Le comportement du marché des taux trahit des craintes, voire une panique des opérateurs, exacerbées par l'inflation.
Pourtant, les finances publiques ne montrent pas de signes forts de dérapage, si ce n'est un budget de compensation en hausse et pour lequel l'Etat a déjà trouvé des pistes pour le financer. Alors, pourquoi ces craintes et comment les apaiser ?
Par A. H
Les taux sans risque sont le cœur du réacteur sur tout marché financier. C'est ce qui canalise les flux financiers et permet de dessiner de belles tendances, sur les différentes classes d'actif.
Au Maroc, les taux des bons du Trésor se sont inscrits dans une tendance durablement baissière depuis quelques années, poussant les investisseurs institutionnels et les banques à se positionner sur le marché obligataire qui évolue inversement à la tendance des taux, et réaliser des gains substantiels.
De temps en temps, comme sur tout marché, des corrections haussières des taux (et donc des baisses sur le marché obligataire) se dessinent à cause de tensions ou craintes passagères. Mais ces mouvements de contre-tendance se dissipent rapidement, permettant à la tendance de reprendre.
En pleine pandémie, la politique ultra-accommodante de Bank Al-Maghrib pour maintenir à flot l'économie a empêché une remontée des taux, malgré les besoins importants de l'Etat en 2020 et 2021 pour financer la relance. En 2022, une nouvelle correction s'observe sur les taux et une partie des acteurs du marché estime qu'elle sera plus sévère et pourrait potentiellement générer des prises de bénéfices importantes sur le marché obligataire. Pourquoi est-ce différent ? La réponse tient en un mot : l'inflation.
Les fondamentaux du marché des taux
La demande de financement émanant de l'Etat a sensiblement augmenté en janvier. Le Trésor a levé plus de 24 Mds de dirhams en un mois, soit le double du besoin annoncé ce mois-ci. Et pour se financer, il a dû taper dans le carnet d'ordre et emprunter plus cher. Mais, depuis janvier, le marché s'est calmé et les importantes rentrées fiscales du mois de mars, grâce à un acompte d'IS en forte hausse, lui ont permis de se détendre. Entre temps, de l'eau a coulé sous les ponts et les chars russes se sont durablement installés de l'autre côté des ponts ukrainiens, ce qui a entretenu les tensions inflationnistes mondiales et poussé l'indice des prix à la consommation à plus de 5% au Maroc. Ceci rend les rendements réels négatifs et pousse les investisseurs à revoir à la hausse leurs exigences lorsqu'ils prêtent à l'Etat.
Pour Ahmed Zhani, qui a dressé ce mardi 17 mai un tableau complet des perspectives macroéconomiques du Royaume à l'occasion d'une rencontre organisée par l'APSB et la Bourse de Casablanca, la durabilité des tensions inflationnistes est en tête des facteurs qui alimentent les anticipations haussières des opérateurs. Un autre élément est relatif à l'importance des charges du Trésor, qui devra faire face à d'importantes tombées cette année. Un autre facteur, bien que moins probable, ou du moins ne faisant pas consensus, est une potentielle révision à la hausse du taux directeur. Ces craintes, comme le décrit Ahmed Zhani, sont très palpables sur le marché secondaire des obligations du Trésor, qui connaît une hausse plus rapide des taux et des mouvements vendeurs agressifs sur les parties moyennes et longues de la courbe.
Comment calmer les esprits ?
Les marchés fonctionnent aux signaux. Et pour le chef économiste de CDG Capital, le Trésor doit en donner trois pour calmer les esprits : le premier est la concrétisation des financements extérieurs. L'Etat a annoncé un montant de 40 Mds de dirhams à financer en dette extérieure cette année. Il devra le faire en partie sur les marchés financiers. Or, avec le resserrement des conditions monétaires aux Etats-Unis et en zone Euro, une sortie coûterait beaucoup plus cher au Maroc qu'en 2020 par exemple.
Mais réaliser des sorties à l'international va mécaniquement réduire la demande sur le marché national et donc apaiser les taux. Quant au coût élevé d'une éventuelle sortie, cette notion est à relativiser selon Zhani, car si l'Etat ne le fait pas, c'est la dette intérieure qui deviendra plus chère. Un autre élément capable de contenir la hausse des taux est la réalisation des financements innovants prévus dans le cadre du PLF2022 et le recours à de nouveaux instruments financiers pour se financer.
Cette inflation monétaire qui nous guette
Si l'essentiel de l'inflation que nous subissons aujourd'hui est importée, le risque de voir une inflation de type monétaire est bien réel. Pour l'expert, le cash en circulation est de plus en plus important dans l'économie et la baisse des rendements sans risque pousse les épargnants à transformer une partie de leur épargne en dépôts à vue. Ceci se traduit par une hausse de la circulation monétaire plus rapide que la croissance. «En pourcentage du PIB, la masse monétaire est passée de 119% en 2019 à 136% en 2020, avant de reculer à 131% en 2021. Un niveau qui devrait rester stable en 2022. Cette croissance de la masse monétaire pourrait alimenter une inflation monétaire à moyen et long terme», avertit Zhani.
Au moment de la rédaction de cet article, le ministère des Finances n'avait pas encore communiqué les résultats de l'adjudication du 17 mai. La précédente séance avait connu une forte hausse des taux sur toutes les maturités et les investisseurs scrutent le comportement de ce marché à court terme, alors que la cotation électronique des bons du Trésor sur la plateforme E-Bond montre que les salles de marchés intermédiaires en bons du Trésor continuent d'anticiper une poursuite de la correction haussière des taux.