Son intervention en clôture du 11e Colloque international des finances publiques, qui s’est tenu le week-end dernier à Rabat, et qui avait pour thème «Finances publiques et souveraineté des Etats» était très attendue.
Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, puisque c’est de lui dont il s’agit, est bien placé pour parler souveraineté, lui qui a connu les moments les plus critiques et les plus sombres de notre économie (crise de la dette, Plan d’ajustement structurel, etc.) au moment, justement, où cette souveraineté a été particulièrement mise à mal.
Le gouverneur de BAM n’a pas pu être présent à Rabat, puisqu’au moment où se déroulait le Colloque, il se trouvait en Egypte, où il prenait part au Forum mondial sur l’inclusion financière. Son intervention a donc été projetée à l’assistance sur écran.
En préambule à l’intervention de Jouahri, Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, et organisateur du Colloque avec la fondation Fondafip, a tenu à lui rendre un hommage appuyé et remarqué, en qualifiant le gouverneur de la Banque centrale «d’homme d’Etat, libre et responsable». De quoi redorer le blason de celui qui est annoncé sur le départ par plusieurs organes de presse, et dont le prestige a été quelque peu ébranlé par l’épisode rocambolesque du report de la flexibilisation du dirham.
Le discours du wali de BAM s’est évertué à démontrer à quel point la souveraineté des Etats, c’est-à-dire leur capacité à définir une politique en fonction de leurs besoins, est malmenée, tandis que les marges de manœuvres en matière budgétaire et monétaire, notamment pour les pays en développement, s’amenuisent.
La globalisation et l’emprise grandissante des marchés financiers sur les économies mettent à rudes épreuves la souveraineté des Etats. Le Maroc est bien placé pour le savoir.
Dans les années 80, alors que le Maroc était dans l’incapacité d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses créanciers et se retrouvant en cessation de paiement, il s’est vu contraint de s’embarquer dans un douloureux Plan d’ajustement structurel (PAS) sous l’égide du FMI. Jouahri, en première ligne à l’époque, puisqu’il occupait le poste de ministre des Finances, semble en garder un souvenir amer : «il n’y a pas pire sentiment que l’impuissance dans ce genre de situation», affirme-t-il.
De cet épisode, Jouahri en est ressorti avec une certitude : celle que «la sauvegarde des équilibres macroéconomiques, malgré ce qu’on entend, constitue le meilleur rempart contre cette perte de souveraineté».
Aujourd’hui, le PAS est loin derrière nous, mais la vigilance est de mise, alerte le Wali. Le Maroc reste soumis aux évaluations du FMI et des agences de notation. «Des évaluations parfois perçues comme une ingérence, mais qui en réalité apportent un regard externe qui nous incite à plus de rigueur», souligne Jouahri.
Cela dit, d’autres menaces sur la souveraineté des Etats, notamment sur les plans monétaires et financiers, se sont développées ces dernières années, a souligné Jouahri : l’instabilité des marchés et la révolution digitale.
La volatilité des marchés financiers lance un défi majeur à la souveraineté des Etats en matière de politique monétaire et de stabilité financière. Jouahri en veut pour preuve les politiques monétaires non conventionnelles des pays avancés qui impactent sérieusement les pays émergents. «Une décision monétaire de la FED déstabilise les économies des émergents et met la pression sur le monnaie», explique-t-il. «La flexibilisation des changes doit permettre d’amortir ces chocs externes», observe-t-il, avant de nuancer : «Mais même là, la souveraineté reste relative. Les économies ayant un compte capital ouvert restent otages des cycles financiers et de la volatilité des capitaux».
L’autre défi concerne la révolution digitale. «L’émergence des monnaies virtuelles (comme le Bitcoin) risque d’échapper au contrôle des régulateurs», souligne-t-il. Plus largement, la technologie Blockchain constitue une menace pour les Banques centrales, les banques commerciales et les institutions d’intermédiation, fait-il savoir. Il ne s’agit pas de stopper ces innovations, mais de mieux les encadrer pour en limiter les dérives, explique le Wali.