TikTok et Instagram: les nouvelles vitrines du commerce informel au Maroc

TikTok et Instagram: les nouvelles vitrines du commerce informel au Maroc

Entre vidéos courtes, groupes cryptés et solutions de paiement mobile, le commerce de vêtements et d’accessoires explose sur les réseaux sociaux. Ce phénomène, à mi-chemin entre débrouillardise et disruption numérique, soulève des questions profondes sur l’usage de la technologie dans un cadre informel, non sécurisé et non régulé. Décryptage.

 

Par K. A.

Au Maroc, une nouvelle forme de commerce émerge, portée par l’essor des réseaux sociaux. Avec plus de 12,4 millions d’utilisateurs sur TikTok et 11,9 millions sur Instagram, ces plateformes deviennent des places de marché informelles où des milliers de vendeurs proposent vêtements, accessoires et produits de beauté. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte où le secteur informel représente environ 2,03 millions d’unités de production, dont 47% sont actives dans le commerce.

Derrière cette explosion commerciale en apparence spontanée se cache pourtant une mécanique bien plus complexe : celle d’un écosystème numérique improvisé, sans intégration ni régulation, mais d’une efficacité redoutable. Ces dernières années, les réseaux sociaux sont devenus de véritables canaux de vente, souvent plus efficaces que les marketplaces officielles.

Au Maroc, où les plateformes comme TikTok et Instagram comptent plusieurs millions d’utilisateurs actifs, des milliers de vendeurs opèrent désormais uniquement en ligne, sans site web, sans statut fiscal, sans aucun cadre structuré. À travers des vidéos engageantes, des messages directs et des groupes privés, ils créent un circuit commercial parallèle, rapide, agile, mais hors normes. Ce commerce numérique repose sur une utilisation intuitive et pourtant très avancée des outils technologiques disponibles.

Les vendeurs les plus performants maîtrisent les mécaniques de viralité, analysent les tendances, adaptent leur offre au rythme des algorithmes. Un modèle de sweat-shirt repéré dans une vidéo virale le matin peut se retrouver proposé à la vente dès l’après-midi. En arrière-plan, tout s’organise par messagerie : Telegram est devenu le centre nerveux de la logistique souterraine. C’est là que les commandes se centralisent, que les fournisseurs partagent les nouveautés, que les livraisons se négocient.

Des chiffres révélateurs

Le contraste est saisissant. L’écosystème dispose aujourd’hui de solutions technologiques avancées  : paiements mobiles interopérables, APIs bancaires, plateformes e-commerce, outils de suivi logistique. Pourtant, les vendeurs informels s’en détournent délibérément. Ce n’est pas par ignorance, mais par stratégie. En l’absence de règles contraignantes, l’agilité, la rapidité et la souplesse priment sur la conformité.

Pourtant, le volume du e-commerce formel au Maroc ne cesse d’augmenter. Au premier trimestre 2023, ce secteur a enregistré 41,3 millions d’opérations de paiement en ligne, représentant un chiffre d’affaires de 18,3 milliards de dirhams, selon les dernières données de l'lté.ma et Energiedin. En parallèle, une grande partie des ventes sur les réseaux sociaux informels se règle en espèces ou par transfert direct, rendant leur traçabilité quasi impossible et les excluant de toute statistique nationale. Les vendeurs préfèrent contourner les modules de paiement intégrés, jugés trop lents ou traçables, pour privilégier le cash à la livraison ou le transfert instantané via Inwi Money, Orange Money ou encore Barid Cash.

Le tout, sans facture, sans preuve, sans aucune trace exploitable par l’administration. Ainsi, l’absence totale d’historique d’achat ou de log de commande empêche toute forme de protection du consommateur. Enfin, il y a l’interopérabilité : aucun système ne permet aujourd’hui de faire dialoguer ces circuits parallèles avec les solutions formelles existantes. L’écosystème tech reste segmenté, incapable d’absorber cette dynamique.

Une transformation numérique à double tranchant

Pourtant, la technologie est au cœur du problème, comme elle pourrait l’être au cœur de la solution. Selon Anas Lahlou, consultant en transformation numérique, «le problème n’est pas l’absence d’outils, mais l’absence d’architecture ouverte. Les vendeurs informels ont construit leur propre système, car celui du secteur formel n’a jamais su les inclure de façon simple, mobile et rentable». À ses yeux, la régulation n’est pas uniquement une affaire de lois, mais une question de design technologique. Il ne s’agit pas de brider l’élan entrepreneurial de cette jeunesse connectée. Mais de penser des solutions technologiques à leur échelle, adaptées à leur réalité.

Des outils légers, mobiles, interopérables. Car ce n’est pas le formalisme administratif qui freinera l’informel digital, c’est l’offre de solutions plus efficaces. À mesure que ce souk numérique s'étend, il devient évident qu’il ne s’agit pas d’un simple phénomène de mode. C’est une transformation structurelle, portée par une génération née avec le smartphone à la main, rompue aux logiques de l’algorithme et aux formats courts. L’erreur serait de croire que ce marché n’a pas de règles. Il en a, mais ce sont celles des plateformes, pas celles du code du commerce. 

 

 

 

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