- Une prime de risque plus élevée sur les actions depuis le début du mouvement.
- Des tensions sur les taux.
Il était inconcevable il y a à peine deux mois de lier la baisse que connaît le marché des actions au mouvement de boycott. Ce dernier touche directement deux boîtes cotées, dont l'une, Centrale Danone, n'est presque pas listée: son flottant est inférieur à 1%.
L'autre entreprise cotée ciblée, Les Eaux minérales d'Oulmès, a une clientèle d'actionnaires portée sur le long terme et habituée à garder la main longtemps sur les lignes de son portefeuille. Le flottant réel de l'entreprise est lui aussi extrêmement réduit.
Dans l'absolu, les deux entreprises sont de tailles relativement moyennes et ne pèsent que peu dans la capitalisation globale. Ce caractère étroit faisait que traders et analystes n'ont pas prêté attention aux impacts que peut avoir le mouvement sur la cote, contrairement à ce qu'a laissé croire la presse généraliste, qui s'est empressée de sortir les gros titres pour qualifier le caractère meurtrier du boycott sur les actions.
La régulation fait peur au capital
Un trader témoigne. «Je n'ai pris conscience du risque que représente le boycott sur le marché qu'après la réapparition du dossier des marges des distributeurs au parlement et dans les discussions du gouvernement». Un retour en arrière sur la libéralisation des prix des hydrocarbures pour des raisons politiques et non «rationnelles», en plus d'être un geste à l'encontre du libéralisme prisé par les opérateurs en Bourse, constitue un risque sur la profitabilité du secteur. Ce dernier est représenté en Bourse par Total Maroc qui, à l'inverse des sociétés visées directement par le boycott (dont son concurrent non coté Afriquia), est une grande capitalisation. La société était d'ailleurs dans le top 10 des poids lourds du marché au démarrage du mouvement.
Près de 8 milliards de dirhams d'épargne placée dans les titres du distributeur de carburants sont depuis partis en fumée, l'action ayant perdu près de 50% de sa valeur depuis début mai, période où une revue du système de rémunération et de fixation des prix dans le secteur a été évoquée pour la première fois. Ces pertes, ce sont des gestionnaires de fonds, des petits porteurs, des investisseurs institutionnels (caisses de retraite, assurance, épargne vie...) qui les subissent.
L'impact financier et psychologique est palpable.
La volte-face annoncée mais pas encore effective du gouvernement sur les marges de distribution des produits pétroliers en dit long sur sa capacité à se plier en 4 pour permettre au pays de traverser cette impasse et éviter le risque politique. Jusqu'où peut aller la régulation pour contenir le mouvement de boycott ? Et si d'autres secteurs ou entreprises sont ciblées ? Et Danone qui cherche le moyen de ne plus gagner d'argent sur le lait pasteurisé ?
Les marchés n'aiment pas le doute, qu'il soit positif ou négatif. Il génère de la nervosité et, au mieux, de l'attentisme stérile. Le mot est d'ailleurs lâché par certains professionnels de la gestion : «le boycott a un caractère systémique».
Bientôt dans les papiers des analystes
Réticents à évoquer le boycott pour expliquer les désengagements que connaît la Bourse, les analystes devront commencer à composer avec cette note. Même la Banque centrale l'évoque dans sa très officielle balance des risques : «la campagne de boycott visant certains secteurs constitue une source non négligeable de pressions à la baisse sur l'activité économique». Très clair !
Reste à savoir si le sujet a suffisamment d'importance pour s'inviter dans la prochaine réunion du Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques, ce qui serait un signal fort sur le caractère «dangereux» du mouvement pour le climat des affaires.
Récemment, les équipes d'Oaklins Atlas Capital expliquaient dans nos colonnes que le boycott avait «un effet psychologique certain sur les opérateurs», ce qui explique en partie la déconfiture du mois de mai, où la Bourse a perdu 5% de sa capitalisation boursière. Les prochains papiers d'analystes attendus pour le deuxième semestre devraient sûrement apporter leur lot d'interprétations sur le boycott.
Ce mouvement qui touche même le marché des taux où les rendements à court terme ont tendance à grimper, est un phénomène complètement nouveau pour les investisseurs. Il jette une sensation de lourdeur sur les marchés. A date, toute tentative de pronostics sur l'étendue de son effet ne serait que pure spéculation. C'est d'ailleurs ce qui caractérise les risques systémiques.
Nette décélération des créances sur l’économie
C'est aussi un indicateur de croissance économique ou plutôt d'arrêt dans la croissance : le privé ne reçoit que peu de crédits alors que les banques ont besoin de cash. Ce ralentissement du crédit serait dû, particulièrement, à la poursuite du recul des crédits accordés à la trésorerie des entreprises, ce qui renseigne à son tour sur l'évolution de la prime de risque depuis un trimestre. Par ailleurs, des phénomènes d'aplatissement, certes lents, sur la courbe des taux montrent des craintes sur la croissance, parallèlement à un risque de renchérissement de l'argent. Des phénomènes qui corroborent et appuient parfaitement la thèse du repli sur les actions constatée actuellement. Reste à démêler et à prouver l'étendue de l'effet du boycott sur les taux... ■
A.H