L’année 2025 n’a pas produit qu’une rupture spectaculaire. Elle a fait mieux, en installant durablement la technologie au cœur du fonctionnement économique mondial. Réseaux, cloud, données, cybersécurité, semi-conducteurs et intelligence artificielle ont cessé d’évoluer en silos. Ensemble, ils ont formé un système. En 2026, ce système devra désormais prouver qu’il sait tenir dans la durée.
Par K. A.
Il y a des années où la technologie impressionne. 2025 n’en fait pas partie. Elle appartient à une catégorie plus rare, plus structurante : celle où le numérique cesse d’être une promesse pour devenir une infrastructure.
Rien d’éclatant à première vue, mais une transformation profonde, silencieuse, presque irréversible. Les chiffres traduisent cette bascule. En 2025, les dépenses mondiales en technologies de l’information ont dépassé les 5.400 milliards de dollars, en progression proche de 8% sur un an. Ce n’est pas un emballement. C’est une contrainte. Pour les entreprises comme pour les États, le numérique n’est plus un avantage concurrentiel, mais un socle minimal de fonctionnement, au même titre que l’énergie, la logistique ou la finance.
Cette réalité se lit d’abord dans la connectivité. Près de six milliards de personnes utilisent désormais Internet, soit environ 75% de la population mondiale. Le smartphone s’est imposé comme l’interface centrale de l’économie numérique, avec plus de 5,7 milliards d’utilisateurs mobiles uniques. Paiement, information, services publics, commerce : tout transite par le réseau. Mais derrière cette massification, une fracture persiste. Plus de 2,2 milliards d’individus restent hors ligne, principalement dans les pays à faible revenu, ce qui freine directement la croissance, l’éducation et l’inclusion économique.
Le retour du «dur» : infrastructures, énergie, sécurité
Ce qui a réellement marqué 2025, ce n’est pas une application ni une plateforme, mais le retour en force de l’infrastructure. Le cloud est devenu l’ossature invisible de l’économie mondiale. Les entreprises, les banques, les administrations reposent désormais sur des architectures hybrides ou multi-cloud pensées pour la résilience plutôt que pour la simple performance.
Cette évolution explique pourquoi la croissance des dépenses IT est aujourd’hui tirée par les data centers, dont les investissements ont progressé de plus de 40% en un an, bien plus vite que les logiciels ou les équipements utilisateurs. Cette dépendance a une conséquence directe : la technologie est devenue un sujet énergétique. Les centres de données consomment déjà près de 2% de l’électricité mondiale, et cette part pourrait presque doubler d’ici 2030 si les tendances actuelles se confirment.
Pour Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, le numérique est désormais «un enjeu énergétique majeur», et les pays capables d’offrir une électricité abondante, stable et bas carbone disposeront d’un avantage stratégique décisif. Derrière le cloud, se joue une compétition silencieuse pour l’énergie et les infrastructures. À cette équation s’ajoute la cybersécurité. En 2025, les attaques informatiques ont changé d’échelle.
Ransomwares, attaques sur les chaînes d’approvisionnement, hôpitaux paralysés, administrations ciblées : le cyber-risque est devenu systémique. Le Forum économique mondial classe désormais les menaces cyber parmi les principaux risques globaux à court terme, au même niveau que les crises géopolitiques ou climatiques. La sécurité n’est plus un sujet technique. Elle conditionne la continuité économique.
Semi-conducteurs et données : la bataille de la souveraineté
Autre retour en grâce en 2025 : celui du hardware. Longtemps relégués derrière le logiciel, les semi-conducteurs sont redevenus un actif stratégique. Réseaux, automobile, industrie, data centers : tout dépend des puces. Le marché mondial du semi-conducteur a dépassé les 750 milliards de dollars en 2025, avec une trajectoire qui pourrait le rapprocher du trillion de dollars dès 2026. Mais cette croissance cache une fragilité : la production reste fortement concentrée géographiquement.
Pour John Neuffer, président de la Semiconductor Industry Association, cette dépendance constitue un risque systémique pour l’économie mondiale. La donnée suit la même logique. Elle est devenue un actif économique central, au même titre que le capital financier. Gouvernance, localisation, qualité, circulation : autant de sujets désormais politiques. L’OCDE souligne que la valeur du numérique repose moins sur la sophistication des technologies que sur la capacité à maîtriser les flux de données. En 2025, la souveraineté numérique n’est plus un slogan, mais un enjeu de compétitivité.
L’IA, une couche parmi d’autres
L’intelligence artificielle est partout en 2025. Dans les entreprises, les administrations, les outils du quotidien. Plus de 70% des grandes organisations utilisent désormais des solutions d’IA dans au moins une fonction opérationnelle. Mais l’IA n’est plus présentée comme une fin en soi. Elle est devenue une couche, transversale, dépendante du reste. Satya Nadella, patron de Microsoft, le résume clairement : l’IA est une couche de productivité qui repose entièrement sur les réseaux, le cloud et la donnée. Elle amplifie les systèmes existants, elle ne les remplace pas.
Après l’euphorie des annonces, le discours s’est durci. Les entreprises veulent des résultats mesurables. De la productivité. Du rendement. HIGH-TECH 31 www.fnh.ma Le véritable défi n’est plus la performance des modèles, mais leur intégration responsable dans des usages réels. En 2026, l’IA sera sans doute moins visible, mais plus profondément ancrée dans les processus.
2026, l’année du tri
L’année 2026 s’ouvrira sur un changement de ton. Après l’accumulation, viendra le temps des arbitrages. Les dépenses technologiques continueront de progresser, mais à un rythme plus sélectif. Les projections internationales tablent sur un franchissement du seuil des 6.000 milliards de dollars de dépenses IT mondiales, mais cette croissance ne sera plus mécanique. Elle sera conditionnée par la capacité des organisations à démontrer une valeur tangible, mesurable, durable. Cette inflexion se lira d’abord dans les budgets des grandes entreprises.
Selon plusieurs enquêtes menées auprès de dirigeants technologiques, près de deux tiers des CIO prévoient en 2026 de réallouer des budgets existants plutôt que de lancer de nouveaux projets. L’époque des expérimentations permanentes touche à sa fin. Les priorités se déplacent vers la consolidation des systèmes, la réduction des redondances et la simplification des architectures, notamment dans le cloud et la gestion des données.
La contrainte financière sera renforcée par un facteur longtemps sous-estimé : l’énergie. En 2026, les coûts énergétiques liés aux infrastructures numériques pèseront de plus en plus lourd dans les charges opérationnelles. Pour certains grands groupes, ils pourraient représenter jusqu’à 10% des coûts IT, contre moins de 5% au début de la décennie. Cette pression imposera des choix clairs : optimiser les centres de données, rationaliser les usages, arbitrer entre performance brute et sobriété numérique.
La cybersécurité entrera elle aussi dans une phase de maturité exigeante. Le marché mondial de la sécurité numérique devrait dépasser les 300 milliards de dollars en 2026, porté par la multiplication des attaques sophistiquées et le durcissement des cadres réglementaires. Mais là encore, la logique changera. Il ne s’agira plus d’empiler des solutions, mais de renforcer la résilience globale des systèmes, de sécuriser les identités et de protéger les infrastructures critiques, devenues vitales pour le fonctionnement des économies. Sur le terrain des réseaux, 2026 marquera une transition qualitative.
La 5G entrera pleinement dans sa phase de maturité, avec un recentrage sur les usages industriels, les réseaux privés et les services à valeur ajoutée. Les opérateurs chercheront moins à étendre la couverture qu’à monétiser la qualité, la fiabilité et la faible latence. En parallèle, les travaux préparatoires autour de la 6G s’intensifieront, sans promesse immédiate, mais avec un objectif clair : préparer la prochaine décennie technologique. L’intelligence artificielle, enfin, changera de statut.
En 2026, la majorité des organisations réduira le nombre de cas d’usage pour se concentrer sur ceux qui génèrent un impact réel. Plus d’une entreprise sur deux prévoit de rationaliser ses projets IA, non par désengagement, mais par souci d’efficacité. L’IA cessera d’être un argument de communication pour devenir un outil silencieux, intégré, parfois invisible, mais structurant dans les processus métiers.
Derrière ces évolutions, une même logique s’impose : la gouvernance. En 2026, la technologie ne sera plus évaluée uniquement à l’aune de l’innovation, mais à celle de la maîtrise. Maîtrise des coûts, des dépendances, des données, des risques et de l’impact environnemental. Les organisations qui tireront leur épingle du jeu ne seront pas nécessairement les plus audacieuses, mais celles capables de tenir dans la durée.