Communication de crise : le cas Al Hoceima (entretien)

Communication de crise : le cas Al Hoceima (entretien)

 

Les stratégies de médiation dans notre pays semblent en panne. Il faut oser inventer un nouveau modèle de participation citoyenne continue et permanente, préconise Rajaa Kantaoui, experte en communication de crise et en stratégie institutionnelle des secteurs sensibles. 

 

Finances News Hebdo : Premièrement, quels sont les écueils à éviter lorsqu'on est en face d’une situation de crise que l'on tend à contenir ?

 

Rajaa Kantaoui : Qu’elles proviennent d’acteurs externes ou internes, les menaces sont souvent enchevêtrées les unes dans les autres. Contenir une crise, c'est d'abord éviter de l'aggraver. Lorsqu'une situation devient tendue, la susceptibilité est à son paroxysme, et chaque mot, geste, attitude, peut jeter de l'huile sur le feu. Il existe deux valeurs infaillibles qui avantagent toute communication sensible. J’ai cité la bienveillance et l’honnêteté. Les porte-paroles doivent être expérimentés, entraînés et encadrés de près. Il faut surtout éviter de mentir (ou de se mentir), en déroulant des promesses coutumières. Aussi, faut-il éviter de se poser en donneur de leçons, de cacher des vérités ou d'alimenter les suspicions en abusant des stratégies de bouc émissaire.

Enfin, pour réussir la gestion d’une situation sensible et assurer une bonne sortie de crise, il est recommandé de choisir le bon timing et ne pas dépasser les 72 heures préconisées dans ce genre de situation.

Aujourd’hui, la communication de crise ne peut plus se satisfaire d’une communication linéaire et instinctive. Elle nécessite une approche nouvelle en phase avec les nouveaux paradigmes de notre société.

 

F. N. H. : La majorité s’est fendue en mai dernier d’un brûlot accusant les manifestants du Hirak du Rif de séparatistes avant de se rétracter, et voilà encore El Othmani qui reconnaît qu'il s'agissait bien d'une erreur. Comment interpréter cette confusion et approximation de la majorité ? Et comment le récepteur a-t-il interprété ce message du gouvernement ?

 

R. K. : Je pense que le Hirak a été accompli en deux temps. L’après-décès de feu Fikri où l’opinion publique a été tenue en haleine. Plus de quatre mois se sont écoulés en catimini en attendant le déblocage du nouveau gouvernement. S’en suivent la nomination et l’installation du nouveau Chef de gouvernement qui, après tant d’attente, s’est avéré incapable d’agir ou intervenir dans la région.

L’erreur s’est aggravée par l’absence de communication, l’omerta opérée par le nouveau gouvernement et la reprise des commandes par le ministère de l’Intérieur.

Ensuite, il y a eu le fameux communiqué voué à l’échec à cause de son parti pris avec les déclarations des responsables des partis de la majorité, ayant colporté des accusations de séparatisme. Ce communiqué est d’ailleurs le parfait contre-cas d'école pour les cours de communication de crise. Etait-ce une simple erreur de débutant ou une basse manœuvre  qui a fini par accroître la colère et raviver les flammes ? Personnellement, j’en reste perplexe.

Il fallait s'excuser immédiatement après. Plus d'un mois plus tard, il y a eu ce mini mea-culpa forcé par les questions du journaliste Abdallah Tourabi lors du show en direct.

 

F. N. H. : Justement, quelle évaluation faire de la récente sortie médiatique d'El Othmani sur nos chaînes publiques ?

 

R. K. : Partant du principe que les «mea-culpa» tardifs ne font plus de miracles, je ne peux qualifier cette sortie médiatique, ni de réussite ni d’échec. C’est sans surprise et tellement prévisible. Nous avons assisté à une communication d’un Chef de gouvernement égal à lui-même, flegmatique, posé et difficile à extirper de son mutisme auquel il nous a habitués.

Il ne faut surtout pas le comparer à son prédécesseur qui usait du verbe et d’anecdotes. Miner dans l’émotionnel n’est pas son fort, El Othmani oppose de la raison et des chiffres macroéconomiques dont la maîtrise viendra avec le temps. Il sied aussi de garder en tête que cet exercice fut son premier face-à-face à un citoyen abreuvé par des Live, Tweet et des retransmissions en direct. C’est l’un des exercices de la communication politique des plus délicats. Celui de s’installer face aux médias et essayer de convaincre un audimat exigeant et des manifestants en colère, dont la confiance dans le discours politique est au plus bas.

 

F. N. H. : Aujourd'hui, tous les canaux de communication sont rompus. Comment peut-on les rétablir ?

 

R. K. : De toute sortie de crise, on apprend quelque chose. Ce petit plus qui nous permet un «Learning» instantané qui peut servir dans l’avenir. Nous vivons une époque où le transfert de crise opère en toute fluidité entre crise sociale, politique, religieuse et économique.

Les enjeux et menaces n’épargnent aucune sphère. D’où l’importance des nouveaux métiers de gestion de crise qui prennent en considération l’ensemble des canaux de réception. Dans un «post-crisis», il est recommandé de cartographier les parties prenantes de la crise et étudier le contexte et les facteurs déclenchant. Mais aussi, fédérer l’opinion des acteurs de cette crise, initier les feed-back et lister les obstacles rencontrés. Le mot d’ordre serait de bouleverser les paradigmes préétablis.

L’heure est au changement. Les stratégies de médiation dans notre pays sont en panne. Il faut oser inventer un nouveau modèle de participation citoyenne continue et permanente, où les citoyens apprivoisent le mode d’action de l'administration et que cette dernière prenne en considération le temps court des demandes des citoyens. Il faudra agir ensemble aux côtés du gouvernement, et pourquoi pas gouverner ensemble ? Il suffit d’y croire et d’agir dans ce sens pour un Maroc meilleur. C'est l'essence même du mouvement Changer.ma par exemple, auquel j'ai pris personnellement part dès le mois d'octobre dernier, bien avant le décès de Feu Mohcine Fikri et le début du mouvement «Hirak du Rif». ■

 

Propos recueillis par I. Bouhrara

 

 

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