Finances News Hebdo : Le Projet de Loi de Finances 2018 prévoit une augmentation de la TVA (de 14 à 20%) sur les prestations de services réalisées par les courtiers d’assurance. Quel serait l’impact d’une telle disposition sur votre activité d’autant plus qu’elle n’ouvre aucun droit à la déduction ?
Ali Benjelloun : Avant de parler d'impact grave au demeurant, il y a lieu de préciser que cette taxation est une aberration en elle-même dans le sens où les intermédiaires ne déduisent pas de TVA et ne se retrouvent jamais par conséquent en situation de crédit TVA.
Nous avons ainsi pensé, fort des arguments avancés déjà en 2001 à la DGI et au ministre des Finances, que nous allions bénéficier du même traitement que nos confrères français, à savoir l'exonération totale, non par mimétisme, mais tout simplement parce que le principe fondateur de la TVA en fait une taxe payable par le consommateur final, ce que l’intermédiaire n’est pas.
Faute de pouvoir bénéficier de l'exonération, nous avons revu nos doléances à la baisse et plaidé pour le maintien des 14% avec un droit à déduction, à l'instar d'autres activités de service. Nous sommes surpris, voire consternés, d'apprendre aujourd'hui que non seulement nous passons à 20%, mais qui plus est, sans droit à déduction !
L'incidence d'une telle mesure, si d'aventure elle est appliquée, est d'une extrême gravité car, au–delà de son iniquité, elle poussera fatalement les intermédiaires d’assurances à réduire considérablement les effectifs employés en raison de leurs structures financières déjà fragiles.
Cette disposition injuste et antisociale ne peut, pour reprendre notre courrier du 19/10/2017 adressé au ministre des Finances, «que faire disparaître des milliers d’emplois, mettre de nombreuses familles sous perfusion et générer par conséquent dépit, fronde et contestation d’une profession dont l’apport à l’économie nationale est plus que conséquent».
F.N.H. : En 2015, la bancassurance a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 7 Mds de DH, boosté par l’essor de la branche Vie, soit une hausse de 14,7%. Ce chiffre d’affaires est réalisé par les onze banques agréées au Maroc. Par ailleurs, la bancassurance est encore appelée à se développer avec la refonte du livre IV. Des garde-fous sont-ils prévus pour protéger votre profession de cette rude concurrence ?
A. B. : La bancassurance est une réalité que personne ne peut nier. Elle s'est imposée partout dans le monde, notamment en matière d'assurance de personnes liée généralement au crédit. Mais, si en Occident ces opérations se font dans le strict respect de la loi et sont sanctionnées lourdement en cas d'infractions, au Maroc, la situation est totalement différente, car certaines banques usent et abusent dans l'impunité totale de leur position d'établissement prêteur pour imposer à l’emprunteur une «couverture maison».
En d’autres termes, l’assurance emprunteur est obligatoirement placée auprès de la seule compagnie d’assurances avec laquelle la banque a des liens capitalistiques. L’emprunteur n’a ainsi ni le choix de la compagnie d’assurances, ni même la possibilité de se prévaloir d’un contrat existant à même de le couvrir à hauteur du prêt consenti. En droit, on appelle cela de la vente liée. Elle est, à ce que je sache, interdite !
Bien plus grave, ces mêmes banques -riches de nos propres dépôts- ne se limitent plus à commercialiser les assurances de personnes, d’assistance et de crédit pour lesquelles elles sont autorisées, mais à distribuer illégalement au niveau de leurs propres guichets, multiples au demeurant, les assurances dommages, et tout particulièrement l’automobile, principal gagne-pain de quelque 1.800 intermédiaires d’assurances et leurs milliers d’employés.
Des milliers de citoyens qui pourraient, si aucune mesure sérieuse n’est prise, faire grossir les rangs des nombreux chômeurs que connait déjà notre pays. Autant vous dire que certaines banques ne craignent plus personne : ni les lois, ni ceux qui en assurent le respect. Vous conviendrez avec moi que ce comportement ne sert pas l’image du secteur des assurances censé être attendu sur la qualité des produits proposés, l’expertise de ceux qui les commercialisent et le service après-vente assuré par les seuls intermédiaires d’assurances.
S'agissant du projet d'amendement du livre IV, le dispositif que l'autorité projette de faire adopter pourrait certes permettre d'élargir le champ d'intervention de la bancassurance à la multirisque; risque que certaines banques commercialisent déjà illégalement, mais recadrerait la souscription pour compte, procédure qui permet aujourd’hui aux banques de contourner la loi et vendre de manière déguisée tout ce qui leur tombe sous la main.
F.N.H. : Entre autres doléances de la profession, la reconsidération de la rémunération des intermédiaires d’assurances figée depuis plus de 35 ans. Que préconisez-vous à cet effet pour y remédier ? Avez-vous saisi l’Autorité de contrôle ?
A. B. : C'est effectivement l'une des principales préoccupations de la profession et de la FNACAM, car les taux de commissions alloués actuellement et figés, comme vous le dites si bien, depuis plus de 35 ans, ont fait leur temps. Je pense honnêtement qu’au vu des gains réalisés actuellement par les entreprises d’assurances, de l’inflation et des charges de travail qu’assument au quotidien les intermédiaires d’assurances en termes de prospection, de recouvrement de primes et de gestion de sinistres, un effort devrait être fait par le marché pour que ces taux soient revus à la hausse.
Quoi de plus juste, en effet, que de motiver ses partenaires, en l’occurrence les intermédiaires d’assurances et reconnaître leurs mérites. Ceci étant, je dois préciser que certains intermédiaires continuent à se tromper d'interlocuteur et de cible dans le sens où l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) n'a plus de prérogatives en la matière depuis 2006, date à laquelle le commissionnement a été déréglementé. Ce n’est donc que dans le cadre de négociations que l’on pourrait imaginer une solution avec le marché. C’est la raison pour laquelle la FNACAM a ouvert des discussions avec la FMSAR (Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurances) aux fins de sensibiliser les compagnies d’assurances sur la nécessité d'une revalorisation des taux de commissions, dont principalement celui alloué encore aujourd’hui en assurance automobile. ■
Propos recueillis par S. Es-siari