◆ L’avant-projet amendant la loi sur la Société anonyme porté par le ministère de l’Industrie et du Commerce vient poursuivre les différentes réformes engagées jusque-là au Maroc pour renforcer la gouvernance des sociétés.
◆ Entretien avec Leila El Andaloussi, vice-présidente de l’Ordre des experts-comptables.
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Quelles sont les mesures prévues pour les entreprises dans le PLF de 2021 et qui auraient un impact favorable sur l’amélioration de leur compétitivité ?
Leila El Andaloussi : D’abord, le projet de Loi de Finances 2021 a été élaboré dans un contexte très particulier, celui de la pandémie sanitaire, qui a fait subir au monde entier un choc violent sur le plan économique. Pour cela, un plan de relance très ambitieux a été scellé le 6 août dernier où tous les acteurs, état, secteur privé, banques se sont engagés à relancer la croissance. Comme vous le savez, un montant de 120 milliards de dirhams, représentant 11% du PIB, sera affecté à un dispositif massif de garanties en faveur du financement au secteur privé et pour la constitution d’un fonds de 45 milliards de dirhams, dont 10 milliards proviennent du budget de l’Etat. Aussi, la Loi de Finances, dans un contexte où les dépenses de l’Etat sont appelées à s’accroître pour financer la relance, a pour objectif de mobiliser d’avantage les ressources financières.
Les entreprises devraient bénéficier de l’effort global d’investissement du secteur public, qui s’élève dans le PLF à 230 milliards de DH. C’est un levier non négligeable d’une dynamique économique lorsque la commande publique s’oriente vers les PME, TPE. Des mesures fiscales étaient vivement attendues pour soutenir les entreprises, notamment des incitations fiscales afin d’encourager le renforcement des fonds propres des entreprises autres que par l’endettement, des opérations de restructuration, mais n’ont pas pu voir le jour encore.
F.N.H. : Quels sont les amendements apportés à la Société anonyme dans le cadre du PLF de 2021 ? Et comment vont-ils influencer l’activité des SA ?
L. E. A. : L’avant-projet amendant la loi sur la Société anonyme porté par le ministère de l’Industrie et du Commerce vient poursuivre les différentes réformes engagées jusque-là au Maroc pour renforcer la gouvernance des sociétés. Le projet de loi vient instituer l’équilibre des pouvoirs entre genres, au niveau des instances de direction. En effet, si la loi est adoptée, le compte à rebours commencera pour les entreprises faisant appel public à l’épargne.
Trois ans après la publication de la loi, leur Conseil d’administration ou de surveillance devrait compter au moins 30% de femmes, et 40% au bout de 6 ans. A défaut, toute nomination est considérée nulle et non avenue, et les versements des jetons de présence aux administrateurs seront suspendus. Le projet renforce aussi le contrôle des conventions règlementées. Le nouveau texte souhaite limiter le renouvellement du mandat du commissaire aux comptes. Ces derniers ne pourront exercer que deux mandats successifs dans toute société anonyme. Quant a la société anonyme simplifiée, le projet de texte veut faciliter leur création, renforcer la souplesse de leur fonctionnement, et notamment les délais de libération du capital.
F.N.H. : Qu’en est-il des conventions du régime réglementé prévu pour la SA ?
L. E. A. : Dans le projet de loi, les conventions réglementées nécessitent désormais une double autorisation par le Conseil d’administration et l’Assemblée générale, sur la base d’un rapport préalable du commissaire aux comptes lorsqu’elles représentent 5% ou plus des actifs de la société́. Le président du Conseil d'administration avise le commissaire aux comptes dès qu’il a eu connaissance de cette convention et lui demande de lui rédiger un rapport qui sera adressé, selon le cas, au Conseil d’administration et à l’Assemblée générale qui statueront sur ce rapport.
F.N.H. : Plusieurs professionnels pointent du doigt les limites du délai de rotation des experts-comptables prévues par la réforme de la loi sur les SA ? De quoi s’agit-il concrètement et qu’en pensezvous ?
L. E. A. : Aujourd’hui, le commissaire aux comptes dans les sociétés anonymes est désigné pour un mandat de 3 ans, qui peut être renouvelé sans limitation. Quant aux établissements bancaires, elles sont assujetties à un co-commissariat aux comptes avec une limitation de mandats à deux ans. Aujourd’hui, le projet de loi prévoit que la durée d’exercice des fonctions des commissaires aux comptes dans l’ensemble des sociétés anonymes, qu’elles fassent appel public à l’épargne ou non, soient limitées à 6 ans, c’est-à-dire à deux mandats.
Cela, à mon sens, reste une durée courte, car plus longtemps le professionnel reste mandaté, plus il aura l’occasion de mieux connaitre l’entreprise et ses activités, et de lever le voile sur son fonctionnement, sur ses zones de risques, et pourra aborder sa mission de contrôle avec la stratégie adaptée. Sans oublier que la relation de confiance est à la base d’une bonne qualité d’audit, et reste essentielle. Elle se construit aussi dans le temps. Je rappelle qu’en Europe, la réforme de l’audit avait exclu pour les entreprises auditées, à l’exception des entités d’intérêt public, la limitation des mandats.
F.N.H. : Pour ce qui est de la gouvernance des PME et des SA, quelles sont les nouveautés ?
L. E. A. : Concernant la gouvernance des PME, c’est justement le renforcement de la transparence dans les transactions entre la société et ses dirigeants, à travers le vis qui se serre en termes de contrôle sur les conventions règlementées. La gouvernance partagée, grâce à la présence de femmes, sera aussi une première dans notre pays et apportera une grande avancée dans les pratiques managériales imprégnées des valeurs de mixité.
F.N.H. : Globalement, quelles sont les limites des amendements de la SA ?
L. E. A. : Concernant la procédure d’approbation des conventions préalables prévues par le projet, elle est très contraignante et lourde. La convocation systématique d’une Assemblée générale pour autoriser préalablement une convention ayant fait déjà l’objet d’une autorisation préalable par le Conseil d’administration peut se révéler difficilement réalisable en pratique. La convocation de l’Assemblée peut se révéler également inutile et dénuée de sens, pour des valeurs de transactions qui, bien que représentant 5% de l’actif social, peuvent ne pas présenter d’intérêt significatif pour les actionnaires.
Je rappelle que le pouvoir des actionnaires est délégué au Conseil d’administration. Ainsi, ce dernier a une mission de gestion et de contrôle dans l’intérêt social et dans celui des actionnaires. Parmi ses missions spécifiques, la surveillance de la gestion qui se fait par le biais de l’établissement des comptes, l’autorisation des engagements, cautions, avals et garantis, revêt une importance cruciale. Aussi, l’autorisation des conventions règlementées par le Conseil d’administration délégataire de l’Assemblée intervient dans la continuité de cette mission et devrait assurer à lui seul la régularité de la procédure d’autorisation préalable. Dans le projet actuel, le commissaire aux comptes doit préparer un rapport préalable à adresser, selon le cas, au Conseil ou à l’Assemblée, sachant que le rapport spécial à l’Assemblée sur la totalité de ces conventions est déjà établi par ce dernier.