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Moyens de paiement : le cash fait toujours de la résistance

Moyens de paiement : le cash fait toujours de la résistance

Le Maroc multiplie les réformes et les initiatives pour développer les paiements électroniques, mais le cash conserve une place prédominante. Entre progrès technologiques, incitations et résistances persistantes, la transition vers un système de paiement modernisé reste un défi.

 

Par Gh. Bennani

Le Maroc demeure fortement dépendant des transactions en espèces, un phénomène qui freine la modernisation économique et limite l’efficacité de la politique monétaire. En 2024, la monnaie fiduciaire en circulation atteignait 414,4 milliards de dirhams, enregistrant une croissance annuelle de 5,2%. Bien que ce rythme marque un ralentissement par rapport aux années précédentes, il demeure à un niveau élevé, témoignant de la persistance d’une forte demande pour les transactions en espèces et d’une adoption encore limitée des alternatives numériques.

Le rapport annuel de Bank Al-Maghrib sur les infrastructures des marchés financiers et les moyens de paiement confirme cette tendance, indiquant que la monnaie fiduciaire représentait 30% du PIB en 2023 contre 28% en 2022 et 22% en 2019, traduisant une augmentation continue de la circulation du cash dans l’économie. Au-delà de ces enjeux structurels, la circulation excessive du cash impacte directement l’efficacité de la politique monétaire.

Lorsque la Banque centrale ajuste son taux directeur pour influencer l’inflation et l’investissement, la persistance des paiements en espèces réduit la transmission de ces mesures à l’ensemble de l’économie. Une hausse du taux directeur devrait, en théorie, ralentir la consommation et l’endettement, mais si une grande partie des échanges échappe au circuit bancaire, son effet est atténué. À l’inverse, une baisse des taux, censée stimuler l’investissement, perd en efficacité lorsque les entreprises opérant essentiellement en cash ne s’appuient pas sur le crédit bancaire. De plus, une circulation monétaire incontrôlée alimente les pressions inflationnistes, le volume de monnaie fiduciaire en hausse constante pouvant accélérer la hausse des prix.

Ce phénomène fragilise également les capacités de financement des banques qui, avec un niveau de dépôts limité, peinent à accorder des crédits aux entreprises et aux ménages, freinant ainsi la dynamique de croissance. Consciente de ces enjeux, la Banque mondiale recommande plusieurs leviers d’action pour accélérer la transition vers les paiements électroniques et réduire la dépendance au cash. Parmi eux, la mise en place d’incitations fiscales pour encourager les commerçants à adopter les paiements numériques, la réduction des frais de transaction pour les PME, la digitalisation des paiements gouvernementaux et la limitation progressive des paiements en espèces pour renforcer la traçabilité des flux financiers.

BAM s’inscrit pleinement dans cette démarche à travers son Plan stratégique 2024-2028, qui vise à renforcer la résilience de l’économie nationale tout en modernisant l’infrastructure financière. L’accent est mis sur le développement des paiements numériques, notamment via l’essor des Fintech et l’expansion des solutions de paiement mobile. Des avancées notables ont déjà été réalisées dans ce sens. La Loi de Finances Rectificative de 2020 a introduit un abattement de 100% sur le chiffre d’affaires des commerçants utilisant les paiements mobiles pendant cinq ans, une mesure incitative destinée à accélérer leur adoption.

De son côté, le programme Tayssir, qui concerne trois millions d’écoliers, a facilité l’intégration des paiements numériques dans les transferts sociaux. En 2023, la valeur des paiements numériques au Maroc a atteint 2 milliards de dirhams, avec 30% des Marocains utilisant des transactions électroniques contre seulement 17% en 2017. Le lancement du virement instantané en juin 2023 a marqué une avancée majeure, avec 6,2 millions d’opérations totalisant 21,2 milliards de dirhams échangés en seulement six mois, témoignant d’une adoption croissante des solutions de paiement numérique. D’autres mesures concrètes ont été prises récemment. L’obligation du paiement électronique des droits et taxes douanières est entrée en vigueur, renforçant la traçabilité et réduisant le recours au cash dans les transactions commerciales.

Par ailleurs, des réformes sont en cours pour renforcer la réglementation des bureaux de crédit, notamment en intégrant le traitement des données non financières afin de permettre aux personnes non bancarisées d’accéder plus facilement au crédit. Une autre initiative en développement concerne l’élaboration d’un cadre légal pour la régulation des crypto-actifs, visant à encadrer l’utilisation des monnaies numériques et à explorer le potentiel d’une monnaie numérique de Banque centrale.

Le rapport de Bank Al-Maghrib met également en avant la progression des paiements mobiles et par carte bancaire. En 2023, le nombre d’autorisations de paiements mobiles a atteint 138.329, contre 100.433 en 2022. Par ailleurs, le nombre de transactions par cartes bancaires a augmenté de 14,2%. Ces chiffres illustrent une adoption progressive des moyens de paiement électroniques, bien que leur usage reste encore limité par rapport aux volumes de cash en circulation.

Comme le souligne un expert du secteur, «le Maroc a entrepris des réformes visant à renforcer la sécurité et la fiabilité des transactions. L’introduction d’un cadre réglementaire adapté s’est accompagnée du déploiement progressif de nouvelles solutions de paiement, comme les transferts instantanés et les paiements mobiles, facilitant ainsi l’accès aux services bancaires. Ces évolutions traduisent une dynamique de transformation continue, portée par la nécessité d’adapter l’infrastructure financière aux mutations de l’économie et aux attentes croissantes des usagers».

Si ces avancées témoignent d’une volonté affirmée d’encourager l’utilisation des paiements électroniques, plusieurs obstacles demeurent. La préférence pour le cash reste profondément ancrée, en grande partie en raison d’une confiance limitée dans les outils numériques et d’un manque de sensibilisation aux avantages qu’ils offrent. La méfiance à l’égard de la sécurité des transactions digitales constitue également un frein majeur, de nombreux utilisateurs redoutant la fraude ou le vol de données bancaires.

Par ailleurs, les coûts associés aux transactions électroniques, bien que réduits pour certaines catégories d’usagers, continuent de dissuader certains commerçants et PME d’accepter ces moyens de paiement. À cela s’ajoute une accessibilité encore limitée aux infrastructures de paiement électronique, notamment dans les zones rurales, où le réseau bancaire et la connectivité restent insuffisants. Si le Maroc a franchi des étapes clés vers la digitalisation des paiements, la dépendance au cash demeure un obstacle majeur. Pour changer la donne, il faudra des mesures plus incitatives, un cadre réglementaire renforcé et une mobilisation de tous les acteurs. Le succès de cette transition repose sur une équation simple : accessibilité, confiance et engagement collectif.

 

 

 

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