Benkirane et «sa» majorité : Quel compromis ?

Benkirane et «sa» majorité : Quel compromis ?

Shimi

A ce jour, cela fera donc plus de six semaines que Abdelilah Benkirane, Chef du gouvernement, désigné par le Roi le 10 octobre dernier est à la recherche d’une majorité.

Il s’agit bien d’«une» majorité et non pas de la majorité puisque les partis sortants ne sont pas tous reconduis. Pour l’heure, le leader du PJD (125 sièges) n’a l’appui que de la formation istiqlalienne de Hamid Chabat (46) et du PPS (12). Au total, cela donne 183 sièges, une quinzaine en deçà de la majorité absolue requise au sein de la Chambre des représentants.

Après un premier tour de table qui a concerné le PPS, le PI, l’USFP, l’UC et le RNI, l’équation s’est quelque peu compliquée. La formation socialiste de Driss Lachgar hésite. Le MP de Mohand Laenser a posé des conditions jugées inacceptables par Benkirane en invoquant qu’il ne voulait pas rejoindre une majorité formée du PJD et des trois partis de la Koutla. Quant au RNI, son nouveau président, Aziz Akhannouch, élu lors du congrès extraordinaire du 29 octobre en lieu et place de Salaheddine Mezouar, a formulé trois exigences : la non-participation du parti de l’Istiqlal, la prise en compte de l’alliance conclue par son parti avec l’UC de Mohamed Sajid (19 sièges) et une mise à plat des mesures sociales pour éviter l’électoralisme … Benkirane refuse et s’insurge même contre ce qui s’apparente à ses yeux à un «diktat». Tel est l’état des lieux. De quoi nourrir, ici et là, bien de supputations sur les pistes d’une sortie de crise. Comment y voir plus clair alors ? Difficile à cet égard d’ignorer le recadrage fait par le Roi dans son discours de Dakar, en date du 6 novembre : pas de majorité arithmétique ni de «partage du butin électoral», nécessité d’une majorité et d’un gouvernement cohérent, homogène et efficace, enfin des compétences qualifiées. Dans la confusion actuelle, il importe de hiérarchiser les hypothèses de règlement et de distinguer entre la réponse pouvant être offerte par la Constitution et celle relevant plus proprement des possibilités de faisabilité politique. Au regard des textes, que trouve-t-on ? L’idée d’élections anticipées.

Comme les résultats du 7 octobre n’ont pas permis de former une majorité, on «refait le match» si l’on ose dire et les 15,7 millions d’électeurs inscrits seront de nouveau convoqués aux urnes. Mais qui peut prendre cette décision ? En l’état, pas le Chef du gouvernement Benkirane qui n’a pas cette attribution parce qu’il n’a qu’un statut de Chef du gouvernement désigné. A ce titre, il ne jouit pas de la plénitude des compétences d’un chef de l’Exécutif. Et il n’y a que le Roi qui peut se résoudre au recours à une telle procédure (art. 96 de la Constitution).

Pour autant, le Souverain se ralliera-t-il à cette solution ? Rien n’est moins sûr, compte tenu de son coût financier (un milliard de DH), et surtout politique. Le Maroc serait en effet plongé de nouveau dans un climat électoral qui ne peut qu’être tendu en ce sens qu’il va exacerber les affrontements et les divisions. Cela dit, pour ce qui est des éventuelles solutions ne nécessitant pas un fondement constitutionnel, il faut évoquer tout d’abord cette idée hasardeuse voulant que le Roi – après l’échec de Benkirane – nomme une autre personne issue cependant du même PJD. On nous dit que ce ne serait pas contraire à la Constitution puisque l’on serait toujours dans le cadre de l’article 47; que ce serait l’esprit des dispositions dudit article relatif précisément à la nomination par le Roi d’un «Chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête… ». Or, pareille proposition cumule toutes les incapacités politiques de fait: le PJD refusera en tout état de cause et partant, il aura beau jeu de justifier que c’est là une ingérence intolérable; sans oublier d’ajouter que ce ne serait à ses yeux qu’une manœuvre préjugeant de ce refus pour écarter le PJD et ne pas respecter la volonté des électeurs. Dans cette même ligne, l’épure visant à former une autre majorité (PAM, RNI, UC et même USFP) soit un total de 205 sièges n’est pas davantage recevable ni même plaidable.

Elle serait la preuve que tout a été fait dès le départ pour y arriver, comme substitut programmé pour l’échec de Benkirane et pour empêcher une majorité autour de son parti.

Alors ? Ne reste qu’une dernière formule : celle d’un compromis fut-il laborieux. Ce serait la participation du RNI – sans exclusive alors contre le PI et sans son nouvel allié l’UC. Prévaudrait ainsi l’intérêt national. Benkirane vient de rendre hommage au RNI pour son savoir- faire économique et pour la qualité de ses cadres. C’est là un signe d’une autre approche allant dans ce sens. Une tonalité, un climat pouvant conduire à un accord avec la formation de Aziz Akhannouch. Il faut savoir finir une crise. Nul doute que le temps est venu, dès la fin de la visite royale en Afrique de l’Est, de positiver faute de quoi les acquis de la construction démocratique risquent d’être fragilisés, installant le Maroc dans un palier politique et économique passablement dépressif et même baissier…

Par Mustapha SEHIMI, Professeur de droit politique

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