Par A. Hlimi
Des radios y ont consacré des émissions entières, la presse écrite en a fait ses gros titres et la réaction des partis politiques et autres mouvements dans les jours qui ont suivi, ont permis d'apporter du grain au moulin au buzz provoqué par le gouverneur de Bank Al-Maghrib, qui a traité les partis politiques marocains, dans une expression qui, traduite de l'arabe, ressemblerait à des «machins-trucs» en perte de confiance. Une phrase qu'il a demandée à retirer tout de suite après l'avoir prononcée.
Mais la diffusion en direct de sa conférence de presse a permis à l'ogre Internet de se l'approprier et l'exploiter. Les réactions n'ont pas tardé. Le RNI, l'un des prétendants aux prochaines élections et membre du gouvernement actuel, s'est tout de suite dit offensé en évoquant «des propos qui insultent les partis politiques et empêchent la construction institutionnelle du Royaume».
Même son de cloche de la part du Mouvement Damir, qui a appris avec «stupéfaction» les propos tenus par le wali de Bank Al-Maghrib à l'endroit des partis politiques. Ce dernier déclare dans un communiqué que «tout en affirmant son respect pour la personne de Monsieur Abdellatif Jouahri et sa considération pour son long parcours au service de l'État, il (le Mouvement) rejette de la façon la plus ferme ces propos qui se distinguent par leur caractère hautain et dédaigneux à l'égard de la classe politique marocaine dans son ensemble et de ses responsables en particulier. Ces propos sont venus s’ajouter à d’autres, de même nature, comme cela a pu être constaté lors de la dernière audition du Wali de Bank Al-Maghrib par la Commission des finances de la Chambre des représentants».
Une récidive assumée
Si le Mouvement Damir s'arrête aux propos du wali à la Chambre des représentants, il est possible, pour les habitués du Conseil de Bank Al-Maghrib à une époque où la Banque centrale ne diffusait pas les conférences du wali en direct, de remonter encore plus dans l'histoire récente pour se souvenir de discours beaucoup plus virulents tenus à l'égard du gouvernement Benkirane, notamment sur le retard des réformes et en réponse aux critiques du parti à l'égard du lancement des banques participatives. A l'époque, les médias ou proches du PJD ont accusé le wali de retarder les agréments des banques participatives.
Les clashs étaient légion et le wali était bien plus virulent dans ses propos avec, en face, un Benkirane qui répondait coup pour coup devant ses partisans. Ceux qui ont suivi le parcours de Abdellatif Jouahri savent que derrière sa manière nonchalante de parler des politiciens, se cache en réalité une posture bien assumée pour transmettre au grand public un message que Bank Al-Maghrib adresse déjà officiellement, et depuis des années, directement au Roi dans le cadre de son rapport annuel sur la politique économique, monétaire et financière.
Les termes changent, mais le message est le même. Un rapport dans lequel Jouahri n'hésite pas, dans sa synthèse exposée au Roi, à pointer du doigt les politiciens en appelant notamment à «renforcer le front interne» et placer les enjeux stratégiques au-dessus des «considérations politiques». Dans son rapport 2014, le gouverneur de la Banque centrale n’a d’ailleurs pas ménagé ses critiques à l’égard du gouvernement Benkirane, évoquant pour cette année-là «l’absence de signes tangibles d’un dynamisme global générateur de richesses et d’emplois».
Selon lui, «les progrès réalisés sur le plan des équilibres sont dans une grande mesure attribuables à des facteurs conjoncturels». Quant à savoir si le wali de Bank Al-Maghrib doit ou non parler de politique, ses propos face à la commission des Finances de la première Chambre apportent peut-être la réponse : «L'évasion fiscale bat son plein. Si on ne résout pas le problème de l'humain et de la gouvernance publique et privée, l'économie ne peut pas évoluer. Tout est lié...Nous avons besoin de rétablir la confiance pour être considéré comme un pays émergent».
La vraie question est de savoir si les propos de Jouahri seront entendus par le plus grand nombre. Est-il vraiment capable d'influencer le taux de participation aux prochaines élections législatives prévues en septembre ? Peut-il faire gagner ou perdre un parti ? Deux questions auxquelles personne ne peut répondre, en dehors d'une manière scientifique basée sur des sondages crédibles. Tout le reste n'est que consommation médiatique.