Le premier Sukuk souverain du Royaume souscrit 3,6 fois.
Pour cette première, tout n’a pas été parfait. Les professionnels ont relevé certaines lacunes qu’il faudra corriger lors des prochaines émissions.
Après de longs mois d’attente, le Maroc a émis le tout premier Sukuk souverain de son existence le vendredi 5 octobre. Une date à marquer d’une pierre blanche dans la jeune histoire de l’industrie financière participative du Royaume.
Le ministère des Finances s’est empressé de communiquer, le soir même, sur les détails techniques de cette émission : les certificats de Sukuk, objet de l’émission, sont de type Ijara et ont porté sur un montant de 1 milliard de dirhams, amortissable sur une durée de 5 ans.
Ces Sukuks souverains sont adossés à un droit d’usufruit constitué sur des actifs immobiliers appartenant à l’Etat, au profit du fonds de titrisation créé à cet effet, intitulé Fonds FT Imperium Sukuk. Ce fonds procède à la location de ces actifs sur une période de 5 ans et les loyers annuels générés seront distribués aux porteurs de ces certificats de Sukuk. Cette première émission a été réservée aux investisseurs résidents, dont principalement les banques participatives et conventionnelles, les compagnies d’assurances, les caisses de retraite et les OPCVM.
Au niveau des résultats, les demandes de souscription se sont élevées à près de 3,6 milliards de dirhams et ont été servies à hauteur de 28%, soit un taux de sursouscription de 3,6 fois. Les investisseurs institutionnels participatifs ont été servis à hauteur de 35%. Ces certificats offrent un rendement annuel de 2,66%.
Rappelons que ces Sukuks sont d’une importance capitale pour le développement de la finance participative au Maroc. Ils sont considérés comme la meilleure alternative pour la mobilisation de l’épargne à moyen et long terme et les placements des investisseurs à la recherche d’instruments conformes aux principes de la finance participative.
Les Sukuks devraient également être utilisés par les banques participatives et par les compagnies d’assurances Takaful comme un instrument de gestion de la liquidité, si leur caractère négociable se confirme après la validation du Conseil supérieur des ouléma (CSO), comme l’a souligné Al Akhdar Bank, la filiale participative du Groupe Crédit Agricole du Maroc, qui a été désignée pour accompagner cette opération en tant qu’établissement dépositaire. Cette première émission souveraine permettra également de créer un nouveau marché des Sukuks et constituera une référence en termes de structuration et de coût de levée de fonds, ce qui devrait encourager d’autres émetteurs privés (banques et corporates) à envisager les Sukuks comme un instrument alternatif pour diversifier leurs sources de financement.
Quelques bémols
De manière générale, cette émission a été accueillie favorablement par les professionnels du secteur, qui n’hésitent pas à la qualifier de succès. Pourtant, il faut reconnaître que tout n’a pas été parfait.
Le premier bémol concerne la considération de ces certificats de Sukuk en tant qu’actif de titrisation pour les gestionnaires d’actifs. Cela a eu pour conséquence de circonscrire les souscriptions des OPCVM, dans la mesure où la loi les oblige à se limiter à 20% de leurs portefeuilles sur ce type d'actifs. Ce qui de fait a limité leur demande.
«L’émission aurait pu être souscrite 20 fois», regrette un professionnel de la gestion, qui estime qu’un effort d’interprétation aurait pu être fait par le régulateur pour considérer ces certificats comme des équivalents des bons du Trésor, d’autant que cette émission a été initiée par le Trésor et porte la garantie de l’Etat.
Cela se serait traduit par la transformation de certains OPCVM de taux classiques en OPCVM «halal» remplis de cash et de certificats de Sukuk, permettant de rabattre une partie de l’épargne grand public vers ce type de placement. Ce ne sera pas pour cette fois. Dommage !
Par ailleurs, plus de souscriptions aurait permis de faire baisser le taux de rendement qui, rappelons-le, doit servir de benchmark aux banques participatives pour leur refinancement. D’ailleurs, une étude de l’AMMC (voir encadré) auprès des opérateurs a montré que 50% d’un échantillon de professionnels choisiraient d’émettre des Sukuks à la place d’une obligation classique si les coûts relatifs à chaque instrument étaient identiques. Seulement 13% d’entre eux opteraient pour des Sukuks sans considération de coût.
Autre bémol pointé du doigt par les opérateurs : l’absence de note d’information permettant aux investisseurs de mieux connaître les actifs de l’Etat sur lesquels sont adossés les Sukuks, et aussi d’avoir une meilleure lecture des risques. «L’absence de note d’information a certainement limité la demande, d’autant que le marché était demandeur. Au Sénégal, la dernière émission de Sukuks souverains a été précédée d’une note d’information de près de 200 pages», nous explique-t-on. On fera mieux la prochaine fois. ■
La demande potentielle est là
Une étude de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) intitulée «Sukuk, quel potentiel de développement au Maroc ?», évalue auprès d’un échantillon d’émetteurs et d’investisseurs institutionnels marocains le potentiel de l’épargne institutionnelle pouvant être drainée par les instruments financiers islamiques.
Premier enseignement : 90% de l’échantillon pourraient envisager d’émettre un Sukuk si le cadre légal et réglementaire au Maroc le permettait. 62% estiment que c’est un instrument complémentaire aux produits de financement déjà existants, et 25% le considèrent comme étant un substitut à l’obligation classique.
Deuxième enseignement : 92% de l’échantillon déclarent connaître la finance islamique et les Sukuks et 75% portent un avis positif sur cet instrument en insistant sur son attractivité pour drainer une épargne potentielle non captée par la finance conventionnelle. De bon augure pour la suite.