- Première baisse de la masse bénéficiaire depuis 3 ans.
- Les investisseurs ont dans l'ensemble bien anticipé les résultats.
- Le fisc brouille les pistes
- La communication financière se dégrade.
Tous les chemins mènent à Rome. De même que tous les signaux tendaient vers une baisse du marché actions durant le premier semestre. Il y avait d'abord les mouvements de flux chez les OPCVM qui permettaient de détecter un glissement de l'épargne institutionnelle vers des poches d'actifs à rendement sûr de type obligataires. Et puis, il y avait les maturités de ces produits, car cette épargne allait vers de l'obligataire court terme, ce qui trahit un manque de confiance des institutionnels dans les perspectives économiques.
Différents responsables de gestion d'actifs l'ont signalé sur nos colonnes depuis mars dernier : le cash va vers les autres classes d'actifs.
Ce manque de confiance dans le marché actions, des éléments tangibles l'ont appuyé : le phénomène du boycott d’abord, son risque systémique et le poids qu'il a eu sur le moral des troupes. Les tâtonnements du gouvernement et son incapacité à gérer la crise sociale qui en a découlé, ont également apporté leur lot de suspicions.
Ensuite, durant l'été, la loi de cadrage présentée et soutenue par le chef de gouvernement, privilégiant une relance budgétaire, était aussi de nature à faire fuir l'épargne vers des produits de taux. A cela s'ajoute la pluie de profits warning entre juillet et août, qui indiquait que le marché allait revenir vers des niveaux de résultats plus normatifs.
Des résultats anticipés
La compilation des résultats laisse apparaître une dégradation de la capacité bénéficiaire des entreprises de 3,6% sur le premier semestre 2018, très loin de la croissance de 8% enregistrée à la même période en 2017. Ce seul écart permet, sans doute, de justifier la baisse du marché actions de plus de 8% depuis le début de l'année.
Les analystes d'Attijari Global Resarch (AGR), dont l'univers de valeur représente 84% de la capitalisation boursière du marché, estiment que l’impact de la décélération de la croissance bénéficiaire des sociétés cotées sur l’indice MASI est à relativiser. Deux principaux constats soutiennent cet avis : d’une part, 73% de la capitalisation boursière affichent des réalisations semestrielles 2018 en ligne, voire supérieures aux attentes des investisseurs et, d'autre part, seulement 11% de la capitalisation boursière enregistrent des résultats largement en dessous des anticipations.
«Au final, les contre-performances des valeurs qui représentent seulement 11% de la capitalisation boursière ont pesé de manière excessive sur la confiance des investisseurs envers le marché actions en général», avancent ces analystes. Et d'ajouter, dans une note publiée le 1er octobre, qu'«à l’exception de ces sociétés, les résultats financiers des principaux groupes cotés demeurent globalement en phase avec les anticipations des investisseurs».
Outre la capacité bénéficiaire, le chiffre d'affaires global des sociétés cotées a dégringolé de 11% ce semestre. Mais les résultats d'exploitation se sont maintenus, affichant même une progression de 2%. Cet effet ciseau favorable s'explique par une bonne maîtrise des charges chez la plupart des émetteurs et un retour dans le vert de l'exploitation chez d'autres, dans l'industrie notamment.
Enfin, la combinaison de ces indicateurs et le retrait des cours de Bourse ont emmené le marché actions dans sa globalité à des niveaux de valorisation corrects. Son P/E attendu serait de 17 pour un rendement qui repasse au-dessus de 4%.
Mais quand on sait que certains émetteurs sortent sur le marché de la dette privée à des niveaux de rendement supérieur à 4%, on comprend que le marché actions n'offre pas suffisamment de prime de risque, même à ces niveaux de cours.
Les actions, faute de mieux...
Bien que cette prime de risque puisse paraître faible, les analystes d'AGR gardent la conviction que c'est la meilleure exposition possible pour l'investisseur de moyen long terme. «Nous pensons que la question de l’amélioration des niveaux de rendement sur le marché financier marocain demeure l’un des principaux sujets des investisseurs à profil MLT. Face à des taux obligataires historiquement bas et n’affichant pas de pressions haussières visibles, nous croyons que le marché actions constitue actuellement une réelle alternative de placement, permettant le relèvement sensible des niveaux de rendement des fonds», estiment-ils, en s'appuyant sur l’analyse des valeurs dites de rendement, dont l'écart de rémunération avec les Bons du Trésor à 5 ans se creuse à la faveur des actions.
Cet écart atteint 235 points de base (Pbs), soit un plus haut historique. Ces valeurs de rendement, dont le poids représente plus de 50% de la capitalisation boursière, affichent un D/Y moyen de 5,2% en 2018 (attendu) contre des rendements sans risque qui se stabilisent en dessous de 2,9% pour les maturités de 5 ans. Autant donc rester sur les actions pour les investisseurs de moyen long terme.
Le Fisc brouille les pistes
Durant ce semestre, les commissaires aux comptes ont relevé une fois sur trois un contrôle fiscal en cours chez un émetteur. Certains ont été notifiés définitivement, d'autres attendent encore. L'appétit du Fisc brouille les pistes et rend la prédictibilité des résultats difficile. Beaucoup d'entreprises ont alerté le marché au premier semestre sur leurs résultats à cause de contrôles fiscaux. On devrait s'attendre naturellement à une seconde séquence en mars prochain pour les résultats annuels. De quoi rendre le travail de projection encore plus compliqué.
Les gagnants et les perdants du premier semestre
Heureusement pour l'investisseur, les secteurs qui pèsent le plus dans la capitalisation boursière ont sauvé les meubles, et bien plus lorsqu'on y regarde de plus près. En effet, les banques et Maroc Telecom ont généré à eux seuls 480 MDH de profits, soit 58% de la capacité bénéficiaire totale, ce qui détend les valorisations à la Bourse. A l’opposé, les secteurs agroalimentaire, immobilier et assurance sont les principaux contributeurs à la baisse de la masse bénéficiaire du marché avec des replis de leurs profits de respectivement 345,0 MDH, 153,0 MDH et 109,0 MDH. Ce sont les grands perdants du semestre.
Une communication financière pas top
Un autre phénomène s'installe côté émetteurs : il s'agit des Conseils d'administration tenus tardivement, vers fin septembre. Cette concentration des publications sur les dernières 48h du délai légal rend les résultats peu visibles et difficiles à commenter à chaud... C'est peut-être voulu.
Ce genre de pratiques n'est pas sans nous rappeler les années sombres du marché. Comme par hasard, on les observe que lorsque les résultats commencent à devenir moins bons. A cela, il faut ajouter certaines entreprises qui, en communiquant, ne commentent plus leurs écarts de réalisation, et d'autres qui préfèrent utiliser des indicateurs peu pertinents, tentant de maquiller la réalité. Or, l'histoire récente de la Bourse de Casablanca nous montre que le meilleur moyen pour un émetteur de traverser les cycles est de communiquer vite, bien et souvent. On en ressort toujours gagnant.
Par A. Hlimi