Faut-il le rappeler ? Voici quelques semaines à peine - avant le séisme d'Al Haouz du 8 septembre -, la rentrée politique se présentait pratiquement de manière conventionnelle. Un projet de Loi de Finances 2024 en voie de finalisation, un agenda social, avec en particulier l'institution des allocations familiales à compter de la prochaine année, la poursuite des réformes et la préservation du pouvoir d'achat des citoyens.
Il faut y ajouter la relance du dialogue social et la délibération sur le code du travail ainsi que sur le droit de grève. Rien de bien glamour, dira-t-on. Patatras ! Voilà qu'avec la catastrophe naturelle, tout est chamboulé : l'organisation des secours pour les 300.000 sinistrés, la reconstruction de milliers d'habitations dans plus de 5.000 douars sont autant de priorités. Le coût financier de ce programme est énorme, de l'ordre de 120 Mds de DH, comme première base d'évaluation quinquennale, aux termes des orientations Royales. Premier problème : comment mobiliser un tel chantier. Il est prévu une participation du budget général de l'État pour 2024, puis dans les exercices suivants. Une dépense exceptionnelle donc, pas budgétée dans la première mouture du PLF 2024, telle qu'elle avait été actée avant le séisme. De plus, il est prévu une participation de 2 Mds de DH du Fonds Hassan II, ce qui réduit d'autant le financement de ses interventions dans d'autres domaines. Et puis, il faudra bien recourir à l'emprunt international, de quoi peser sur ce que l’on appelle la soutenabilité des finances publiques.
De fortes contraintes d'arbitrage
Difficile, sur ces bases-là, de tenir et de réaliser les prévisions de croissance de 3,3% pour 2023 ni de 3,7% pour 2024. Prudent, le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, à l'issue de la réunion trimestrielle du Conseil de la banque, mardi dernier, a réservé toute nouvelle indication à cet égard, préférant attendre la fin de l'année en cours. En tout cas, pour l’heure, le gouvernement est tenu, lui, par le délai constitutionnel de la loi organique des finances, de déposer avant le 20 octobre son PLF devant le Parlement. Il ne pourra pas d'ici là faire l'économie de réaffectations de ressources, voire de réduction de dépenses d'investissement et de ralentissement dans l'avancement de nombreux programmes et chantiers.
Comment va-t-il arbitrer ? Pèsent sur lui ainsi de fortes contraintes qui ne vont pas manquer de nourrir des interpellations parlementaires et autres... Mais il y a plus. Référence est faite à ce qu'il faut bien appeler une interpellation royale, celle-là même signifiée dans la lettre du Souverain en date de ce même mardi à propos de la réforme du Code de la famille. Il est décidé en effet la formation d'une commission nationale ad hoc, élargie à plusieurs composantes - Oulémas, ministères dédiés, Justice. Cette mission de révision est assignée au chef du gouvernement; elle sera pilotée par le ministère de la Justice, le Conseil du pouvoir judiciaire et la Présidence du ministère public; elle associera également d'autres instances (ministère dédié, ONG, chercheurs et spécialistes). A noter encore le délai maximum de six mois qui est fixé pour la préparation des propositions de réforme, avant leur finalisation dans un projet de loi de l'exécutif à soumettre au Parlement.
Un autre modèle de développement
Difficile de voir dans cette décision royale quelque satisfecit donné à ce cabinet. Pourquoi ? Parce que dans le discours du Trône, le 30 juillet 2022, SM le Roi avait déjà demandé à ce même cabinet de plancher sur ce dossier. Quatorze mois après, la piqûre de rappel est là; elle révèle ce qu'il faut bien appeler la carence de ce gouvernement.
Pourquoi une telle situation ? L'argument tiré du fait que c'est un domaine réservé n'est pas recevable ni plaidable : tant s'en faut. Voici plus d'un an, c'est le Souverain qui avait requis l'exécutif actuel de lancer cette réforme. C'est dire que c'est la gouvernance de ce cabinet qui est en cause; et c'est elle qui a conduit à ce que la question du Code de la famille revienne désormais par suite de cette initiative royale. Mauvais point... Il en est d'autres qui pèsent également en faveur d'un passif. Un autre exemple a trait à l'exigence d'une nouvelle politique d'implication de la communauté des Marocains du monde, également traitée dans le discours du Trône de juillet 2022.
Qu’est-ce qui a commencé à être entrepris dans ce domaine ? Pas le moindre début de commencement d'avancement. Une gouvernance problématique décalée par rapport aux orientations royales ainsi qu'aux attentes de tant de secteurs ! Et puis, tout le reste qui est en attente, même si le discours gouvernemental continue à l'envi à en faire part : réforme fiscale, lutte contre la corruption, consolidation de la régionalisation…etc. Une réarticulation des axes stratégiques des politiques publiques est désormais à l'ordre du jour, sur la base des fortes inflexions royales; elle porte sur la priorisation du secteur rural et des zones montagneuses ainsi que sur l'édification d'un État social. Un autre modèle de développement tournant le dos à bien des approches «technocratiques» encore mâtinées d'autosatisfaction...