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Startups : le Maroc peut-il rivaliser avec les géants africains ?

Startups : le Maroc peut-il rivaliser avec les géants africains ?

«Bien que les levées de fonds aient quadruplé en un an, il doit encore combler un écart significatif avec les «Big Four» africains et se méfier de la concurrence d'économies émergentes. L'État a un rôle crucial à jouer en devenant un client stratégique des startups locales et en réformant les réglementations pour favoriser l'innovation.

 

Par Y. Seddik

Les levées de fonds des startups marocaines en 2024 marquent une forte croissance: avec 70 millions de dollars collectés, le Royaume grimpe à la 5ème place du continent africain, selon le rapport Africa: The Big Deal. Un bond remarquable comparé aux 17 millions de dollars levés en 2023, qui témoigne d’une certaine maturité de l’écosystème marocain. Mais derrière les chiffres flatteurs, un constat s’impose : le Maroc reste distancé par les «Big Four» (Afrique du Sud, Nigéria, Égypte et Kenya) et voit se rapprocher des économies plus modestes comme le Ghana et la Tanzanie.

En l’espace d’un an, le Maroc a multiplié par quatre les capitaux injectés dans ses startups. Cette performance exceptionnelle dans un contexte continental en repli (-25% en 2024), n’est pas le fruit du hasard. Des initiatives comme le programme Innov Invest, porté par Tamwilcom, ont permis de structurer un réseau d’investisseurs locaux. Désormais, une dizaine de fonds actifs opèrent sur le marché contre une poignée il y a dix ans. Pour autant, le Maroc reste loin de rivaliser avec les «Big Four», dont les écosystèmes captent des montants astronomiques.

«La taille limitée du marché marocain et son faible degré d’intégration régionale freinent son attractivité pour les investisseurs internationaux», nous explique un professionnel du secteur. Selon lui, les secteurs porteurs comme la fintech ou la climatech, qui attirent massivement les fonds sur le continent, sont encore insuffisamment développés au Maroc. D’ailleurs, Max Cuvellier Giacomelli, co-fondateur de la plateforme Africa : the Big Deal, nous expliquait il y a quelques semaines «qu’en 2022 et 2023, les deux secteurs qui ont dominé les investissements en Afrique - fintech et énergie avec 70% du financement total levé - ont représenté à peine plus de 10% des investissements au Maroc. Agriculture, éducation et logistique ont attiré plus de financement en 2023, après une année 2022 marquée par le poids du Retail (Chari…) qui avait attiré 50% du capital levé».

 

Des opportunités freinées par des verrous structurels

Le secteur de la fintech, locomotive des levées en Afrique, illustre les ambiguïtés du marché marocain. Avec un taux de bancarisation avoisinant les 60%, le Maroc se positionne entre deux eaux : trop développé pour offrir des marges de croissance exponentielle, mais pas assez mature pour attirer des investisseurs habitués aux standards européens. «Nous avons un système financier robuste, mais très conservateur. Cela limite l’émergence d’acteurs innovants capables de challenger les leaders actuels», analyse notre expert. Il ajoute que ce constat dépasse la seule fintech : des secteurs comme la mobilité urbaine, la santé numérique ou encore les drones se heurtent également à des réglementations strictes qui freinent l’innovation. De plus, le premier client potentiel des startups, l’État, n’intègre pas suffisamment ces acteurs dans ses mécanismes. «Les startups marocaines pourraient largement répondre aux besoins technologiques locaux, mais elles se retrouvent souvent mises à l’écart au profit de fournisseurs étrangers», regrette le professionnel.

 

Un horizon fragilisé par des choix limités

Malgré sa progression remarquable, le Maroc reste en retrait lorsqu'il s'agit d'attirer les mégainvestissements qui caractérisent les Big 4. «Les financements entre 15 et 50 millions de dirhams sont une zone grise : trop petits pour les fonds de Private equity locaux et trop grands pour les fonds de capital-risque. Cela freine les startups qui veulent franchir un cap», souligne l’expert. Pour attirer des fonds internationaux capables de miser sur des projets ambitieux, le Maroc devra également renforcer son intégration régionale.

«Se positionner comme un hub pour l’Afrique de l’Ouest offrirait une perspective plus large aux investisseurs», explique-t-il, tout en ajoutant que cela nécessitera des efforts stratégiques majeurs. L’internationalisation des levées de fonds, l’arrivée de nouveaux fonds publics et privés et l’augmentation des tickets d’investissement pour les startups matures sont autant de signaux encourageants pour 2025. Mais, «ces dynamiques doivent être accompagnées par une réforme structurelle. Sans cela, nous risquons de nous limiter à des avancées ponctuelles», avertit l’expert.

Il souligne également l’importance d’une commande publique plus proactive. «Si l’État devient un client stratégique des startups locales, cela pourrait transformer l’écosystème. Mais cela suppose une volonté politique forte et une refonte des mécanismes actuels», conclut-il. Quoiqu’il en soit, la progression du Maroc dans le classement des levées de fonds africaines est un signe encourageant, mais insuffisant. Le potentiel existe, mais il doit être activé par une politique cohérente, audacieuse et tournée vers l’avenir.

«Les startups marocaines ne manquent pas d’idées ou de talent, mais elles ont besoin d’un environnement qui favorise l’expérimentation et l’accès à des financements adaptés», résume notre professionnel. Pour Max Cuvellier Giacomelli, «le Maroc a des atouts qui peuvent laisser espérer une dynamique positive sur le plus long terme. Citons par exemple sa position géographique et stratégique qui peut lui permettre de prétendre à des investissements de la part d’acteurs africains, européens et moyen-orientaux; la force de sa diaspora; et l’implantation locale d’investisseurs tels que UM6P Ventures, AfriMobility ou Outlierz Ventures».

 

 

 

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