Aziz Akhannouch - Moulay Hafid Elalamy : destins croisés

Aziz Akhannouch - Moulay Hafid Elalamy : destins croisés

 

Le premier a 56 ans, le second 57. Hommes d’affaires à la base, chacun d’eux gère actuellement, sous la même bannière politique, deux super-ministères. Un excellent businessman fait-il pour autant un bon homme politique ?

 

Super-ministres, super-pouvoirs et super-riches. Moulay Hafid Elalamy (MHE) et Aziz Akhannouch : voilà deux hommes qui incarnent chacun ces trois qualificatifs. Le premier est ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement, et de l’Economie numérique ; le second est ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts. Rien que ça !

Deux hommes, trois qualificatifs, quatre points de ressemblance. Primo : ils ont d’abord ceci de commun qu’ils roulent pour le même parti politique, le Rassemblement national des indépendants. Mais hiérarchiquement, Akhannouch est le «patron politique» de MHE. Secundo : ils sont de la même génération, Elalamy (57 ans) étant l’aîné de Akhannouch (56 ans). Tertio : ils ne sont pas des hommes politiques purs et durs qui ont roulé leur bosse dans les rouages tortueux de la realpolitik. Non. Nous serions même tentés de dire que ce sont des hommes politiques… par défaut. L’étiquette politique qu’ils arborent l’un et l’autre semble, en effet, juste être le ticket qui leur a permis, aujourd’hui, de trôner à la tête de deux super- ministères.

Enfin, MHE et Aziz Akhannouch sont par contre de redoutables et talentueux hommes d’affaires. Cela aussi, ils l’ont en commun. Leur réussite dans les affaires explique-telle qu’on les ait «versés» dans le monde politique ? Un brillant homme d’affaires fait-il forcément un excellent homme politique ?

 

Akhannouch a pris goût

 

D’après le classement Forbes 2017 des hommes les plus riches du monde, Aziz Akhannouch est la seconde fortune au Maroc, avec un patrimoine évalué à 1,5 Md de dollars, juste derrière le président du Groupe FinanceCom, Othman Benjelloun, qui brasse 1,9 Md de dollars. S’il était certes connu grâce à la position centrale qu’occupe son groupe dans le secteur des hydrocarbures au Maroc, c’est surtout sous sa casquette de ministre que le patron du Groupe Akwa a marqué l’opinion publique. Il est nommé pour la première fois ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime par le Roi en 2007, et reconduit en 2012. L’actuel président du Rassemblement national des indépendants (RNI) a même vu ses prérogatives renforcées lors de la formation du nouveau gouvernement, le 5 avril dernier, avec un ministère auquel a été rattaché le développement rural et les eaux et forêts.

Par la force des choses, Akhannouch ne fait pas cependant partie de cette trempe de ministres qui peuvent être méconnus des citoyens durant leur législature. Cela, pour deux raisons : d’abord, il dirige un ministère stratégique, l’agriculture étant la locomotive de l’économie nationale et son principal moteur de croissance. Ensuite, un an après sa nomination, c’est-à-dire en 2008 et en exécution des directives du Souverain, a été annoncée une nouvelle stratégie de développement agricole, reposant sur l’agriculture moderne et solidaire. C’était la naissance du Plan Maroc Vert qui va propulser Akhannouch sous le feu des projecteurs. Dix ans après avoir hérité du département de l’agriculture, quel bilan peut-on faire de son mandat ? Lui, en tout cas, défend son action depuis qu’il est titulaire de ce portefeuille (voir encadré 1). Sur maintes filières, en effet, des progrès notables ont été enregistrés. Au point qu’aujourd’hui, l’expérience tirée du Plan Maroc Vert est actuellement exportée dans plusieurs pays africains. Pour autant, il reste beaucoup de choses à parfaire, surtout que ce secteur montre certaines fragilités dès lors que la pluviométrie fait ses caprices. Mais à sa décharge, il faut au moins convenir que l’agriculture marocaine dispose depuis près d’une décennie d’une feuille de route claire pour son développement, tout en permettant une meilleure organisation.

Sur le plan politique, le patron du Groupe Akwa a aussi pris du galon. Au sein de sa famille politique, mais également dans le microcosme politique marocain. Car, avec le recul, ce ne serait pas faux de dire qu’il est à l’origine de l’éjection de l’ex-chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, avec lequel il n’a pu trouver un accord pour former une majorité. Il faut le reconnaître : Akhannouch semble doté d’une certaine habileté politique qu’il met au service de son parti. Et ce ne sont pas les Pjdistes qui diront le contraire. Vainqueur des dernières législatives avec 125 sièges au Parlement, le Parti de la justice et du développement a vu son influence dans la majorité gouvernementale fortement rognée par le RNI. Un parti qui, avec seulement 35 sièges, mais grâce à ses alliances, a réussi à souffler le pouvoir au PJD, s'arrogeant au passage d'importants ministères comme les Finances, l'Agriculture ou encore l'Industrie et l'Investissement.

Un coup de maître qui incite à dire que, finalement, Aziz Akhannouch a pris, à raison d’ailleurs, et au regard de son succès, goût à la politique. Un succès qu’il savoure discrètement, sans triomphalisme aucun. Il n’est pas dans la fourmilière des scandales comme le sont certains hommes politiques. Il n’est pas dans les invectives virulentes et les insultes pour régler les différends politiques. C’est une force tranquille, et c’est peut-être cela qui a fait de lui l’homme politique qu’il est : un naturel calme et efficace. Néanmoins, cet homme affable peut sortir de ses gonds. Et cela lui est arrivé il y a quelques mois face aux tergiversations de l'Union européenne à propos de l'Accord agricole. Akhannouch s’était notamment fendu d'un communiqué au ton ferme lui demandant d'«assurer le cadre nécessaire pour l’application des dispositions de cet accord dans les meilleures conditions». «La Commission européenne ainsi que le Conseil européen ont la responsabilité de neutraliser les tentatives de perturbation par des positions et un discours clairs et cohérents avec des décisions que ces instances ont, elles-mêmes, portées et adoptées», avait-il dit, soulignant qu’il est primordial de préserver l’accord agricole et de la pêche «au risque de déclencher de lourdes conséquences au plan socioéconomique, dont l’UE assumera l’entière responsabilité».

 

Elalamy, habité par la fonction

 

Hausser le ton comme son «patron politique», MHE sait aussi le faire. Et comment ! Son super-ministère, on n’y touche pas. Et certaines critiques ont tendance à passablement l’irriter. Même si elles viennent d’institutions comme la Banque mondiale. Institution qu’il a recadrée, il y a un mois, de façon virulente et de manière peu amène. «Les rapports de la Banque mondiale ne sont pas paroles d'évangile», avait-il déclaré, affirmant que «lorsque l'on discute avec eux (la Banque mondiale, ndlr) au ministère, on se rend compte qu'ils ne comprennent pas réellement de quoi ils parlent». «Avant le PAI, en 10 ans, on a créé seulement 75.000 emplois industriels», concluait-il.

Après 4 ans à la tête de ce département, c’est peu de dire que MHE commence à être habité par la fonction. Celui que l’on surnomme Monsieur Ecosystème, terme qu’il a réussi à vulgariser dans le monde industriel, défend d’ailleurs son bilan avec une certaine fierté (voir encadré 2). Il est vrai que la mise en place des écosystèmes a considérablement transformé le paysage industriel marocain. Néanmoins, il faudra maintenir la cadence, sinon faire davantage si l'on veut porter la part industrielle dans le PIB à 23% en 2020.

La réalisation de cet objectif reste l’une des grandes priorités de MHE. Ceci explique-t-il qu’il soit muet sur le plan politique ? En effet, on l’entend très peu, voire pas du tout s’exprimer sur les sujets purement politiques. Ce n’est sûrement pas son truc. Parlez-lui plutôt industrie, commerce, investissement et économique numérique. Ou encore business. Ça, c’est son dada. Faire des affaires, prendre des risques… pour réussir brillamment ou échouer lamentablement. Lui, a su prendre des risques pour fonder Saham, devenu un puissant groupe opérant dans plusieurs métiers au Maroc et à l’international. Et au final, MHE est devenu multimilliardaire. En dirhams pour le moment. En attendant d’intégrer le classement Forbes des milliardaires (en dollars).

Conclusion : avec leur double casquette de businessman et ministre, Moulay Hafid Elalamy et Aziz Akhannouch élargissent aujourd’hui le cercle restreint des hommes les plus puissants et les plus influents du Maroc. ■

 

 

Quelques avancées permises par le PMV
Le Plan Maroc Vert (PMV) a permis la création de plus de 300.000 exploitations agricoles, pour passer de 1,5 million à 1,8 million d'exploitations. C'est ce qu'a annoncé le ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Aziz Akhannouch, à l'occasion des 9èmes Assises de l'agriculture, organisées en avril dernier à Meknès autour du thème «Agriculture et sécurité alimentaire au fil de l'eau». «Un progrès significatif dans la mécanisation de l'agriculture marocaine a été enregistré, pour atteindre 8,03 tracteurs pour 1.000 hectares, au lieu de 4,9 enregistrés avant la mise en œuvre du PMV», a-t-il précisé. Concernant l’amélioration de la qualité et la productivité des filières animales qui constituent l'un des objectifs du PMV, Akhannouch a fait état d’une hausse du nombre du cheptel ovin de 4 millions de têtes (+18%), pour atteindre 26,1 millions de têtes, et du cheptel bovin de 1 million de têtes (+43%) pour atteindre 3,3 millions de têtes. «Grâce aux premières données du recensement général de l’agriculture, on a observé le saut qualitatif réalisé par le PMV avec la transformation de 700.000 hectares de systèmes agricoles à des exploitations de haute valeur ajoutée (arbres fruitiers) et l’exploitation nouvelle de 20% des terres bour non exploitées», ajoute-t-il.

 

PAI : «Promesses tenues»
«Le Plan d’accélération industrielle (PAI) a répondu à ses promesses, avec une cadence de réalisations soutenue et des objectifs à mi-parcours largement atteints. Des chantiers d’envergure ont été lancés et des investissements structurants ont été drainés. Ils sont de nature à développer de nouvelles spécialisations, à renforcer les chaînes de valeur locales et à densifier le tissu productif. A ce jour, 12 secteurs ont été structurés en 43 écosystèmes, engageant le secteur privé à réaliser 132 milliards de DH de chiffre d’affaires à l’export et à créer 427.000 emplois parmi lesquels 160.000 ont d’ores et déjà été contractualisés dans le cadre des contrats d’investissement conclus depuis le lancement du PAI (PSA, Stelia, Thalès, Renault, Hexcel, Siemens…). A mi-parcours, nous sommes donc parvenus à sécuriser près de 83% des objectifs du PAI». Extrait de l’interview accordée par MHE à Finances News Hebdo en avril dernier (www.fnh.ma).

 

 

Par D. William

 

 

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