Malgré des réserves en devises solides et des flux financiers extérieurs dynamiques, la liquidité bancaire au Maroc continue de se détériorer. L’augmentation de la circulation fiduciaire et la forte demande de crédit exercent une pression grandissante sur les banques, poussant Bank Al-Maghrib à intensifier ses interventions. Mais ces solutions de court terme suffiront-elles à inverser la tendance ?
Par Gh. Bennani
Malgré des entrées de devises dynamiques, le déficit de liquidité bancaire au Maroc ne cesse de s’aggraver. Cette situation paradoxale met en évidence les fragilités structurelles du système monétaire national et la nécessité d’adopter des solutions de fond pour préserver la stabilité financière. Alors que les flux extérieurs progressent, consolidant les réserves en devises, la liquidité bancaire subit une pression croissante.
Selon Bank Al-Maghrib, le déficit de liquidité devrait atteindre 164,6 milliards de dirhams en 2025 et 192,3 milliards en 2026, contre 137,3 milliards en 2024. Cette trajectoire inquiétante s’explique en grande partie par une balance commerciale toujours déficitaire. Si les exportations connaissent une hausse soutenue, notamment grâce au dynamisme de l’industrie automobile et des phosphates, elles restent insuffisantes pour compenser l’augmentation des importations.
La forte progression des achats de biens d’équipement et de produits finis alourdit le déficit commercial et limite l’impact positif des flux entrants de devises sur la liquidité bancaire. Dans ce contexte, le Maroc peut compter sur trois grandes sources de financement extérieur: les recettes touristiques, les transferts des Marocains résidant à l’étranger et les investissements directs étrangers. Le secteur du tourisme continue d’afficher une belle dynamique, avec des recettes attendues à 127,7 milliards de dirhams en 2025 et 133,8 milliards en 2026, portées par une meilleure connectivité aérienne et l’essor du tourisme avec l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations.
Les transferts des MRE poursuivent leur croissance et devraient atteindre 127,8 milliards de dirhams en 2026, tandis que les IDE représenteraient 3,3% du PIB la même année, confirmant l’attractivité du Maroc dans des secteurs clés comme l’automobile, les énergies renouvelables et le digital. Ces flux renforcent les réserves officielles, qui devraient culminer à 400,2 milliards de dirhams en 2026, soit l’équivalent de 5 mois et 8 jours d’importations. Toutefois, bien que ces entrées de devises garantissent une certaine stabilité macroéconomique, elles ne parviennent pas à compenser directement le creusement du déficit de liquidité bancaire. Une grande partie de ces flux ne s’intègre pas immédiatement dans le circuit bancaire, limitant leur impact sur la disponibilité des liquidités pour les banques.
Hausse de la circulation fiduciaire
L’un des principaux facteurs expliquant cette situation est la progression soutenue de la circulation fiduciaire, qui devrait encore augmenter de 8,3% en 2025 et de 7,8% en 2026. L’économie marocaine reste fortement ancrée dans l’utilisation du cash, un phénomène amplifié par des habitudes socioculturelles et un niveau encore élevé d’informalité. Cette tendance prive les banques d’une part importante des dépôts qui pourraient autrement être mobilisés pour financer l’économie.
Selon un expert économiste, «la forte demande de monnaie fiduciaire, combinée à un usage encore limité des paiements digitaux, freine la circulation monétaire et aggrave le déficit de liquidité des banques. Une grande partie des transactions, notamment dans le commerce informel et certains services, se fait encore en espèces, ce qui limite la réintégration des fonds dans le circuit bancaire. Pour inverser cette tendance, il est essentiel d’encourager la digitalisation des paiements à travers des incitations fiscales et une meilleure éducation financière».
Face à ces tensions, la Banque centrale a déjà intensifié ses injections de liquidité, atteignant 136,6 milliards de dirhams au 6 mars 2025. Mais, malgré ces interventions, le besoin structurel de refinancement des banques continue de croître, rendant nécessaire une approche plus globale pour contenir la pression sur la liquidité bancaire. Si Bank Al-Maghrib peut poursuivre ses interventions sur le marché monétaire en servant la totalité des demandes des banques lors des avances à 7 jours, une modernisation plus profonde du système de paiements semble indispensable pour favoriser un retour plus rapide des fonds dans le circuit bancaire. Une réforme du marché du crédit permettrait également d’optimiser l’allocation des ressources financières, en facilitant l’accès au financement pour les PME et en développant la titrisation des créances bancaires.