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SAMIR : Les lésés de la déroute du raffineur

SAMIR : Les lésés de la déroute du raffineur

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Les banques sont exposées à plus de 8 milliards de dirhams au risque Samir, mais restent, malgré tout, résilientes face au risque de défaut du raffineur. Deux banques, filiales de banques françaises, ont déjà porté l’affaire devant la justice. Côté compagnies d’assurances, l’exposition est sans commune mesure avec celle des banques. Elle reste maîtrisée. On peut néanmoins redouter des pertes sur leurs placements en actions et en obligations Samir. Les entreprises de BTP font face à une pénurie de bitume, mais le minis­tère de l’Equipement et des Transports a organisé avec les professionnels l’approvisionnement pour ne pas perturber les chantiers routiers. La douane s’est mobilisée tardivement pour recouvrer ses 13 milliards de DH de droits d’importation. Cette somme correspond à près de 15% de recettes totales de la douane en 2014. Les salariés appellent à la reprise urgente de la production et à l’entrée de l’Etat dans le capital du raffineur.

40 milliards de dirhams : c’est le montant fara­mineux de la dette de la Samir, auprès des banques, de la douane ou des fournisseurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Cela correspond à près de 7 fois les fonds propres du raffineur. Autant dire qu’à moins d’une augmentation de capital de plusieurs milliards de dirhams, la Samir aura bien du mal à honorer tous ses engagements et à faire face à ses créanciers. Ces derniers ont haussé le ton ces dernières semaines, après des années de mansuétude, et ne semblent plus disposés à négocier. Ils réclament tous, à l’unisson, leur dû.

Le hic, est que le richissime homme d’affaires saoudien, Cheikh Mohammed Hussein Al Amoudi, principal actionnaire et président du Conseil d'ad­ministration de la Samir, ne semble pas disposé à mettre la main à la poche. En réalité, depuis l’éclatement de «l’af­faire Samir», c’est une véritable partie de «poker menteur» qui s’est engagée entre le raffineur, conscient de son importance stratégique, et ses créanciers. Mais ce jeu du «qui cédera en premier» est risqué à plus d’un titre, car le scénario du pire, c’est-à-dire la liquidation judiciaire et la disparition pure et simple de la Samir, devient plausible. Un tel épilogue fera de nombreuses victimes colla­térales. Banques, assurances, douane, ville de Mohammedia, sous-traitants, BTP, associa­tions culturelles et sportives, etc. Tous auraient beaucoup à perdre, à des degrés divers, si la faillite de l’unique raffineur national venait à se concrétiser. Tour d’horizon.

Les banques : Près de 8 milliards de DH à recouvrer

Selon différentes sources, la dette de la Samir auprès des établissements bancaires maro­cains est comprise entre 8 et 10 milliards de dirhams. A ce titre, les banques marocaines font incontestablement partie des créanciers les plus exposés en cas de défaillance du raffineur

Pendant des années, les banques ont financé sans rechigner les investissements de la Samir. En réalité, la filiale du groupe Corral n’a jamais misé le moindre dirham de ses propres fonds pour financer ses pro­jets. Elle a toujours eu recours à l’emprunt, qu’il soit bancaire ou obligataire. On ne prête qu’aux riches, dit l’adage. Le dernier coup de pouce en date est celui de la Banque Populaire qui, en mai 2015, a accepté de restructurer la dette de la Samir, à travers un accord de financement d’un montant global de 3,1 milliards de dirhams. La banque au cheval vient d’ailleurs de détailler son exposition à la Samir : la BP porte sur la société Samir des crédits par décaissement de 1,9 Md de dirhams. Le Groupe précise aussi que ces crédits sont garantis à hauteur de 1,2 Md de dirhams par des sûretés réelles. Par ailleurs, une provision additionnelle pour risques généraux de 535 MDH a été passée, portant son encours à 2,8 Mds de DH. "Cette provision est inscrite en couverture de risques récemment identifiés dans certains secteurs, dont le raffinage", explique la Banque. Aujourd’hui, l’heure n’est plus à la négociation ni à la restructuration. Non seulement les banques ont fermé le robinet du crédit, mais elles se montrent déterminées à recouvrer leurs créances, quitte à porter l’affaire devant la justice, pour récupérer les biens mobiliers mis en nantisse­ment. Un quotidien arabophone rapporte que deux banques de filiales françaises viennent de procéder à la saisie exécutoire des comptes de la Samir.

La question qui se pose à présent est de savoir si le secteur bancaire a les reins assez solides pour résister à une faillite de la Samir, et absorber une perte de 8 à 10 milliards de dirhams. Des premiers éléments de réponse sont apportés par la Banque centrale. En effet, un responsable de Bank Al-Maghrib a déclaré à nos confrères de Médias24 que des simulations ont été réalisées pour mesurer la résistance du sys­ tème bancaire marocain face à une telle perte, et que les résultats démontrent que les fonds propres des banques marocaines sont assez importants pour absorber le choc. Et les ratios de solvabilité seraient toujours supérieurs aux minimas requis par les normes prudentielles de Bâle III. Rassurant. Cela reste à confirmer lors du prochain Conseil de Bank Al-Maghrib, programmé le 22 septembre, et où la question de la Samir ne manquera pas d’être posée à Abdellatif Jouahri, gouverneur de BAM.

Toujours est-il que malgré cette résilience, les banques se seraient bien passées d’une telle situation. Elles qui luttent depuis quelques temps déjà contre la montée du risque qui rogne leurs profits, vont devoir provision­ner à coup de milliards, comme l’exige la règlementa­tion. Pas de quoi améliorer leur rentabilité.

Les assurances : Pas d’exposition majeure, mais un impact sur les placements

Si l'on a beaucoup entendu parler du sec­teur bancaire depuis l’éclatement de la crise de la Samir, qu’en est-il des compa­gnies d’assurances ? Une question légitime quand on sait que la Samir, à l’image des grands groupes industriels dont l’activité présente des risques importants (incendies, manipulation de produits dangereux, etc.), est l’un des plus gros clients des assureurs. La Samir paye-t-elle encore ses primes d’assurance ? Et si le raffineur venait à disparaître, le manque à gagner serait-il important pour les compagnies d’assurances ? Une source proche du dossier nous confie qu’il n’y a «pas d’inquiétudes à avoir» et que «les échéanciers ont, jusqu’à présent, été respectés et les primes d’assu­rance payées à temps».

Notre source assure, par ailleurs, que les montants en jeu sont autrement moins importants que ceux évoqués pour les banques et la douane. Ces mon­tants sont provisionnés comme il se doit, poursuit notre source. Cette même source affirme que la Direction des assurances et de la prévoyance sociale (DAPS), l’autorité de régulation du secteur des assurances, a procédé, dès le déclenchement de la crise de la Samir, à des vérifications pour éva­luer l’impact de la crise sur le secteur, et les com­pagnies les plus exposées. Il en ressort, d’après notre interlocuteur, que l’exposition des assureurs marocains reste maitrisable. «Les assureurs ne supportent pas tout le risque, puisque celui-ci est divisé soit par le biais de la coassurance ou par la conclusion de traités de réassurance», précise notre source.

Il reconnaît cependant une détérioration probable sur les portefeuilles actions et obligations, conte­nant des titres Samir, détenus par les compagnies d’assurances. Mais, encore une fois, les pertes ne devraient pas être rédhibitoires dans la mesure où la DAPS impose des règles strictes de placement, notamment en termes de diversification des actifs. Globalement, l'exposition au risque Samir devrait se retrouver chez l'ensemble des assureurs au Maroc, étant donné leur forte implication dans le marché de la dette privée.

BTP : La pénurie de bitume menace, la tutelle rassure

On l’oublie parfois, mais la Samir ne produit pas que du gasoil 50 ppm ou du super sans plomb. Elle produit également du bitume routier et du bitume oxydé à des­tination des professionnels du BTP. La profession, déjà mal en point, fait face à une pénurie de bitume. Une situation critique quand on sait que de nombreux chantiers routiers et autoroutiers sont en cours.

Le ministère de l’Equipement et des Transports est monté au créneau pour jouer les pompiers de service. Dans un communiqué paru récemment, le département de Abdelaziz Rabbah a fait savoir que le ministère a entamé une série de réunions de tra­vail avec l’Association marocaine des routes (AMR), affiliée à la Fédération nationale de bâtiment et des travaux publics (FNBTP), dans le but d’identifier et d’engager les mesures nécessaires pour garantir l’approvisionnement régulier et adéquat en bitume destiné aux chantiers routiers. Le besoin annuel en bitume est estimé à 300.000 tonnes environ.

A l’instar des distributeurs de produits pétroliers, qui ont assuré l’approvisionnement du marché en hydrocarbures depuis la défaillance du raffineur de Mohammédia, les professionnels du BTP «ont assuré l’approvisionnement du marché national, qui a consommé durant le mois d’août 2015 près de 25.000 tonnes de bitume, couvrant ainsi largement les besoins exprimés. Ils ont également constitué un stock minimal de sécurité», selon le même communiqué. Le ministère signale que la capacité de stockage des différents types de bitume est de 70.000 tonnes qui sont réparties dans les différentes régions du Royaume. Pour le mois de septembre, les commandes fermes d’importation sont de 35.400 tonnes, tous types de bitume confondus, selon la tutelle. Les professionnels se sont, par ailleurs, «engagés à oeuvrer à approvisionner le marché du bitume national, afin de reconstituer progres­sivement les stocks pour disposer d’une réserve permanente d’au moins un mois de consommation», précise la même source. Il s’agit de savoir à présent si ce dispositif est viable à long terme

Les salariés appellent l'Etat à la rescousse

Les conséquences sociales pourraient être désastreuses. La Samir et ses filiales emploient directement plus de 1.200 sala­riés. Selon Lhoucine Elyamani, Secrétaire général du syndicat des industries du pétrole et du gaz, ce serait plus de 5.000 à 7.000 personnes qui seraient employées par le raffineur, compte tenu des sociétés d’intérim et le travail temporaire. Si le gouvernement a d’ores et déjà promis aux salaries que leurs intérêts seront protégés et leurs acquis préservés, cela n’est pas de nature à rassurer pour autant les employés. Interrogé sur ses attentes concernant le Conseil d’administration de la Samir, notre interlocuteur répond laconiquement : «Nous n’attendons rien de ce CA, c’est trop tard». De toute façon, poursuit El Yamani, «le DG de la Samir refuse de nous recevoir». Les représentants des salariés de la Samir (appelés les «samiriens») ont eu une réunion au ministère de l’Emploi pour faire connaître leurs doléances, contenues dans un communiqué que nous nous sommes procurés. Ils appellent, dans un premier temps, les autorités à lever le blocage sur les importations de la Samir, et à reprendre d’urgence la production.

Pour El Yamani, l’éventualité d’un Maroc sans raf­finerie est une perspective risquée dans la mesure où cela va à l’encontre des intérêts stratégiques du Royaume. Surtout, les salariés de la Samir appellent l’Etat à entrer dans le capital de la Samir, que ce soit par une nationalisation partielle ou totale. Cette mesure se justifie, selon El Yamani, par le fait que l’Etat est le seul capable d’arbitrer et de trouver un équilibre entre les intérêts des distributeurs et la nécessité de disposer d’un raffineur national a qui il faut assurer un minimal optimal de la marge de raffinage. En outre, selon lui, il est nécessaire de dis­socier le dossier raffinage du dossier endettement.

La situation de la Samir pourrait avoir des consé­quences néfastes sur la ville de Mohammedia. En plus de 50 ans d’existence, beaucoup d’entreprises se sont arrimées au géant marocain du raffinage. Tout un réseau de partenaires et de sous-traitants s’est structuré autour de la Samir, principalement à Mohammedia et sa région. «Les sous-traitants com­mencent déjà à ressentir un ralentissement de leurs activités», indique notre interlocuteur.

Et la ville de Mohammedia, ainsi que ses habitants, commencent aussi à ressentir les effets de la crise. «Chaque mois, la Samir verse près de 15 millions de Dh de salaires qui sont injectés dans le tissu écono­mique de la ville. Ce matin, un pharmacien se plai­gnait déjà de voir son chiffre d’affaires s’amenuiser», déplore El Yamani. Un cas qu’il faut étendre à tout le tissu économique de la ville, professions libérales… qui ne voit vraiment pas d’un bon oeil le violent bras de fer qui oppose l’Etat au raffineur.

Droits de douane : Gros manque à gagner pour le Trésor

La douane a perdu patience avec la Samir et veut récupérer ses 13 milliards de dirhams de droits d’importation. Elle l’a montré clai­rement en étant l’une des premières à réagir après le déclenchement de la crise du raffineur au début du mois d’août, en activant le mécanisme d’avis à tiers détenteur pour recouvrer sa créance.

Après s’être montrée conciliante avec le raffineur, à coup de dérogations et de reports, par le biais des crédits d’enlèvement différés, la douane a haussé le ton. Car les facilités accordées à la Samir, au lieu de donner plus de souplesse au raffineur pour soulager sa trésorerie, n’ont fait qu’accumuler milliards sur milliards.

Si le département dirigé par Zohair Chorfi se montre aussi ferme, c’est que le manque à gagner par son administration et pour le Trésor est grand. Il faut savoir que les recettes douanières ont atteint, en 2014, près de 86 milliards de dirhams. La dette de la Samir vis-à-vis de l’Administration des douanes représente donc près de 15% de ces recettes, ce qui est colossal.

Cette ardoise de 13 milliards de dirhams s’avère même (largement) supérieure au total des droits d’importation de l’année 2013, qui se sont élevés à 7,7 milliards de dirhams, selon le rapport annuel 2013 de l’Administration des douanes et des impôts indirects (ADII).

Ces chiffres laissent dubitatifs. Comment peut-on laisser s’accumuler une somme si importante ? A coup sûr, l’Etat a sa part de responsabilité dans cette affaire.

L’Office des changes sort de son mutisme

L’Office des changes est aussi monté au créneau, et resserre encore un peu plus l’étau autour de la Samir et de ses dirigeants. Dans une lettre adressée au Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM), l’Office des changes demande aux banques de «soumettre provisoirement à autorisation toute opération de transfert de fonds ordonnée par la Samir, par les entités relevant du groupe, de son président ou de son Directeur général». Ainsi, les avoirs du président Al Amoudy et de son Directeur général Ba-amer, ainsi que l’ensemble des filiales du groupe Samir seront surveillés de près pour qu’ils ne fuitent pas vers l’étranger. L’Office des changes a joint à sa lettre au GPBM une liste non exhaustive des entités visées par ce contrôle. Au total, il y aurait une trentaine d’entreprises, opérant dans divers secteurs d’activité, allant du GPL à l’hôtellerie, en passant par l’édition ou encore l’immobilier.

Le but manifeste de cette décision est d’empêcher une fuite de capitaux de la part des dirigeants de la Samir vers l’étranger, pour échapper à leurs créanciers.

Mais comme pour la douane, on ne peut s’empêcher de penser que ces dispositions de l’Office des changes viennent un peu tard.

Amine Elkadiri

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