Les Banques centrales contreattaquent. Elles avaient longtemps sous-pesé le pour et le contre. Pendant près d’un an, elles avaient relativisé les pressions inflationnistes et retardé leur intervention. Avec l’arrivée d’Omicron, le dilemme était encore plus pesant : faut-il durcir la politique monétaire pour mettre un frein à l’inflation - sans garantie de réussir car cette inflation est tirée par l’offre -, quitte à dérailler la croissance économique ?
La réponse pour la FED et la Banque d’Angleterre est oui, la réponse pour la BCE est non. Afin de durcir sa politique monétaire, la FED a annoncé mettre un terme à son programme de rachat d’actifs plus tôt que prévu, en mars 2022 plutôt qu’en juin. Elle a également annoncé trois hausses du taux directeur en 2022, et trois autres pour 2023. Auparavant, elle envisageait uniquement une seule hausse pour fin 2022. Le même jour, la Banque d’Angleterre a annoncé relever son taux directeur. Lors de la crise du Covid, la Banque l’avait baissé à un plus bas historique de 0,1%, encore plus bas que lors de la crise financière de 2008. A présent, elle décide de le remonter d’un cran à 0,25%.
Seule la BCE temporise. Elle a annoncé un maintien de ses taux directeurs à un niveau bas tant que la situation l’exigeait. Elle a également annoncé mettre un terme plus rapidement que prévu, c’est-à-dire en mars 2022, au Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) - programme de rachat d’actifs lancé en urgence pendant la crise du Covid pour injecter des liquidités et soutenir l’économie -. Elle rassure néanmoins en expliquant qu’elle augmentera la cadence des achats d’un autre programme nommé Asset Purchase Program (APP) pour compenser la différence. Ce programme avait été lancé depuis la crise de 2008. Au fond, les deux programmes se ressemblent énormément, à la différence que le programme d’urgence (le PEPP) a des critères d’éligibilité plus larges pour les titres qui sont rachetés par la BCE - acceptation par exemple de la dette grecque, et du papier commercial de moins de 6 mois -.
L’inflation sera donc un enjeu majeur pour le portefeuille des investisseurs en 2022. Se pose alors la question de comment se prémunir de ses effets ? Cette question peut paraitre simple, mais au fond elle ne l’est pas. D’habitude, l’or est l’actif qui protège le mieux contre l’inflation. Le métal précieux est considéré comme une valeur refuge pour protéger le pouvoir d’achat, lorsque la monnaie perd le sien. Mais 2021 est une année qui restera dans les annales de la finance, comme celle où cette doctrine s’est écroulée. En 2021, l’inflation a battu des records partout dans le monde. Une étude du Pew Research Center a couvert 46 pays, et a trouvé que chez 39 d’entre eux, l’inflation au troisième trimestre 2021 était supérieure à son niveau d’avant pandémie au troisième trimestre 2019. On s’attendrait alors à ce que l’or connaisse une année de tonnerre ! Mais non, l’or s’est replié à -5% en 2021… Qui est le grand gagnant ?
Le bitcoin… La monnaie virtuelle a gagné +65%, enregistrant la meilleure performance des principales classes d’actifs. Et encore, le bitcoin avait augmenté de +187% à début novembre, avant que son cours ne s’écroule lorsque la Chine a entamé une campagne contre les cryptomonnaies. Des flux de capitaux importants ont quitté les fonds d’investissement sur l’or, et semblent s’être dirigés vers le Bitcoin, qui a fait son entrée dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels. Voilà pourquoi la question de savoir comment les investisseurs peuvent se couvrir contre l’inflation n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Pour se protéger contre l’inflation, les investisseurs peuvent opter pour les actions, et particulièrement pour les entreprises qui vendent des produits dont les prix ne sont pas réglementés, et les entreprises qui disposent d’un pricing power important. Ces entreprises sont capables de répercuter la hausse des intrants pour préserver leur marge bénéficiaire. Les investisseurs peuvent également investir sur les obligations à taux variables. On fait alors l’hypothèse que l’inflation sera suivie d’une hausse des taux d’intérêt, ce qui offrira un coupon supérieur lors de la révision.
Certaines classes d’actifs peuvent également offrir une couverture importante face à l’inflation. L’immobilier - les actions des entreprises immobilières du S&P500 ont augmenté de +41% en 2021 - ou le pétrole - dont le prix a augmenté de +42% -. Mais, évidemment, l’évolution de ces classes d’actifs reste tributaire d’autres facteurs hormis l’inflation, notamment la vigueur de la reprise économique. Une classe d’actifs intéressante est les obligations couvertes contre l’inflation (Treasury Inflation Protected Securities ou TIPS aux Etats-Unis). La valeur faciale de l’obligation est revue à la hausse en suivant l’inflation, le taux d’intérêt reste le même. Du coup, le coupon (valeur faciale multipliée par le taux) augmente mécaniquement.
En 2021, un record jamais atteint depuis le début des années 2000 a été investi sur ces titres : 66,8 milliards de dollars. Ces obligations couvertes contre l’inflation ne sont pas très usitées en Afrique. L’Afrique du Sud, qui affiche une inflation élevée supérieure à 5%, émet ce type de titres pour attirer les investisseurs internationaux. Au Maroc, l’inflation reste maîtrisée, même si elle a atteint +2,6% en novembre, ce qui présente peu d’intérêt pour ce type de titres. Mais ce n’est pas le cas de plusieurs pays africains. Un exemple parmi beaucoup d’autres, le Nigéria qui affiche une inflation à deux chiffres. Le rendement nominal sur le 10 ans pour les obligations nigérianes est de 12,5%, alors que l’inflation atteint 15%, ce qui implique un rendement réel (corrigé de l’inflation) négatif de -2,5%. Le pays gagnerait fortement à émettre ce type d’obligations couvertes contre l’inflation, afin d’assurer un rendement réel positif pour sa base d’investisseurs.
(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez-le sur www.fassal.net.