Demande intérieure, crédits bancaires, investissements, consommation, Bourse, financement du Trésor…, la nouvelle politique de Bank Al-Maghrib impacte aussi bien l’activité économique que financière. Explications.
Par Y. Seddik
C’est une première depuis 2008 : Bank Al-Maghrib a décidé de relever son taux directeur de 50 pbs à 2%. L’institution a finalement penché en faveur du soutien de la stabilité des prix au Maroc. Cette décision atteste d’un changement de perception de BAM quant au caractère «transitoire» de l’inflation au Maroc. Désormais, l’institution veut à tout prix combattre l'inflation du moment, attisée par la guerre en Ukraine, et empêcher qu’elle ne s'enracine dans l'économie.
«En adoptant un tel revirement de sa politique monétaire, Bank Al-Maghrib opte pour un resserrement à la fois fort et rapide. L’objectif étant de faire face aux risques inflationnistes qui pourraient peser sur les perspectives de croissance à long terme», ont écrit, dans une note, les analystes de AGR. Maintenant que l’on a la certitude que la politique monétaire devra être restrictive pendant un certain temps pour que l'inflation revienne à l'objectif, intéressons-nous de près aux impacts multi-échelles de la hausse du taux directeur tant sur le marché des capitaux que sur l’économie réelle. Sur cette dernière, l’impact à court terme devrait, a priori, être restrictif sur la demande intérieure à travers le canal des crédits bancaires.
D’ailleurs, tenant compte du resserrement attendu des conditions de financement de l’économie, BAM s’attend à une évolution modérée des crédits bancaires, soit de 4% en 2022 et de 3,6% en 2023, niveau faible pour soutenir une économie toujours en sortie de crise. Le déficit de liquidité, quant à lui, devrait se creuser à près de 90 Mds de DH en 2023, reflétant principalement la progression de la monnaie fiduciaire à moyen terme, alors que les réserves de change devraient continuer à se raffermir sur le même horizon. «Le retour à une politique monétaire restrictive impacte dans un premier temps les conditions de financement de l’économie, notamment les taux débiteurs bancaires et ceux relatifs aux émissions obligataires et aux TCN», nous explique sur ce point Ahmed Zhani, économiste en chef de CDG Capital.
Pour lui, «les effets de second tour devraient se manifester d’une manière plus légère au niveau de la demande globale, à savoir l’investissement et la consommation des ménages». C’est dans ce sens que la Banque centrale a revu encore une fois à la baisse ses projections de croissance en 2022. Celle-ci devrait s’établir à 0,8% contre 1% initialement. Il faut dire que l’économie marocaine demeure fragilisée en 2022 par une faible campagne agricole de 32 MQx contre un record de 103 MQx en 2021, et un contexte international défavorable. En 2023, la croissance marocaine devrait s’établir à 3,6% contre 4% initialement, subissant les effets restrictifs de la hausse du taux directeur sur les canaux de la consommation et de l’investissement.
«L’impact sur la cible finale qu’est l’inflation, ne devrait, à mon sens, pas être très significative, compte tenu des origines des pressions qui sont plus liées au renchérissement des importations et des coûts de production», assure Zhani. À ce stade, la question est de savoir à quel point ces prix élevés vont peser sur l'économie réelle et les consommateurs, au point d'écraser la demande, qui sera aussi pénalisée par le durcissement des conditions de crédit et de financement.
La Bourse flanche
Passons maintenant aux marchés financiers où la pilule du nouveau virage monétaire de BAM a été plutôt dure à avaler par les différents opérateurs. En Bourse, cette décision a pesé sur le moral des investisseurs qui y ont vu un risque sur la croissance et un facteur limitant l’arbitrage en faveur du marché actions, alors qu’ils s’attendaient à une hausse moins marquée du taux directeur aux alentours de 25 pbs. En 3 séances, l’indice principal a lâché plus de 4% en ligne droite. Les dégagements ont concerné les secteurs du ciment, l’immobilier, la distribution ou encore le BTP où seule TGCC a fait exception après une rentabilité en forte hausse au premier semestre. Au terme de la semaine, 19 indices sectoriels ont clôturé en territoire négatif, contre 3 sur une note positive et un seul secteur sur une note stable. La réaction du marché actions nous rappelle celle de juin 2020 quand la Banque centrale avait décidé de baisser son taux de 50 pbs, ce qui avait profité à plusieurs secteurs. Le Masi avait alors pris 4,18% en deux séances.
Le marché obligataire s’embrase
Sur le marché des obligations, la hausse des rendements est bien loin de se calmer. La séance d’adjudication des BDT suivant la décision de la Banque centrale de relever son taux directeur de 50 pbs à 2% a connu une envolée du taux à 10 ans. Il s’agit d’une hausse de 80 pbs sur la maturité 10 ans à 3,20%. Cette évolution a intégré à la fois une correction technique de la courbe primaire, conjuguée à l’effet de la hausse du taux directeur de 50 pbs. Rappelons que le taux de rendement de la maturité 5 ans a dépassé celui de la maturité 10 ans au cours des 2 dernières séances. Au regard du montant levé qui est de 150 MDH, cette opération semble être destinée davantage à marquer le taux de la maturité 10 ans qu’à couvrir d’éventuels besoins du Trésor. Notons enfin qu’en septembre, les levées du Trésor dépassent ses besoins initialement annoncés.
«Malgré les pressions haussières sur les taux, nous anticipons une évolution favorable de la situation du Trésor en 2022. À l’origine, la capacité de l’argentier de l’État à mobiliser la totalité des financements extérieurs prévus par la LF-22, soit 40 Mds de DH», indiquent les analystes d’Attijari. Malgré le durcissement des conditions de financement à l’international, le Trésor pourrait activer deux principaux leviers, à savoir la LPL ou les DTS auprès de Bank Al-Maghrib durant le T4-22.
Marché monétaire : impact instantané
«Historiquement, l’impact devrait être immédiat à une proportion similaire sur le marché monétaire et les maturités courtes de la dette avec une transmission graduelle vers les maturités moyenne et longue», soutient Zhani. L’impact de cette décision a été observé sur l’ensemble des compartiments du marché monétaire, la semaine suivant le Conseil de la Banque centrale. Ainsi, les taux interbancaires se sont alignés au niveau actuel du taux directeur, soit 2%, tandis que les taux MONIA ont accusé une nette hausse, en atteignant un plus haut depuis juin 2020 au cours de la semaine.
Migration vers d’autres classes d’actifs
Le choc obligataire au Maroc n'est pas prêt de se dissiper. En témoignent les exigences de rentabilité des investisseurs au sein du marché primaire des adjudications, qui sont de plus en plus fortes et qui sont justifiées par les anticipations inflationnistes. Par ailleurs, «les questions autour de la rémunération de l'épargne nationale se font de plus en plus entendre au fur et à mesure de la concrétisation de la poussée inflationniste», estime AGR. Les taux de rémunération réels au Maroc se retrouvent en territoire négatif depuis le T1-2022. «Une telle situation augmente l'appétit des investisseurs pour les actifs plus rémunérateurs, à l'instar des OPCI et du capital-risque. A cet effet, les financements innovants du Trésor se basant sur les mécanismes de gestion immobilière atteignent plus de 10 Mds de DH à fin août 2022», explique-t-on.
«Par conséquent, les pressions sur la rémunération de l’épargne devraient se poursuivre à court terme. Dans ces conditions, cette 1ère hausse du taux directeur pourrait être, selon nous, le début d’un nouveau cycle de resserrement monétaire de la part de Bank Al-Maghrib», conclut AGR.
Au final, on comprend qu'il faudrait du temps pour observer le plein effet des mesures de lutte contre l'inflation et que le taux directeur pourrait continuer à augmenter, d'autant plus que des pressions inflationnistes supplémentaires ne sont pas à exclure. On a vu comment le volontarisme des Banques centrales engagées depuis plusieurs mois déjà dans un durcissement monétaire, n’a pas fait grand-chose jusqu'à présent sur l’inflation. À suivre.