L’Etat durcit le ton, même si la complaisance dont il a fait preuve à l’égard du raffineur durant ces dernières années est largement dénoncée. Il faudra mettre beaucoup de cash sur la table pour espérer une sortie de crise… qui ne sera pas dans l’immédiat. L’option d’une reprise par des opérateurs privés n’est pas écartée. Dans son cheminement, la Samir s’est très souvent retrouvée dans des situations pour le moins délicates.
Après la période difficile traversée par le secteur immobilier, et qui n’a toujours pas connu son épilogue, c’est au tour de la Samir de faire les choux gras de la presse. Le seul raffineur du pays, suspendu de la Bourse de Casablanca depuis le 6 août, est englué dans d’énormes difficultés financières. Au point que son avenir est l’objet de toutes les supputations : disparition, renationalisation, recapitalisation en force…, toutes les options semblent ouvertes face à cette entreprise surendettée. Pris à partie par ses fournisseurs et les banques d’un côté, et par la douane marocaine qui lui réclame 13 Mds de DH, le raffineur semble être dans l’impasse pour l’instant. Le Conseil d’administration prévu le 8 septembre, s’il a bien lieu, devrait tout au moins éclairer l’opinion publique sur le futur de la Samir. «Mais rien n’est encore gagné. L’actionnaire principal (Corral Petroleum Holding, appartenant au milliardaire saoudien Mohammed al-Amoudi) devra davantage s’impliquer et prendre les choses en main. Outre une augmentation de capital conséquente, il faudra en effet donner des signaux forts au marché, à travers un plan de restructuration viable et cohérent», assure un analyste du marché. «Il y a eu trop de tergiversations et de décisions cosmétiques en ce qui concerne la Samir ces dernières années. Il faut un plan global sur le long terme susceptible de rassurer l’ensemble des parties prenantes, notamment l’Etat, les différents actionnaires, les fournisseurs, mais aussi les banques, au regard de l’endettement élevé de la Samir», ajoute-t-il.
Pour rappel, la Samir avait déjà procédé à une restructuration de sa dette en avril 2015. Un accord avait en effet été trouvé avec la BCP à travers un crédit de refinancement à long terme de 1,2 milliard de dirhams octroyé par la banque, avec un plafond global des facilités de crédit à court terme porté à 1,8 milliard de dirhams. De même, au 1er trimestre 2015, le raffineur avait finalisé des accords de financement avec des institutions internationales de premier rang. Ce qui a porté le montant global des facilités bancaires à l’étranger à près de 600 millions de dollars US. Tout autant, la convention Murabaha de 235 millions de dollars US, signée avec la Société internationale islamique de financement du commerce (ITFC), est entrée en vigueur en février dernier. «Par ailleurs, le groupe américain Carlyle, troisième plus grande société d’investissement dans le monde, a accordé à la société une facilité de 350 millions de dollars US pour financer ses activités d’import de matières premières», souligne un communiqué publié à l’époque. En outre, d’autres négociations avaient été entamées avec des institutions financières et traders de matières premières pour l’octroi d’un financement à long terme de 400 millions de dollars US, adossé à des contrats commerciaux.
Cette restructuration de la dette a été précédée par deux opérations de re-engineering des finances du raffineur opérées en janvier 2014. La première a concerné des négociations avec plusieurs banques et compagnies pétrolières internationales afin de lever un financement de 500 millions de dollars US. Cela a abouti, dans une première étape, à la la signature avec Chartered Standard, Dubai Bank, soutenue par BP Oil International London, d’un contrat de financement de 200 millions de dollars US, portant sur une durée de deux ans. La seconde opération s’est soldée par la signature avec le Groupe Glencore LEnergy UK LT d’un contrat de financement de 300 millions de dollars US, associé à des accords portant sur l’importation du pétrole brut et l’export de l’excédent raffiné.
Visiblement, tout cela n’a pas suffi. «La situation actuelle de la Samir est explosive», renchérit un autre analyste qui, au passage, dénonce «la complaisance dont a fait preuve l’Etat», au cours de ces dernières années, et certaines «vérités qui ont été volontairement tues». «Il était prévu, 5 ans après l’opération de privatisation, que la Samir entame un programme d’investissement. Les dérogations successives accordées par l’Etat ont fait que tous les investissements prévus n’ont pu se faire, le raffineur évoluant dans un secteur pointu où les avancées technologiques induisent chaque année une inflation des prix. Et pour se conformer aux normes internationales, il fallait donc investir bien plus que ce qui était initialement prévu, alors que parallèlement la politique de distribution de dividendes se poursuivait», précise-t-il.
Par ailleurs, avance notre source, «outre l’emprunt obligataire de 800 MDH émis en 2008, la Samir a eu davantage recours au financement bancaire pour ses investissements, sans procéder à une augmentation de capital».
Ceci entraînant cela, «il faudra, pour espérer sortir de cette crise, mettre beaucoup de cash sur la table, avec une réelle volonté de l’actionnaire, lequel dispose d’ailleurs de moyens conséquents. Mais que l’on ne s'y trompe pas : nous sommes face à un feuilleton à plusieurs épisodes, car il sera difficile de trouver une solution dans l’immédiat. Et le plus dur sera de redémarrer l’activité, d’autant qu’il faudra s’approvisionner, procéder au dégel des comptes bancaires, régler les salaires…», relève notre interlocuteur. A défaut de suffisamment de cash, «l’option de céder la raffinerie à des opérateurs privés n’est pas à écarter. Sauf qu’avec la situation actuelle, ces derniers reprendraient l’affaire au prix le plus bas possible pour obtenir un TRI élevé».
Ce dossier est d’autant plus compliqué que c’est une affaire dans l’affaire. «Il y a des enjeux politico-économiques, le Maroc et l’Arabie Saoudite entretenant d’excellentes relations sur lesquelles il faut veiller. Il y a aussi l’aspect financier, la douane marocaine ne pouvant faire l’impasse sur les 13 Mds de DH réclamés à la Samir. Il faut donc trouver le bon compromis à travers une solution globale où toutes les parties prenantes seront impliquées et prêtes à faire des concessions», souligne notre source. Sauf qu’il faudra réussir à convaincre les banques auprès desquelles «la Samir a perdu toute crédibilité».
Difficultés récurrentes
Dans son cheminement, la Samir s’est régulièrement retrouvée dans des situations délicates, voire tumultueuses. En 2005 déjà, le partenariat conclu avec le consortium italo-turc, Snamprogetti-Tefken, dans le cadre de son plan de modernisation a dû être revu. Ce dernier devait se charger de la réalisation du projet, tandis que la société d’ingénierie italienne, Foster Wheeler Italia, devait en assurer la supervision et le suivi pour un montant de 127 MDH. Finalement, le consortium italo-turc a remis en cause les termes de l’accord passé avec la Samir, d'une valeur forfaitaire équivalente à 5,4 milliards de dirhams, au regard notamment de l’environnement économique international qui prévalait à l’époque, caractérisé par la hausse des prix du baril de pétrole, qui a favorisé le renchérissement des équipements techniques. Cette volte-face a entraîné un retard du projet, avec au passage un gel temporaire de la contribution financière de 2,5 milliards de dirhams du consortium bancaire marocain (composé d’Attijariwafa bank, BMCE Bank et BCP).
Finalement, au lieu d’une remise clés en main des diverses unités comme initialement prévu, Snamprogetti-Tefken s’est chargé de l’installation et du management, l’équipement revenant de fait à la charge du raffineur. Avec ce nouveau deal, l’investissement global a été porté à 7,34 Mds de DH. Notons à ce titre qu’en janvier 2014, la Samir a remboursé par anticipation, au consortium de banques locales, le reliquat du prêt relatif à la modernisation de la raffinerie, soit 1,7 Md de DH.
Autre date, autre fait. Début 2009, la Samir dévoilait au marché ses réalisations au titre de l’exercice 2008 : le raffineur affichait au compteur un résultat d’exploitation et un résultat net déficitaires de 810 MDH et de 1,2 Md de DH respectivement. Sauf qu’en décembre, période où les comptes relatifs à l’exercice 2008 sont censés être pratiquement clôturés, la Samir avait procédé à une émission obligataire de 800 MDH (période de souscription du 25 et 26 décembre). Avec, dans la note d’information y afférente, un résultat d’exploitation prévisionnel de 1.013 MDH (+106%) et un résultat net consolidé attendu de 526 MDH pour l’exercice 2008. Quel ne fut donc l’étonnement du marché en découvrant ce fossé abyssal entre prévisions et réalisations ! Surtout que le raffineur n’avait pas jugé utile d’émettre un profit warning, ce qui lui avait d’ailleurs valu un avertissement de la part du gendarme du marché.
En 2014, rebelote. Le résultat net de Samir a fortement baissé pour s’établir à -3,4 Mds de DH sous l’effet de la contribution négative de la variation des stocks (-3 Mds de DH). Mais le raffineur a pris le soin, cette fois-ci, d’émettre un profit warning.
David William