enfin, son parti le Modem a systématiquement eu des ministres dans les précédents gouvernements de la Macronie. François Bayrou à Matignon, c’est une forme de continuité dans un changement qui n’en est pas un ! Il bénéficie d’une conjoncture politique instable et chaotique, qui lui permet de devenir opportunément le Premier ministre de la France, et d’assouvir enfin, un rêve longtemps inespéré. Il n’en demeure pas moins que ses premiers pas dans la fonction de Premier ministre montre combien l’homme parait peu préparé pour un tel poste…
F.N.H. : Quel impact la nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre pourrait-elle avoir sur les relations diplomatiques entre la France et le Maroc ?
Me A. D. : Concernant la charge des relations internationales, elle restera, sans aucun doute, le domaine réservé du Président de la République Emmanuel Macron. On peut en conséquence légitimement penser que François Bayrou, ni aucun autre ministre de ce nouveau gouvernement ne viendra s'ingérer dans les relations entre les deux pays. La coopération lancée il y a deux mois avec le Maroc va naturellement se poursuivre et probablement s’intensifier.
F.N.H. : Pensez-vous que l’arrivée de François Bayrou à Matignon pourrait entraîner un changement dans la politique étrangère de la France vis-à-vis des enjeux géopolitiques au Maghreb, et plus particulièrement du Maroc ?
Me A. D. : S’agissant des relations avec les États étrangers, encore une fois domaine réservé du Président de la République, il est évident que François Bayrou aura tellement à faire avec les problèmes intérieurs de la France, notamment la gestion quotidienne des difficultés économiques, financières et politiques qu’il ne cherchera pas à s’immiscer, ni à interférer dans les relations entre notre pays et le Maroc. Faut-il le rappeler, Bayrou est très peu connu à l’international, c’est un homme de l’intérieur, il n’a pas vraiment d’histoire dans le domaine diplomatique. Depuis la visite officielle d’Emmanuel Macron au Maroc il y a deux mois, et les nombreux accords signés, il est évident que la France souhaite que le Maroc devienne l’un de ses partenaires privilégiés sur le continent africain. C’est pourquoi je pense, qu’en préalable à cette rencontre et à ce développement, le Président français a souhaité avant tout trancher la question du Sahara en faveur du Maroc. Une manière de donner des gages pour la suite, et aussi d’affirmer la volonté de la France d’être aux cotés du peuple marocain et de son Roi.