Algérie : la fatalité de l'isolement

Algérie : la fatalité de l'isolement

Le vendredi 15 mars courant, à Addis-Abeba, l'Algérie a enregistré un échec qui en dit long sur sa place et son rôle au sein de l'Union africaine (UA). C'était à l'occasion de la session extraordinaire du Conseil exécutif de l'UA consacrée à l'élection des hauts responsables de la Commission africaine (président, vice-président et huit commissaires). Le ministre algérien des Affaires étrangères a remis en cause le système de rotation régionale traditionnellement en vigueur. Il a invoqué à cet égard plusieurs arguments : la prévalence du «principe du libre choix, de la pluralité de candidatures et de la concurrence loyale; le fait que ce processus de sélection et d'élection a toujours consacré l'approche intégrative de l'organisation continentale»; et une approche «qui a mené les pères fondateurs à placer, de manière spontanée et successive, leur confiance en des personnalités appartenant à la même région, voire au même pays». Sur ces bases-là, il a appelé à «l'adoption d'une approche sélective à grande échelle entre les cinq régions, fondée avant tout sur le critère de la compétence et la qualification pour diriger l'organe exécutif de notre organisation, lequel offre réellement la possibilité de choisir entre des visions, des projets et des programmes». 

Une diplomatie erratique

Un argumentaire qui n'a pas été jugé recevable et qui a conduit la majorité des membres à le rejeter en ce qu'il ne respecte pas les principes en vigueur depuis la création de l' UA. Que veut l'Algérie ? Personne n'y voit très clair. Envisage-t-elle de présenter un candidat après la mandature du Tchadien, Moussa Faki, en fonction depuis le 30 janvier 2017, dont le mandat s'achève en février 2025 ? Entend-elle barrer la route au Nigéria en lice pour présider la commission africaine ?

Il faut bien relever que l'Algérie n'a plus de politique étrangère cohérente ni conséquente. Elle est de plus en plus erratique, compulsive, par «à-coups». Ni visible, ni intelligible, ni lisible - déroutante. Un palier dans lequel se déploie toujours le président Tebboune avec ses postures et ses rodomontades. Il n'y a qu'à l'endroit du Royaume où elle affirme une «continuité» dans le registre de l'hostilité, qui s'accentue d'ailleurs tant au plan bilatéral que dans certaines instances internationales. Ce constat sous forme d'échec a été fait globalement par le nouveau ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, fin décembre dernier, lors d’une interview à la chaîne de télévision qatarie, Al Jazira. Interrogé, il a reconnu que le Maroc a réalisé d'importants investissements dans ses provinces sahariennes et qu'il a bénéficié de multiples reconnaissances de la marocanité du Sahara récupéré… Et d'ajouter cet amer constat : «Au cours des quinze dernières années, pas une seule personne qui puisse parler au nom de l'Algérie». Une situation «due à l'inexistence d'un pouvoir réel en Algérie...».

Tebboune, pas de leadership

Le président Tebboune a-t-il repris en mains ce reflux et cet état des lieux ? Le discours officiel assène à l'envi le retour du pays sur la scène internationale en se référant au passage à la «Nouvelle Algérie» inaugurée par sa présidence depuis décembre 2019. En interne, le bilan est connu... En externe, qu'en est-il ? Comment ne pas parler d'échec ? Des faits, parmi tant d'autres, l'attestent suffisamment. A la mi- juillet 2022, l'Algérie a essuyé un revers avec la décision de l'Union africaine ( UA) de désigner le Rwanda comme siège de l'Agence africaine du médicament. Un désaveu malgré une grande mobilisation et le lobbying du ministre algérien Ramtane Lamamra. Preuve du recul de la capacité de mobilisation d'Alger au sein de l'Union africaine.

Dans cette même ligne, il vaut de rappeler que lors du sommet des BRICS, tenu en Afrique du Sud, en août dernier, l'échec avait été encore plus cuisant. Pourtant, depuis novembre 2022, le président Tebboune martelait que l'année 2023 serait celle de l'admission de son pays au sein de cette organisation, soutenant que ce serait la consécration d'une diplomatie rayonnante et du «rang» de son pays. Or, la candidature d'Alger n'a même pas été retenue dans la liste des candidats, par suite de l'opposition des pays membres des BRICS. Moscou n'a pas soutenu ce dossier, le ministre russe, Sergei Lavrov, précisant même que «les critères pris en compte étaient le poids, l'autorité et la position des pays candidats sur la scène internationale». A ce titre, six nouveaux pays ont été, eux, acceptés (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Égypte, Iran Éthiopie et Argentine).

Des hypothèques intérieures majeures

L'isolement d'Alger ?  C'est aussi sa responsabilité depuis 1994-95 dans l'échec de l'Union du Maghreb Arabe (UMA), une organisation régionale portant tous les espoirs depuis sa création à Marrakech en février 1989. Ces dernières semaines, le président Tebboune a proposé un «Plan B», si l'on ose dire, avec une «troika» maghrébine associant la Tunisie et la Libye. Une rencontre tripartite se tiendrait tous les trois mois en marge du Sommet d'Alger du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF), la première étant prévue à Tunis après le mois sacré du Ramadan. Elle est présentée comme «une nécessité d'unifier et d'intensifier les efforts pour relever les défis économiques et sécuritaires, au service des intérêts des peuples des trois pays». La Mauritanie a été approchée pour en faire partie, et ce pour isoler le Maroc, mais en vain.

Dans d'autres espaces géostratégiques, la voix d'Alger n'est pas vraiment audible ni influente. Au Moyen-Orient, sa solidarité avec le peuple palestinien est «activiste», mais sans être agissante. Avec les monarchies du Golfe, ce n'est pas plus probant, ni avec l'Arabie Saoudite et encore moins avec les Émirats Arabes Unis où prévaut une forte tension; avec l'Égypte, ce n'est guère mieux. Et puis, par ailleurs, s'opère une altérité persistante avec la France, les États-Unis aussi et un certain relâchement avec la Russie. Enfin, sur les grands dossiers internationaux, l'on ne trouve pas l'empreinte de l'Algérie (changement climatique, environnement, coopération Sud-Sud, lutte antiterroriste,...). Pas de leadership au total, le pays étant encalminé et corseté par des hypothèques intérieures majeures.

 

 

Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UMV Rabat), Politologue

 

 

 

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