Politique : le trend de la déflation

Politique : le trend de la déflation

En ce début 2024, comment appréhender la vie politique nationale ? Le gouvernement Akhannouch est à mi-mandat. Il a eu fort à faire, confronté à des facteurs externes (Covid, conflit Ukraine - Russie) et internes (inflation, séisme d'Al Haouz, etc.). La croissance n'a pas été au rendez-vous, tant s'en faut : médiocre en 2022 avec 1,3%, puis 2,8% en 2023 et des prévisions de 3,2% en 2024. Les pertes d'emploi en 2023 se chiffrent à 157.000 postes; le chômage s'est aggravé de 11,8% à 13% avec un taux plus élevé dans les villes et surtout chez les jeunes de 15-24 ans - une hausse de sept points. A noter encore que les grands équilibres demeurent solides, confortant la bonne signature du Maroc à l'international.

Qu'en est-il maintenant au plan politique et institutionnel. L'agenda électoral de 2021 a été respecté malgré les contraintes de la pandémie Covid-19. Le gouvernement avec une bonne majorité a été investi en octobre 2021. Son mandat normal couvre la présente législature jusqu'en 2026. Dans le fonctionnement des institutions, prévaut donc la stabilité. Ce qui n'exclut pas quelque aménagement éventuel touchant des responsables de département ministériel ou encore la structure de ce cabinet. Mais par-delà ce premier niveau, des changements paraissent marquer l'ensemble du système de partis et plus globalement le champ politique national.

 

Avatars du marché partisan et politique

Le premier d'entre eux regarde la mouvance islamiste. Triomphante durant pratiquement une décennie (2012-2021), elle est désormais réduite à une portion congrue avec seulement 13 députés alors qu'elle en comptait 107 en 2011 et 124 en 2016. Mais il faut préciser que c'est là sa façade institutionnelle, légale si l'on ose dire; qu'un autre monde avec un référentiel éligible a échappé à cette forte décrue : celui de la «Jamaâ», l'association Al -Adl Wal Ihsane. Une société ou plutôt une «contre-société», un peuple de plus de deux millions de personnes, boudant et même boycottant les élections. Son crédo ? Islamiser la société sur la base des préceptes religieux au lieu de s'égarer et de se fourvoyer comme le PJD dans les méandres et les aléas du jeu électoral et politique. Voici deux semaines, le 6 février, cette «Jamaâ» a rendu public un «Document politique» sur la situation économique, sociale et politique au Maroc. D'ordinaire, elle développe des thématiques dans un autre registre intéressant la Commanderie des croyants, les vertus et le cahier de charges du khalifat ainsi que les préceptes religieux devant fonder la société. Faut-il en déduire qu'il s'agit là d'un «aggiornamento» voire une révision déchirante d'une stratégie prônée naguère par le leader historique de cette mouvance, Abdeslam Yacine, dès le début des années soixante du siècle dernier ? A-t-on affaire à un nouvel ordre de marche dans l'optique des prochains scrutins électoraux de 2026 ? Un ressourcement autour des fondamentaux de la «Jana» mais inséré dans un schéma pragmatique, opportuniste et participationniste. Le front du refus, oui sans doute, mais avec de l’ «entrisme» dans le système institutionnel. D'autant plus que le marché partisan et politique enregistre bien des avatars et peut-être de nouvelles opportunités…

N'est-ce pas le cas en effet avec le PAM qui vient de tenir son Vème congrès et qui a perdu de sa capacité de dissuasion concurrentielle par rapport au mouvement islamiste. Ce parti du tracteur, pénalisé en 2011 par le hirak du Mouvement du 20 février, a été rejeté dans l'opposition jusqu'à octobre 2021 avec sept ministères dans le gouvernement Akhannouch. Il accuse une crise de leadership illustrée par le départ de son secrétaire général, Abdellatif Ouahbi, remplacé par une direction collégiale de trois membres (Fatima-Zahra El Mansouri, présidente sortante du Conseil national et nouvelle coordinatrice, Mohamed Mehdi Bensaid et Salaheddine Aboulghali); il n'arrive pas à se distinguer dans la majorité par une offre politique bien identifiée; enfin, pèse sur lui tant sur ses parlementaires et ses élus tant d'affaires judiciaires jugées ou en cours qui obèrent son discours de réhabilitation de la politique aux yeux des citoyens. Du pain béni pour la mouvance islamiste qui voit son adversaire historique englué par tant d'hypothèques pouvant difficilement lui valoir d'ici 2026 la faveur de certains électeurs... 

 

Un tableau contrasté

Du côté des autres formations, le tableau est plus contrasté. Le RNI présidé par Aziz Akhannouch paraît s'installer et consolider sa place centrale sur l'échiquier national. S'y sont ralliés d'ailleurs bien des notables, notamment du PAM, qui ont estimé que son parrainage était davantage porteur, aujourd'hui et demain. Quel que soit le bilan de ce cabinet en 2026, le parti de la colombe continuera sans doute à occuper une place de premier plan dans un avenir prévisible : La formation istiqlalienne, elle, est confortée aujourd'hui avec une représentation politique significative : la présidence de la Chambre des conseillers, quatre ministères et 81 députés. Elle ravive aujourd'hui le projet «égalitariste» historique des années soixante avec les orientations Royales du modèle de société. Mais il lui reste à surmonter les obstacles qui freinent la tenue de son 18ème congrès encore retardé.

Le MP de Mohamed Ouzzine - lequel a succédé à Mohand Laenser- dans l'opposition depuis octobre 2021 peine à être audible. Sa vocation gouvernementale traditionnelle est ainsi contrariée. Il a des difficultés à se distinguer, son référentiel historique (l'amazighité et le monde rural) ayant perdu sa pertinence et son actualité dans la mesure où ces deux revendications sont prises en charge par les orientations Royales et déclinées dans les politiques publiques. 

L'UC est-elle plus audible ? Son nouveau secrétaire général, Mohamed Joudar, pâtit d'un manque de leadership et d'une démobilisation des élus et des électeurs, son repositionnement contraint dans l'opposition poussant largement dans ce sens.

 

Le socle progressiste dilué…

Enfin, du côté du mouvement progressiste, l’état des lieux reste problématique. L'USPP de Driss Lachgar, inconsolable dans l'opposition depuis octobre 2021, s'accommode mal de cette situation. Elle a multiplié les signes de ralliement pour escompter une place dans la majorité - en vain. Son identité socialiste reste brouillée, elle n'est plus porteuse d'un projet de société ni de valeurs d'alternance ni d'alternative comme par le passé. 

Le PPS de Mohamed Nabil Benabdallah est sans doute le plus «activiste» dans l'opposition, convoquant régulièrement ses instances et interpellant continument le gouvernement. Une esquisse de rapprochement se dessine ces temps-ci entre ces deux formations historiques de la Koutla. Jusqu'où ira-t-elle à terme tant il est vrai que le socle progressiste et socialiste ne se nourrit plus des ferveurs militantes de naguère. Ne s'est-il pas dilué en effet dans les grands chantiers Royaux (justice sociale, solidarité nationale, État de droit, libertés) que s'emploient, à réaliser à des rythmes variables, les politiques publiques du gouvernement.

Le management public a finalement supplanté les programmes des partis. D'ailleurs, les activités organiques des structures des formations partisanes sont bien limitées, intermittentes, voire même ponctuelles. Un rôle bien éloigné des missions qui leur sont confiées par la Constitution dans les dispositions de l'article 7 (encadrement et formation politique des citoyens, expression de la volonté des électeurs, etc.). Des «machines» tournées vers le chiffre dans la perspective des élections. Une déflation qui paraît durable avec l'élargissement du champ du débat national dans les réseaux sociaux qui comptent plus de vingt deux millions d'internautes. La politique numérique déclasse les partis; elle accentue leur marginalisation. La démocratie y gagne-t-elle ?

 

 

Par Mustapha SEHIMI 

Professeur de droit (UMV Rabat), Politologue

 

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