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La méfiance qui «cash» l’économie …

La méfiance qui «cash» l’économie …

Pendant qu’à l’échelle mondiale et nationale les Banques centrales, le monde de l’entreprise et les experts parlent de crypto-monnaies, de blockchain, de tokenisation et de finance alternative, le cash, lui, continue non seulement de prospérer au Maroc, mais arrive même à gagner du terrain, comme en témoignent les récents chiffres. Selon les données fournies par BAM, la monnaie fiduciaire en circulation a atteint à fin mai 2023 pas moins de 370 milliards de dirhams.

Soit une hausse de 12,4% par rapport à la même période de l’année précédente. Soit l’équivalent de 41 milliards de dirhams de plus, qui viennent irriguer une économie encore réticente à franchir le pas de la dématérialisation monétaire. Quelles seraient les raisons profondes derrière cette dynamique inquiétante ? Les principales pistes explicatives Premièrement, l’explication de la période «COVID» qui, selon moi, ne tient pas forcément la route. Car la pandémie a quand même bon dos depuis quelque temps. Si effectivement elle a contribué à créer un climat économique angoissant, de nature à pousser les gens à vouloir posséder, dans un rapport fétichiste, de l’argent liquide, ce choc n’a été tout au plus qu’un catalyseur, puisque la dynamique de croissance du cash dans notre économie précède de loin l’avènement de la pandémie.

D’un autre côté, la perte de pouvoir d’achat de bon nombre de ménages, les faillites et difficultés des petites et moyennes entreprises et le chômage consécutifs à la période de la pandémie, ont été indiscutablement de nature à renforcer le secteur informel, voire de lui donner un coup d'accélérateur. Deuxième piste, la méfiance des citoyens vis-à-vis des banques. De même que pour l’explication magique du COVID, je ne vois rien de concret permettant de soutenir cette thèse. Certes, de petits scandales ont récemment entaché ici et là la réputation de quelques banques, mais il n'y a pas mort d’homme, oserais-je dire. Notre système bancaire demeure solide et stable, comme le démontre une multitude de benchmarks, et l’instabilité et la crise que connaît le système financier international ne semblent pas pour l’heure porter atteinte à cette stabilité.

Cependant, cette fuite du cash est vécue par le système bancaire comme une vraie hémorragie, puisqu’elle se traduit par un retrait important de liquidité, qui concerne autant les comptes à vue que les comptes à terme. A ce propos, le retrait de cash des GAB est quasiment un sport national au Maroc, puisque selon les données fournies par le Centre monétique interbancaire (CMI), la part des retraits dans le total des activités monétiques représente 72,1% du nombre d’opérations et 87,8% en termes de montant. Ainsi, entre achat important de bons du Trésor par les banques, retraits de plus en plus croissants d’argent liquide et faible croissance, voire décroissance des dépôts à terme et à vue, les banques se retrouvent de plus en plus confrontées à un déficit de liquidité qui pourrait atteindre, d’après BAM, pas moins de 118,3 milliards de dirhams d’ici fin 2024. Troisième piste, les transferts des MRE et les phénomènes cycliques.

Qu’il s’agisse de l’augmentation des transferts des MRE, de l’afflux touristique ou de l’Aïd, il ne s’agit là encore que de phénomènes cycliques et conjoncturels, qui ne sauraient aucunement donc servir de facteurs explicatifs structurels de la croissance vertigineuse de l’usage du cash. Enfin, l’explication culturaliste ou culturelle, proposée par Abdellatif Jouahri, le wali de Bank Al-Maghrib, pour qui «il n’y a pas plus difficile que de changer les cultures», et par conséquent les mentalités.

Or, les Marocains sont, malgré les apparences, parfois très pragmatiques et caractérisés par une forte résilience et capacité d’adaptation. Le cash, expression d’une méfiance profondément ancrée Mais, si le facteur culturel que je qualifie de rapport fétichiste à l’argent existe bel et bien, c’est qu’il est profondément ancré dans un imaginaire de méfiance vis-à-vis des autorités, en l'occurrence du fisc. Même si nous avons du mal à l’admettre, l’impôt est vécu par bon nombre de Marocains comme une contrainte, un fardeau, voire même comme une violence. Il souffre d’un déficit de légitimité et ne fait pas sens pour bon nombre d’entre nous. De même, la retenue à la source qui, depuis peu, suscite un engouement gouvernemental, exprime à son tour une méfiance du gouvernement vis-à-vis des citoyens. D’autant plus, comme je le rappelle souvent, l’asymétrie entre le secteur formel qui paye, et l’informel qui pèse environ 30% du PIB et plus de 70% de l’emploi au Maroc et qui ne paye rien, crée un sentiment d’injustice et de frustration. Sans parler de la contrepartie de l’impôt, à savoir les services publics (écoles, santé, sécurité,...) qui laissent à désirer. Plus de coercition et de contrôle n’y changeront rien.

L’ingéniosité des Marocains trouvera toujours des moyens pour y échapper. L’urgence d’une refonte de notre système fiscal Le seul et unique procédé durable pour résoudre le problème est de remonter aux racines du mal. A savoir repenser l’impôt en tant que tel en lui donnant du sens, simplifier au maximum le système fiscal en mettant fin à la myriade de taxes directes et indirectes, et instaurer une équité à travers un élargissement de l’assiette qui permettra de réduire la pression fiscale. Je ne dois plus payer l’impôt parce que je suis obligé, mais je devrais le payer parce que je suis convaincu, parce qu’il est logique et supportable, parce que toute la société en récolte les fruits. Ainsi, rationalité, simplicité, soutenabilité et équité devraient être les piliers d’une nouvelle philosophie fiscale, qui servira de base à une refonte d’un système inextricable et inefficace. En attendant, l’évitement de l’impôt demeurera l’activité économique la plus rentable, là où c’est l’industrie, l’innovation et la créativité qui devraient l’être.

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting

 

 

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