Les discussions entre la Banque centrale et les partenaires spécialisés sont en cours.
La titrisation des créances offrira une nouvelle classe d’actifs risqués à haut rendement.
Par Youssef Seddik
C’est devenu une tendance structurelle, un vrai phénomène de place : les créances en souffrance n'en finissent pas de grimper et d'entacher les bilans des banques. Le secteur bancaire est actuellement à un taux de sinistralité de 7,5%.
L’allongement des délais de paiement et les défaillances des entreprises n’arrangent pas les choses. «Le niveau des créances en souffrance (CES) est intimement lié à l’environnement économique. La persistance d'une conjoncture difficile s’est accompagnée d’un accroissement des créances en souffrance depuis 2010. Cette hausse a été significative jusqu’en 2015 avec une augmentation annuelle de 14% en lien avec l’aggravation de la sinistralité sur les secteurs les plus sensibles», commente la Direction de la supervision bancaire (DSB) relevant de Bank Al-Maghrib.
Ainsi, cette persistance de la sinistralité est devenue un argument brandi par les banques lorsqu’on les juge de frileuses en termes de distribution de crédits. «Les banques marocaines prennent des risques plus que la normale. Dans une économie comme la nôtre, nous devons être dans un taux entre 3 et 4%. Nous avons frôlé les 8%, il y a un an. C’est un grand signal d’alarme», mettait en garde, il y a quelques mois, Mohamed El Kettani, PDG du Groupe Attijariwafa bank.
«Sur les trois dernières années, ce rythme de progression (des créances en souffrance : ndlr) s’est ralenti autour de 4% par an. Le ratio CES s’est ainsi établi autour de 7,5% en moyenne, niveau qui demeure significatif. A ce titre, les banques se sont attelées à optimiser leurs filières de recouvrement pour renforcer leur performance», abonde dans le même sens la DSB.
Une solution à l’étude
Aujourd’hui, une solution se profile et la Banque centrale se penche dessus sérieusement : la titrisation des prêts et leur revente sur un marché secondaire via des acteurs spécialisés.
«Bank Al-Maghrib suit avec les banques les discussions engagées avec des partenaires spécialisés pour la mise en oeuvre de solutions visant à alléger les créances en souffrance de leurs bilans. Ces discussions sont en cours et explorent notamment l’option de la titrisation, les portefeuilles qui pourraient être ciblés et les modalités de partenariat à envisager», explique-t-on auprès de la DSB. L’objectif recherché est double : libérer du capital au niveau des banques et contribuer à stimuler l’octroi de nouveaux crédits sains.
Ce faisant, ce type de mécanisme permet de diversifier les classes d’actifs de placement pour les investisseurs financiers et de contribuer à enclencher une dynamique d’amélioration au sein du marché du recouvrement des créances au Maroc. Rappelons que les opérations de défaisance ont permis à nos voisins espagnols d'éviter des faillites bancaires lorsque le pays était frappé de plein fouet par la crise immobilière de 2011-2012. D'ailleurs, les professionnels estiment que ce modèle serait le plus scruté dans le cadre de cette étude de faisabilité.
Comment ça marche ?
BAM nous a apporté plus de détails sur le mécanisme : les banques peuvent, à travers la titrisation, céder un portefeuille de créances en souffrance à une structure ad hoc sous forme de fonds qui en finance l’acquisition par l’émission de titres financiers placés auprès d’investisseurs. Une société de gestion spécialisée est désignée pour assurer le recouvrement des créances en souffrance titrisées.
Les produits de recouvrement servent à rémunérer notamment les investisseurs financiers ayant souscrit audit fonds. La titrisation des créances en souffrance offre une nouvelle classe d’actifs financiers non disponible sur le marché et destinée à des investisseurs y compris étrangers désirant des rendements et des primes plus intéressants notamment les investisseurs institutionnels et les fonds spéculatifs (Hedge Funds).
Valorisation des créances Une étape importante dans ce processus est celle de la valorisation des portefeuilles, objet de titrisation, qui s’appuie sur une évaluation de la recouvrabilité des créances en souffrance concernées. «La préoccupation aujourd’hui est que ces actifs soient à leur juste valeur dans les bilans des banques. Le point positif est que ces structures (Bad Bank : ndlr) permettront de gérer le marché de l’immobilier», a fait savoir Sekkat, PDG de CIH Bank, lors de la présentation des résultats semestriels 2019.
L'objectif est que les créances douteuses soient évaluées au plus près possible de leur valeur de marché. Car, si cette valeur est très basse, cela entraînera de lourdes dépréciations au bilan des banques concernées, qui peuvent donc avoir besoin d'être recapitalisées. Par contre, si l'Etat achète les actifs à un prix surévalué pour ménager les banques, elle les revendra forcément à perte.