Entre la vigueur du Dollar, stimulé par des taux d'intérêt américains attractifs, et un Euro toujours sous pression, le Dirham a su maintenir une relative stabilité, soutenue par des flux d’exportation solides et une gestion prudentielle des réserves de change.
Par Y. Seddik
Malgré les pressions externes, la monnaie marocaine fait montre d’une résilience notable depuis le début d’année, soutenue principalement par des entrées de devises solides. En effet, sur le mois de février, le Dirham a enregistré une légère appréciation face au Dollar, avec une baisse de -0,66% du taux de change USD/MAD, intégrant un effet panier de -0,5375% et un effet marché de -0,6340%.
Face à l’Euro, il s’est déprécié de -0,61%, clôturant le mois à 10,358, avec un effet panier de +0,3499% et un effet marché de -0,6340%. Cette stabilité relative trouve son explication dans la robustesse des flux extérieurs, notamment les exportations de phosphates et de leurs dérivés, qui ont permis d’atténuer les effets de la hausse du billet vert. La politique monétaire de Bank Al-Maghrib (BAM) joue également un rôle-clé dans cette maîtrise des fluctuations, avec un encadrement rigoureux du marché interbancaire de devises.
Les prévisions des analystes restent prudentes. BMCE Capital Global Research anticipe une poursuite de la volatilité du Dirham, fonction de l’évolution des politiques monétaires américaine et européenne. D'ici trois mois, avec un EUR/USD anticipé à 1,03, l'USD/MAD pourrait atteindre 10,08, tandis que l'EUR/ MAD grimperait à 10,38. Sur six mois, une stabilisation de l’Euro (1,04 EUR/USD) et des entrées de devises liées à la saison estivale pourraient ramener l'USD/MAD à 9,87 et l'EUR/MAD à 10,27. Dans un contexte international marqué par des tensions commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne, ainsi que par les décisions de la FED et de la BCE, la capacité du Maroc à maintenir des niveaux d’exportation élevés et une gestion rigoureuse de ses réserves de change sera donc déterminante.
Une réforme du régime de change en ligne de mire
Au-delà de la stabilité conjoncturelle du Dirham, c’est la transition vers un régime de change plus flexible qui constitue le véritable enjeu des mois à venir. BAM prépare en effet une réforme visant à désancrer progressivement le Dirham du panier de devises, marquant une évolution majeure pour la politique monétaire marocaine.
Le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a confirmé que cette étape intermédiaire ne signifiera pas un flottement total, mais plutôt un ancrage via le taux directeur et la politique monétaire, avec une surveillance active des fluctuations du marché. Objectif : réduire la dépendance aux variations de l’Euro et du Dollar, tout en offrant plus de marge de manœuvre aux exportateurs marocains.
Pourquoi maintenant ? La vulnérabilité du Dirham face aux chocs monétaires internationaux s’est accentuée ces dernières années, et a impacté directement la compétitivité de la monnaie nationale. Parallèlement, l’efficacité de la politique monétaire reste entravée par l’ancrage aux devises internationales, ce qui limite les marges de manœuvre de BAM face aux fluctuations économiques globales. Enfin, la montée en puissance des exportations marocaines renforce la capacité du pays à gérer une flexibilité accrue du taux de change, et rend donc cette transition plus opportune que jamais. Toutefois, cette transition ne pourra se faire sans certaines conditions préalables : un niveau de réserves de change suffisant, une stabilité budgétaire à moyen terme et une capacité des entreprises marocaines à s’adapter à un environnement de change plus dynamique.
Vers un modèle hybride
Inspiré par les expériences internationales, le Maroc semble s’orienter vers un système hybride, combinant flexibilité et stabilité. La Chine a adopté un modèle à bande glissante, permettant à sa monnaie d’évoluer dans une fourchette contrôlée. L’Égypte, en revanche, a choisi un flottement total, avec des résultats contrastés. Pour le Maroc, c’est un compromis : offrir plus de souplesse aux forces du marché tout en conservant un cadre de stabilité via des interventions ciblées de BAM.
Ce modèle pourrait à terme renforcer la résilience du Dirham, tout en limitant les risques d’une dévaluation brutale. En définitive, si les fondamentaux actuels lui permettent de résister aux turbulences du marché des changes, la transition vers un régime plus souple devra se faire de manière progressive et maîtrisée. Une évolution inévitable, mais qui demandera une adaptation constante de l’ensemble des acteurs économiques marocains.