Bien qu’elle soit capable de bien des choses dans beaucoup de domaines, l’IA n’a en réalité rien de très intelligent.
Pour Luc Julia, co-concepteur de l'assistant vocal Siri et désormais directeur de l'innovation chez Renault, l’IA est certes un outil puissant, mais très différent de la représentation des films hollywoodiens.
Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage à Casablanca, lors d’une conférence intitulée «L'intelligence artificielle n'existe pas», organisée par le réseau des entreprises innovantes Leader Occitanie et Leader Maroc.
Propos recueillis par K.A
F.N.H: Vous dites dans votre ouvrage que «l’IA n’existe pas». Pourquoi ?
Luc Julia : Ce qui n’existe pas, c'est l'intelligence artificielle générique et générale. Celle qu'on voit à Hollywood dans les films ! Par contre, ce qui existe, c’est l’IA qui est capable de résoudre des problèmes très particuliers, très pointus. Et elle est bien meilleure que nous. L’IA est multiple et diverse. Elle permet de répondre à un besoin très spécifique à partir des données. C’est le fameux Big Data dont on entend parler depuis une dizaine d’années. En effet, il y a plein d’IA dans plusieurs domaines. Mais il n’y en a pas qu’une qui serait au niveau de l'intelligence humaine. L’IA n’est pas magique, c’est l’homme qui la conçoit, qui la contrôle et qui décide.
F.N.H: : Il y a beaucoup de bruit autour de l’intelligence artificielle ces derniers temps (ChatGPT, Jasper, …). Concrètement, où en est-on aujourd’hui ?
Luc Julia : En fait, on a des bases de données qui sont immenses, avec des milliards de paramètres, et on fait en sorte que ces intelligences artificielles, qu'on appelle génératives, ressortent le mieux possible les choses qu'ils ont ingurgitées avant. Elles ont l'air de créer des choses, mais elles ne créent pas, elles génèrent. Cela veut dire quoi ? Que la créativité reste du ressort de l’être humain, aussi bien dans la construction de l'outil que dans l'utilisation de cet outil. Autrement dit, c’est du remâchage, ce n’est pas de la créativité, c'est de la régénération.
F.N.H: : L'industrie automobile connaît actuellement son plus grand processus de transformation en une voiture électrique et entièrement connectée. Comment cela a-t-il modifié les exigences de la recherche et de l'innovation ? Quels sont les défis ?
Luc Julia : Un défi pour les compagnies, que je vais appeler les compagnies centenaires, c'est-à-dire les Renault, Peugeot, les Italiens, les Américains de la région de Détroit, c’est de se transformer et de comprendre ce que veulent les gens dans les voitures et essayer de ne pas se faire doubler par les nouveaux acteurs de la Silicon Valley, comme Tesla, Lucid, Rivian. Ces derniers amènent de nouvelles capacités technologiques dans ces voitures que les gens apprécient parce que ça leur rappelle un peu leurs téléphones. Les ‘vieux’ de l’industrie doivent essayer de se mettre à niveau. Les centenaires ont un avantage énorme pour tout ce qui est fabrication de voitures. C'est compliqué de faire des voitures, surtout à grande échelle. Nous avons vu ça avec Tesla qui a eu beaucoup de mal à fabriquer des voitures à grande échelle. Maintenant, Tesla a appris un peu, mais les autres (Lucid, Rivian) ont toujours des problèmes. Le challenge aujourd’hui est d’embarquer plus de technologies dans la voiture, pas uniquement pour la mettre, mais pour une réelle valeur ajoutée.
F.N.H : À quoi peut-on s'attendre à l'âge d'or de la mobilité, et quand ?
Luc Julia : L'âge d'or de la mobilité, c'est quand je vais pouvoir aller d'un point A à un point B d'une manière complètement fluide, quel que soit le moyen de transport. C'est quelque chose qui va être tellement évident que je n'ai pas à réfléchir pour faire ce trajet. Quand ? On s'en approche de plus en plus. Il y a aussi un volet environnemental bénéfique où je vais comprendre que pour me déplacer d'un point à l’autre, cela ne veut pas dire que je pollue la planète.